DJIBO KÂ SUR LES POURSUITES PAR LA CREI: “UNE LOI, MÊME MAUVAISE, DOIT S’APPLIQUER À TOUS”
Le Secrétaire général de l’Union pour le renouveau démocratique parle de l’arrestation de Karim Wade. Pour lui, l’Etat a donné une dimension «très politicienne» à cette affaire. Cependant, consent-il, la loi doit s’appliquer à tous, tant qu’elle n’est pas abrogée. En visite à Saint-Louis, samedi dernier, le député a approuvé la proposition de l’élection des maires au suffrage direct, mais suggère qu’elle soit étendue à la désignation des conseils ruraux.
Quelle appréciation faites-vous de la Cour de répression de l’enrichissement illicite ?
Tout d’abord, tant que la loi existe, elle doit s’appliquer à tout le monde. Je rappelle au gouvernement la présomption d’innocence, les droits de la défense et les droits de l’Homme. Un Etat crédible doit respecter ces principes. Il faut rappeler que l’arrêt de la Cedeao trouve illégal que des citoyens soient interdits de sortir du territoire national. Je souhaite que le Sénégal l’applique sans honte ni faux-fuyant, pourvu qu’il soit un Etat de droit sérieux qui honore sa signature. Ce traité de la Cedeao nous lie en tant qu’Etat-partie. C’est cela mon commentaire définitif.
Faites-vous alors partie des ceux qui pensent que la Cedeao doit suspendre le Sénégal ?
C’est l’Etat qui doit être sérieux et son respect doit être dû à lui-même et à son Peuple. La charte de notre pays prévoit, depuis 1960, que le Sénégal est prêt à renoncer à une partie de sa souveraineté pour l’Unité africaine. C’est dire que nous sommes engagés depuis longtemps pour cette unité. La Cedeao est notre création de toutes pièces. C’est dommage qu’on en soit arrivé à nous poser la question de savoir s’il faut appliquer ses décisions parce que ses juges n’ont aucun moyen de coercition sur l’Etat du Sénégal. C’est une question de principe, de morale, d’étique, et de respect de soi-même.
Quelle lecture faites-vous de l’affaire Karim Wade ?
Une loi, quelle qu’elle soit, même si elle est mauvaise, tant qu’elle n’est pas abrogée, elle doit s’appliquer à tous. Et c’est le cas aujourd’hui. Karim Wade, tant qu’il n’est pas définitivement condamné, est présumé innocent et, en tant que tel, n’a commis aucun délit pour l’instant. Il lui appartient, selon la loi, de prouver son innocence ; donc le renversement de la charge de la preuve. Si une loi est décriée, c’est qu’il y a quelque chose qui ne marche pas. En tant qu’être humain, ses droits doivent être respectés et ses avocats le défendront sans aucune restriction par le droit. Cela dit, Karim est comme vous et moi, à la seule différence qu’il s’appelle Wade. Et ce n’est pas de sa faute.
Partant de l’affaire Karim Wade et de la question du patrimoine, ne pensez-vous pas que le Sénégal devrait suivre l’exemple de la France pour moraliser la vie politique ?
Peut-être. Mais je me demande à quoi servent les corps de contrôle (l’Ige la Cour des comptes, l’Armp, la Centif) qui sont pourtant efficaces. Donc, je ne crois pas, si tous ces organes de contrôle travaillent en amont et en aval, que quelqu’un puisse s’enrichir à hauteur de 700 milliards. Il faut qu’ils apprennent aussi à s’autosaisir ; sans quoi, ils filent droit vers la mort. Mais encore une fois, Karim Wade est innocent tant qu’il n’est pas condamné. La déclaration de patrimoine est une bonne chose, mais faudrait-il qu’on l’encadre par une instance indépendante de tous les pouvoirs : éxécutif, législatif et judiciaire. En même temps, il faut que, désormais, les candidats à la Présidentielle fassent leur déclaration de patrimoine et non après, a posteriori. Ce serait le médecin après la mort. Les Français se sont réveillés, il y a quelques jours, avec l’affaire Cahuzac et c’était la panique et l’affolement. J’ai entendu les gens parler à gauche et à droite. C’est une question de principe et de bonne gouvernance. Quand on est nommé à un poste de responsabilité, on doit faire une déclaration de patrimoine. Moi qui vous parle, j’ai plusieurs fois déclaré mon patrimoine, mais ce n’est pas suffisant tant qu’il n’y a pas cet encadrement. Un Mademba ou un Massamba peut déclarer un patrimoine sous-évalué. Il ne suffit pas de s’en contenter ; il faut effectuer un travail de vérification.
Le Pds prépare une manifestation pour dénoncer l’arrestation de Karim Wade. Qu’en dites-vous ?
