DUEL AU SOMMET DU PS
Ils étaient ensemble au pouvoir avant 2000. Ils se sont retrouvés ensemble dans l'opposition après 2000. Solidaires dans les premières années de braise post-alternance avec un parti en déconfiture, ils sont devenus des rivaux depuis 2009. Ainsi le combat qui se joue au Parti socialiste (Ps) offre un drôle de paradoxe. La fêlure de 2009, occasionnée par la problématique de la candidature socialiste à la présidentielle de 2012, a fini par se muer en une fracture ouverte entre Ousmane Tanor Dieng et Khalifa Sall. Même si les antagonistes préfèrent sous-traiter ou différer leur différend par le biais de leurs jeunes loups, il appert que le duel à fleurets mouchetés fera bientôt place à une confrontation fratricide.
Le feu couvait sous la cendre après que Khalifa a été élu, en 2009 lors des élections locales, maire de Dakar. Voilà que le nouveau premier magistrat de la capitale sénégalaise commence à montrer des signes de rébellion quand il s’est agi de choisir le candidat socialiste à la présidentielle de 2012. Il considère que c'est le moment de montrer que le secrétaire général du Ps peut bien être le rival de l’édile de Dakar pour prétendre à la magistrature suprême.
Le poste de maire de la puissante ville de Dakar peut constituer une antichambre pour s’ouvrir les portes du palais Léopold Sédar Senghor. Dès lors, le nouveau maire acquiert le statut d’un potentiel leader du Ps prêt à briguer la présidence de la République. Son réseau de relations commence à se densifier et des lignes de fissure commencent à se dessiner au sein du Ps.
En 2009, les premières grenades ont été dégoupillées par Aïssata Tall Sall, maire de Podor par ailleurs porte-parole du Ps, lorsqu’elle tient au micro de RFI un discours fractionniste en ces termes : «je suis dans les dispositions pour me présenter aux prochaines échéances électorales au Sénégal. Rien ne s’y oppose».
Elle présume donc que le secrétaire général n’est pas obligatoirement et naturellement le candidat du Ps à l’échéance électorale de 2012. Elle assène péremptoirement «qu’il y aura bien des primaires pour la désignation de leur futur candidat». Comme dans une stratégie de communication bien pensée, le maire de Dakar tient subséquemment le même discours à la même radio.
Ces deux postures analogues, dans leur fond, laissent croire qu’Aïssata n’est que l’instrument-balise de Khalifa. Mais comme un renard politique, Tanor attendait les primaires décisives pour écraser tout potentiel candidat rival. Après les primaires socialistes qui consacrent Tanor candidat socialiste seul à la présidentielle de 2012, le fossé se creuse entre les ténors.
Le maire de Dakar, écarté de la direction de campagne du secrétaire général, bat mollement campagne pour son candidat lequel se sera classé, au premier tour de la présidentielle, 4e homme politique à Dakar après Abdoulaye Wade, Macky Sall et Moustapha Niasse. Ce résultat humiliant est perçu comme un véritable camouflet pour le parti qui gouverne à Dakar.
Le «gouverner ensemble» de Tanor contre «chacun doit retourner dans son parti» de Khalifa
Après l’élection de Macky Sall à la présidence de la République, Khalifa Sall, pour mieux avoir politiquement les coudées franches, n’a pas accepté de se faire remorquer par la locomotive hétéroclite de Benno bokk yaakaar lors des législatives. Si Tanor réaffirme son ancrage au sein de cette coalition de coalitions et croit au leitmotiv «gagner ensemble, gouverner ensemble», Khalifa Sall opte pour une démarche solipsiste.
«Macky Sall n’a pas besoin d’être encombré par sa majorité. Chacun doit retourner dans son parti, le réorganiser et le redynamiser», a-t-il martelé à ceux qui suivent le président comme son ombre. Pour prendre de plus en plus ses distances de l’establishment socialiste, le secrétaire à la vie politique du Ps fustige l’exclusion par le bureau politique, en son absence, de Malick Noël Seck.
