DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE ET PSE
Compte tenu de l’importance du Plan, le ministère des Affaires étrangères, en liaison avec les autres administrations compétentes, a un rôle primordial à jouer dans le cadre de la mission de pilotage de son action extérieure
Il ne fait plus aucun doute pour les observateurs de la scène internationale que l’économie est devenue l’un des champs majeurs de l’activité diplomatique. Selon la définition de Bergeijk et Moons, «la diplomatie économique consiste en un ensemble d’activités visant les méthodes et procédés de la prise internationale de décision et relatives aux activités économiques transfrontières dans le monde réel. Elle a comme champs d’action le commerce, l’investissement, les marchés internationaux, les migrations, l’aide, la sécurité économique et les institutions qui façonnent l’environnement international, et comme instruments les relations, la négociation, l’influence».
Cependant deux interprétations différentes sont également proposées. La première, la plus répandue chez les spécialistes de relations internationales, n’y voit que l’extension du champ diplomatique traditionnel des États vers le domaine économique, en liaison avec la montée des interdépendances entre les économies. Par contre, la seconde postule que les nombreux changements liés à ce qu’il est convenu d’appeler la «mondialisation économique», bouleversent complètement le cadre de l’action extérieure des États.
De ces deux visions du monde naissent deux représentations de la diplomatie économique.
Selon la vision traditionnelle, initiée essentiellement aux États-Unis, les transformations du monde de ces dernières décennies n’ont pas fondamentalement altéré la nature du système international, qui reste déterminé en priorité par ses acteurs principaux, les États. Certes, la hiérarchisation entre la «haute politique», celle des questions de sécurité, et la «basse politique», celle de l’aspect politique des relations économiques internationales, n’a plus cours. Il est reconnu que l’économie occupe désormais une place centrale dans les relations interétatiques et qu’il existe d’autres acteurs internationaux que les États, en particulier les entreprises multinationales.
Une seconde approche, initiée par les travaux du chercheur britannique Susan Strange, postule, à l’inverse de la précédente, que la capacité des États à définir les règles du jeu économique et social mondial a été largement érodée par la montée du pouvoir relatif des acteurs privés. Cela ne signifie aucunement que les États-nations soient amenés à disparaître et que le système international soit à l’aube d’un monde sans frontières dominé par les entreprises multinationales. Les États restent des acteurs importants et même les entreprises multinationales conservent un ancrage fort avec leur territoire d’origine dans des domaines structurants (financements, origine des dirigeants, recherche et développement…).
Cette conception du système international amène à une définition beaucoup plus large de la diplomatie économique. Celle-ci peut alors être représentée par un triangle délimité par les relations entre États, comme dans le premier cas, mais également par les relations entre États et firmes et par les relations entre firmes.
L’enjeu des relations États-firmes est celui de la compétitivité des territoires et du contrôle de l’activité des entreprises. Alors que les États veulent profiter de la division internationale du travail, quelle que soit l’entreprise qui produit sur leur territoire, les firmes multinationales veulent maîtriser leurs processus de production, quel que soit l’endroit où elles s’installent.
Une telle conception de la diplomatie économique a plusieurs conséquences importantes. La première souligne l’effacement des frontières entre politique interne et action économique extérieure des États. Donc l’État apparaît plus que jamais comme le médiateur entre les stratégies des entreprises, souvent perçues comme une menace, et la cohésion sociale de son territoire. Des politiques généralement considérées comme purement domestiques, comme celles touchant à l’éducation, aux transports ou à la fiscalité, sont désormais discutées dans le contexte de la compétitivité nationale, perçue comme le meilleur moyen de promouvoir la croissance et d’élever le niveau de vie national.
L’efficacité aussi de la diplomatie économique d’un État dépend de sa capacité à mettre en œuvre, en interne, les résultats de ses négociations. Globalement, on peut dire que les États cherchent à passer du welfare state au competitive state, de l’État-providence à l’État compétitif.
Lors du conseil des ministres du 9 avril, «abordant le point de sa communication consacré à la consolidation de la diplomatie économique, le chef de l’Etat, rappelant la quatrième conférence des ambassadeurs et consuls du Sénégal, tenue en décembre 2013, a insisté sur l’impératif de consolider les grands axes de notre politique étrangère et de promouvoir la diplomatie économique, afin d’optimiser le potentiel du Sénégal dans la mondialisation, dans le contexte du PSE. Il a ainsi demandé au Premier ministre de veiller au renforcement de l’organisation et des moyens d’action de notre réseau diplomatique et consulaire, en particulier les bureaux économiques».
Le PSE qui ambitionne de faire du Sénégal un pays émergent à l’horizon 2035 avec une mobilisation de 12 000 milliards de francs Cfa d’investissement public-privé, est opérationnalisé par le Programme d’Actions Prioritaires (PAP) à travers la mise en cohérence des axes stratégiques, objectifs sectoriels et lignes d’actions, aux projets et programmes de développement dans un cadre budgétaire sur la période 2014- 2018. Pour déterminer les actions prioritaires, les lignes d’actions ont été évaluées en fonction de leur apport probable, essentiellement sur la croissance économique et le développement humain durable.