Je comprends le Pds, qui se défend d’ailleurs très bien même. Je l’encourage. Il faut dire que c’est l’Etat qui a tort d’avoir donné une dimension très politicienne de cette affaire. C’est une justice des vainqueurs. Il y a beaucoup de choses bizarres et de non-dits dans cette affaire. Pourquoi tant de bruit ? Mais puisque c’est une affaire pendante devant la justice je m’en arrête là.
On parle beaucoup de bonne gouvernance, mais il y a des cas de marchés de gré à gré signalés. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Bonne gouvernance signifie appliquer la loi, toute la loi. «Sobriété», a dit le Président Macky Sall. Je dis bravo, mais qu’il prouve qu’il est sobre en tant que gouvernement. Tel ne semble pas être le cas. Virtuose non plus ! Hier (samedi dernier), la presse sénégalaise a fait état de marchés de gré à gré dans plusieurs universités sénégalaises : Bambey, Sine-Saloum, Tambacounda. Des marchés, dit-on, attribués à des Américains à coût de milliards, alors que des entreprises sénégalaises sont là, prêtes à travailler pour leur pays. Ça leur passe sous la barbe. Sous Wade, il n’y avait même pas 24% de marchés de gré à gré. Aujourd’hui, il y a plus que cela en moins d’un an. Qui dit mieux ? On n’a encore rien vu. Je le condamne fortement. L’Armp se tait et je ne sais pas pourquoi. Il faut qu’on dise aux gens ce qui se passe. Un Etat debout respecte sa parole.
L’une des promesses du candidat Macky Sall a été aussi de réduire le coût des denrées de première nécessité. Après un an d’exercice, a-t-il tenu promesse ?
C’est une catastrophe à Dakar au marché Sandaga, Kermel, Tilène, partout au Sénégal ! Les Sénégalais crient leur ras-le-bol. Les femmes sont fatiguées ; elles vont au marché sans sou ou avec des sous ramassés par-ci, par-là au gré des efforts de leur mari ou de leur famille. Les denrées sont devenues beaucoup trop chères et c’est dommage qu’on en soit arrivé à cette situation très grave. Hier, j’ai lu dans la presse que la balance commerciale de notre pays est en train de se creuser. Nous avons 163 milliards de déficit commercial et il s’y ajoute que l’oignon est là, invendue parce qu’ils n’hésitent pas à délaisser les produits locaux pour s’alimenter ailleurs. Cela nous a menés à cette impasse économique. Si Macky Sall veut réussir son mandat, il doit dire aux Sénégalais la vérité, rien que la vérité, clairement, courageusement et avec beaucoup de force en réglant la question du coût de la vie, de l’électricité, de l’agriculture, de l’élevage, de la bonne gouvernance, de l’emploi des jeunes.
Les annonces fortes du Président lors de son discours du 3 avril dans le secteur de l’énergie ne sont-elles pas un début de solution aux coupures intempestives ?
J’espère bien. Je prie que Dieu le fasse ! Je ne veux que le bonheur des Sénégalais et des Sénégalaises. J’attends de voir. Je lui ferai confiance dans ce cas là.
En direction des Locales, êtes-vous de ceux qui pensent que les maires doivent être élus au suffrage universel direct?
J’ai entendu dire, il y a quelques jours, qu’il y aura une proposition de loi qui ferait que le maire soit élu directement par les populations concernées. Je dis bravo parce que cela réduit la corruption. Mais il faut l’étendre aux conseils ruraux pour une démocratie intégrale à la base. Il faudra veiller à ce que les partis politiques s’en mêlent. Il appartiendra aux populations de s’organiser librement.
Comment l’Urd compte-t-elle aborder ces élections locales ?
On y travaille déjà. Nous ne sommes pas prêts à y aller avec n’importe qui. Chaque parti doit se peser d’abord. Je suis conscient que les coalitions sont à la mode. Si c’est possible d’aller en coalition, nous le ferons. A défaut, l’Urd se présentera seule. Ce sont les bases, qui sont les chefs de parti, qui décideront de la formule à adopter. Dans tous les cas, nous veillerons, en cas de coalition, à être bien positionnés.
Peut-on s’attendre à une alliance avec l’Apr ?
A priori je n’ai pas pensé à cela, mais cela dépendra de la base. Si dans une zone X, l’Apr veut travailler avec nous, pourquoi pas ? Si cela ne dépendait que de moi, aucun parti ne serait exclu.
Vous êtes député à l’Assemblée nationale. Avez-vous le sentiment, après un an de fonctionnement, qu’il y a une véritable rupture ?
Bien sûr qu’il y a une grande rupture : depuis quatre mois, l’Assemblée ne bouge pas. En termes de rupture, on ne voit rien. Des députés ont posé des questions orales. Personnellement, j’en ai posé quatre. D’autres, des questions d’actualité, mais rien ne bouge. On attend que l’Exécutif nous fasse travailler. C’est dommage ! C’est cela la rupture. Il y a de grands patriotes qui ne demandent qu’à travailler, mais tout est bloqué. Et je ne sais pas où ?