DIEU A-T-IL QUITTÉ L’AFRIQUE ?
Musa Dieng Kala convoque l’Histoire
Dans le cadre de la Quinzaine de la Francophonie, le chanteur et réalisateur sénégalais Musa Dieng Kala, a présenté son premier film-documentaire « Dieu a-t-il quitté l’Afrique ? ». Achevé depuis 2008, ce film de 61 mn met un focus sur le fléau que constitue le phénomène de l’immigration clandestine.
Le chanteur sénégalo-canadien Musa Dieng Kala flirte désormais avec le cinéma. Il a présenté, la semaine dernière, son film-documentaire « Dieu a-t-il quitté l’Afrique ? », au théâtre de Verdure de l’Institut Français de Dakar (ex-CCF) rempli comme un oeuf. Réalisé depuis 2008, le documentaire de ce Sénégalais qui vit depuis 20 ans à Montréal, met en avant la tragique et douloureuse question de l’immigration clandestine en Afrique. Qui avait charrié son lot d’exaspération de la part de l’opinion publique africaine et internationale confondues, au vu des centaines de milliers de vies que ce fléau a emporté dans son sillage. Un phénomène qui a ainsi brisé le rêve d’un grand nombre de jeunes africains qui ont choisi de prendre le chemin de l’exil vers l’Eldorado occidental, à cause de leurs conditions de vie exécrables dans une Afrique secouée par bien des problèmes.
Et à cause de l’échec des pouvoirs publics dans la définition d’une bonne politique en faveur de la jeunesse de leurs pays respectifs. Et ce documentaire, que le réalisateur a narré en utilisant la technique du « Voiceof– God commentary », prend sa source en Août 1999 avec le drame qui avait touché Yaguine et Fodé. Ces deux jeunes guinéens qui avaient été retrouvés morts dans le train d’atterrissage d’un avion de la Sabena.
Ceci pour emmener le sujet de sa réflexion qui le conduit à se poser cette question douloureuse : « Dieu a-t-il quitté l’Afrique ? ». Une interrogation qui le ramène à son quartier d’origine, Ouagou Niayes, où Musa Dieng Kala jette un coup de projecteur sur le quotidien de quatre amis d’enfance : Kader, Omar, Djiby et Ibrahima. Ces copains inséparables chômeurs, comme tant de jeunes sénégalais qui sont éperdument à la quête d’un emploi stable et du salut pour prendre en charge leur famille. N’ayant aucune activité professionnelle, ils se regroupent nuit et jour autour du « banc diaxlé » ou Banc des égarés.
Comme également de nombreux jeunes « abonnés de force » à ces espaces de discussion et d’échanges à ciel ouvert, le groupe d’amis s’adonne à longueur de journée à des séances de thé, qui sont ponctuées par des dialogues forts révélateurs sur leur quotidien peu enviable. Dans ce moyen métrage, ces amis qui mélangent ironie et dépit dans leurs constants débats, sont inlassablement installés sur le « banc diaxlé » de Ouagou Niayes, lisent des journaux qui relatent les expéditions maritimes fructueuses ou pas des clandestins qui ont bravé l’Océan. Ils se triturent également les méninges pour trouver une pirouette qui leur fera quitter cette Afrique qu’ils assimilent à un « enfer sur terre ». Tout le contraire, selon eux, de l’Occident qui leur offrirait un avenir radieux.
Vraisemblablement, le groupe choisi par le réalisateur Musa Dieng Kala représente un parfait échantillon de la jeunesse Africaine, en général, et celle Sénégalaise, en particulier, pour poser le débat sur les vraies raisons qui poussent les jeunes africains à vouloir vaille que vaille prendre clandestinement le chemin périlleux de la mer ou des airs. Mêlant dialogues ironiques des acteurs et images chocs de clandestins morts en cours d’expédition, ce captivant documentaire « Dieu a-t-il quitté l’Afrique ? », avec ce titre un tantinet provocateur, cherche à interpeller la conscience collective pour poser un débat constructif. Aussi, les airs de Xassaïdes (Chants mourides, confrérie religieuse sénégalaise, Ndlr) qui sont issus du répertoire musical de l’auteur et que l’on perçoit en arrièrefond dans certaines séquences du film, confèrent par moments un air solennel à cette oeuvre cinématographique.
A travers « Dieu a-t-il quitté l’Afrique » le réalisateur peint ainsi un tableau peu reluisant de l’Afrique en formulant une critique sévère à l’endroit des gouvernants africains, en prenant l’exemple sur les dirigeants sénégalais, notamment les prédécesseurs de Macky Sall, qui, d’après lui, « se moquent souvent de la souffrance de leur peuple » car n’ayant pu « penser africain quand il le fallait », estime-t-il. M. Dieng fustige, de façon globale, l’attitude des intellectuels du continent qui « ont raté le coche » en se mettant dans l’incapacité de conduire des politiques durables allant dans le sens du règlement de certains problèmes comme la gestion quotidienne de leurs pays, etc.
« Un des grands drames de l’Afrique, c’est celui de ses intellectuels. Ses premiers intellectuels noirs avaient une connaissance parfaite de leur société tout en étant nourris de la culture de la société occidentale. Vingt ans de pouvoir pour le premier président, vingt ans de pouvoir pour le deuxième président, qu’ont-ils fait de l’expérience locale ? Qu’ont-ils fait de notre culture ? De notre identité ? Que nous laissent-ils en héritage ? Sinon l’on risque de ne plus être nousmêmes », dénonce-t-il au cours du film.
Un « revers cuisant » de ces hommes politiques qui, selon M. Dieng, a conduit la jeunesse de l’Afrique à arpenter le chemin de l’exil en quête « d’une dignité et d’un bien-être dont ils sont privés dans leurs pays d’origine ».
Cet émouvant moyen métrage réalisé avec le concours de la maison de production l’Office national du film du Canada (Onf, Ndlr) incite le spectateur à méditer sur le sort du continent africain et sur les efforts qui doivent être faits pour dépasser cet état de stagnation auquel il est confronté. Il montre aussi le péril que constitue l’immigration clandestine, avec lot de chagrin et de désespoir qu’il peut occasionner.
Comme le fait de se faire arnaquer par des démarcheurs de visas ou, pire, de perdre la vie en pleine mer. Non sans parler du cas des rescapés qui ont été refoulés de leur point de chute une fois à destination.
Bref, avec ce film conçu à dessein pour heurter les consciences, Moussa Dieng Kala dessine une Afrique au bord du gouffre et que seule une volonté d’action de ses fils peut permettre de décoller pour rattraper son immense retard, se positionner et peser de son poids dans la marche du monde. Par un plaidoyer convainquant, il attire l’attention des fils de l’Afrique, notamment sa jeunesse qui doit désormais jouer sa partition pour soigner les maux dont elle souffre.
Des maux au sujet desquels les leaders africains ne sont pas exempts de tout reproche, selon Musa Dieng Kala. Comme il le souligne si bien à la fin de son documentaire : « Si l’Afrique semble être au bord du suicide, c’est qu’elle est forcée de l’intérieur de se déserter une seconde fois. L’Afrique est vraiment malade de ses dirigeants », indexe-t-il.