Mais depuis que l’Acte III de la Décentralisation a été voté par les députés socialistes, à l’exception d’Aminata Diallo (pro-Khalifa), sans discussion préalable au sein du Ps, les relations entre les deux responsables socialistes semblent avoir atteint un point d’orgue. Khalifa Sall n’a pas apprécié l’attitude béni oui-oui de Tanor vis-à-vis de Macky Sall au point de laisser ce dernier biffer toutes les réformes locales initiées par Senghor et Diouf.
Aujourd’hui, il est plus question de l’avenir politique décisif de Khalifa Sall surtout à la présidentielle de 2017. Mais cela semble être compromis avec le comportement ambigu de Tanor qui refuse de clarifier sa position sur son retrait de la tête du Ps. S’il avait déclaré à la veille de la dernière présidentielle qu’il tirerait sa révérence après la présidentielle de 2012, quelle que soit l’issue de ladite élection, aujourd’hui ses faits et gestes laissent croire à une rétractation discursive.
Une telle posture floue, les seconds couteaux du maire de Dakar ne sauraient l’accepter parce que, pour eux, le Ps est actuellement dans une position figée, congelée, amorphe. Le duo Youssou Mbow-Aminata Diallo anime chez les jeunes socialistes ce front anti-Tanor. Ils multiplient leurs sorties médiatiques virulentes pour disqualifier leur secrétaire général qu’ils jugent incompétent de continuer à porter le projet socialiste après avoir s’être drossé successivement à trois reprises sur l’écueil de la défaite électorale (2000, 2007 et 2012).
Pour une question de cohérence politique, ils ont considéré que Tanor ne peut être à la tête d’un Ps conquérant et servir concomitamment de porte-serviette à Macky Sall. Selon eux, si une telle attitude courtisane persiste jusqu’à la veille de la prochaine présidentielle, la candidature du Ps en 2017 risque d’être plombée et compromise, faute d’un projet politique clair, pertinent mais contradictoire.
Pour leur audace, ces jeunes hérétiques ont même failli être condamnés par le tribunal inquisitorial du Ps où semble régner une bien-pensance qui guillotine toute position ou idée contraire celles de leur mentor.
Du côté des pro-Tanor, seul l’actuel président des Jeunesses socialistes, Barthélemy Dias, avec en appoint timide Abdoulaye Wilane se fait entendre pour contrecarrer l’offensive de ses camarades.
Ainsi, le rythme des attaques vitriolées des pro-Khalifa contre le secrétaire général et la virulence des admonestations des pro-Tanor à l’endroit du maire de Dakar préfigurent du mortal kombat imminent entre les deux éléphants.
Un état-major politique arc-en-ciel pour Khalifa
Khalifa Sall qui croit en son destin politique s’est déjà constitué un état-major politique arc-en-ciel avec Moussa Tine (secrétaire général de l'Alliance démocratique/Penco), Moussa Sy (maire des Parcelles Assainies), Yoro Bâ (secrétaire général du Jëf Jël), Abdoulaye Makhtar Diop (secrétaire général du Surs). A ceux-là s’ajoutent ses camarades de parti comme Moussa Taye (coordonnateur de Vision socialiste), Alioune Ndoye (maire de Dakar Plateau), Bamba Fall (adjoint au maire de la Médina), et Babacar Diop (coordonnateur du Mouvement And Dolel Khalifa).
Aïssata Tall Sall, qui nourrit des ambitions présidentielles mais encore inavouées, serait encline à apporter son soutien à Khalifa Sall lors de la confrontation finale à moins que l’actuel secrétaire général socialiste annonce clairement que son avenir politique est derrière lui. Si Serigne Mbaye Thiam, Aminata Mbengue Ndiaye, Abdoulaye Elimane Kane, Cheikh Seck et Aïda Sow Diawara n’ont pas encore pris manifestement parti sur le différend qui oppose Tanor à Khalifa, il est clair qu’ils font partie de la garde prétorienne du secrétaire général du Ps.
En attendant, c’est le président Macky Sall, obnubilé par un second mandat, qui tire profit d’une telle situation de containment, laquelle divise les socialistes pour lui permettre de mieux régner et de préparer sereinement la prochaine présidentielle.