Le taux de mobilisation des financements dans le Plan d’Actions Prioritaires (PAP) donne 26%, soit 960 milliards francs Cfa, pour janvier 2015, et 34%, soit 1 275 milliards de francs Cfa, pour février 2015. Ces 1 275 milliards de francs Cfa concernent principalement les 6 secteurs prioritaires du PSE notamment Agriculture (306,8 milliards), Eau potable et Assainissement (220,6 milliards), Énergie (188,8 milliards), Santé et Nutrition (138, 7 milliards), Infrastructures et Services de transport (125 milliards), Éducation et Formation (113, 2 milliards). Ce qui revient à dire que les objectifs de mobilisation des financements extérieurs, initialement fixés à 20% dans le PAP, sont largement dépassés.
En février 2015, 14 projets phares sont lancés soit un taux d’exécution de 52%. Il y a également 8 projets en phase d’étude (infrastructures routières et ferroviaires, secteur minier, tourisme et pôles industriels intégrés), 5 en phase d’exécution (Habitat, agriculture HVA, électricité, corridor, Hub aérien) et 1 en phase d’exploitation (Zircon). Il y a eu le démarrage du lancement de la construction du parc industriel de Diamniadio et 5 réformes réalisées, soit un taux d’exécution de 29%.
En janvier 2015, c’est la mise en place d’une Fédération des mutuelles de santé et la pose de la première pierre de la deuxième université de Dakar, le mercredi 21.
Aussi pour le mois de mars 2015, le bilan des conseils des ministres délocalisés donne le taux d’exécution des engagements de 52% pour Saint-Louis, 14% pour Kédougou, 38% pour Kaolack, 35% pour Ziguinchor, 28% pour Diourbel, 46% pour Louga, 159% pour Matam, 70% pour Kédougou et 43% pour Tambacounda.
Le premier forum sénégalais sur le financement des projets de type partenariat public-privé (PPP) concernant 20 projets prioritaires sur les 27 du PSE, d’un coût global estimé à plus de 1 587 milliards de FCFA s’est tenu.
En terme de publications, il y a le rapport du FMI sur le Sénégal de janvier 2015 et le rapport de la Banque Mondiale sur la situation économique du Sénégal du 11 février 2015.
Le Plan Sénégal Émergent est très ambitieux et sa réussite dépend, au-delà de son pilotage et de sa gouvernance, de toute la diplomatie sénégalaise. Pour cela, il faudra repenser toute la diplomatie économique à travers des propositions d’actions pour :
• faire de la diplomatie une priorité dans l’organisation de l’outil diplomatique par une instruction prioritaire et permanente du réseau, une partie réservée au Pme, accueillir les investissements étrangers, mettre l’ambassadeur au centre du task force économique dans les postes, une direction spécifiquement dédiée aux entreprises entre le MAE, le MEF et la Présidence et mettre dans les postes diplomatiques des dispositifs simples qui permettront aux entreprises d’exposer en amont leurs attentes, préoccupations et intérêts ;
• développer l’influence diplomatique par une dimension économique renforcée par des visites de niveau ministériel, l’amélioration des liens entre outils d’influence et la promotion des intérêts économiques et choix de personnalités de stature internationale pour accompagner la diplomatie économique ;
• former, recruter en renforçant la dimension économique dans la formation du personnel diplomatique, encourager les profils avec une compétence économique, valorisation et organisation des flux entre secteurs public et économique et intégration d’éléments économiques dans les critères d’évaluation des diplomates ;
• communiquer et s’ouvrir par la communication sur la diplomatie économique par le MAE et le développement d’un dialogue régulier avec les acteurs économiques et sociaux.
Compte tenu de l’importance du PSE pour le décollage économique réel du Sénégal, le MAE, en liaison avec les autres administrations compétentes, a un rôle primordial à jouer dans le cadre de la mission de coordination et de pilotage de son action extérieure.
A cet effet, les notions d’économie sont aussi plus que nécessaires car on ne peut pas parler de mouvements internationaux de capitaux sans signaler la part croissante de l’argent sale dans le système financier international. A la drogue et autres trafics en tout genre (armes, matériel nucléaire, immigration illégale…) s’ajoutent les capitaux des détournements de revenus fiscaux et l’argent de la corruption publique. Il est difficile, par nature, de chiffrer l’ampleur de ces capitaux internationaux mais on estime que le montant des ventes des seuls trafics s’élèverait à 800 milliards de dollars par an dont 320 milliards seraient blanchis par le système financier international. Ce qui représenterait l’équivalent d’environ 16 % des mouvements de capitaux internationaux officiellement connus.
Force est de constater que la mondialisation économique a modifié les conditions d’exercice et les rapports de force de la diplomatie économique. Trois résultats peuvent être mis en évidence. D’abord, les États ont perdu de leur pouvoir relatif d’influence au profit des acteurs économiques privés. Ensuite, le bref passage en revue des différentes stratégies étatiques a montré la capacité différente des États à agir dans le jeu de la diplomatie économique et donc sur leurs propres sociétés.
Le Sénégal peut atteindre les objectifs du PSE à la seule condition de repenser toute sa diplomatie économique.
Ben Yahya Sy est membre de la Convergence des Cadres Républicains France/Sénégal