DUR AU DOUX ?
RAP ET AMOUR
De plus en plus, des rappeurs parlent d’amour dans leur chanson. Une posture que l’on ne voyait pas de ce milieu où, dans la perception générale, chacun devait faire le dur. Ils ne sont pas seulement des durs.
Désormais, le « ring » du hip hop s’est assagi. Il est aussi squatté par des rappeurs « sensibles ». Des Mc qui n'hésitent pas à mettre leur fragilité en avant, en poussant la chansonnette plus loin jusqu’à parler de leurs émotions. Dans le milieu très rustique, les positions sont vite prises, le sentiment partagé entre amour et haine.
Amour de la part des adeptes de ce genre de musique plus ouvert sans tabous, ni restriction. Haine, venant de ceux qui incarnent le rap dur, le "hardcore". Ces rappeurs qui parlent d’amour, étaient autrefois le genre qu'on adorerait détester.
Et pourtant, on ne peut pas, car le cœur reste toujours sensible aux appels. En effet, on considère le rappeur comme un gros dur qui s’est fait à la force du poignet. Un homme incubé par le cursus classique, parti de rien. Un monsieur qui trouve la rédemption par la musique. D’autres n’ont pas fondamentalement ce sentiment et pense que le rappeur doit adoucir sa musique, pour parler sentiment.
Ce qu'on reproche paradoxalement à ces rappeurs « amoureux », au fond, c'est de ne pas rentrer dans la case habituelle du rappeur « hard ». En d'autres termes, qu'on le veuille ou non, la querelle que se livrent ces rappeurs à travers leurs chansons découlent essentiellement de la différence de leur orientation lyrique.
Comprendre les valeurs qui caractérisent un style musical ne doit pas se faire de façon manichéenne. Il s’agit tout d’abord de comprendre l’origine du rap et l’attrait qu’il représente pour ceux qui en font, et ceux qui l’écoutent. Cette musique parlait, il y a quelques années, de problèmes sociaux (intégration, religion, sexualité...), qui ont souvent lieu dans certaines zones.
Cette « violence » dans le propos est ainsi exprimée, car elle existe. Mais, il serait trop simpliste de qualifier le rap d’exutoire alors qu’il exprime, avant tout, une part de la vie humaine et sociale. Cette musique, dans son essence, parle aux marginaux, aux exclus, à ces jeunes et moins jeunes qui ne se reconnaissent pas dans les institutions.
Car celle-ci les a oubliés, il y a bien longtemps, selon les propos des rappeurs. Ces hommes qui expriment leur désarroi face à leur exclusion sociale, face au sentiment d’être oubliés par la société, face à la dureté de leur réalité quotidienne, de façon violente et destructrice, manifestent par là leur désir de changement.
Néanmoins, celui qui pense que le rappeur est insensible, incapable de débiter des mots qui viennent et sont destinés au cœur, c’est avoir une idée réductrice de cette musique.
A ceux-là, on a juste envi de leur demander s’ils ont écouté « Solange » de Da Brains, avec les envolées de Bakhaw, « Khale bi » de Keyti, l’homme du journal rappé, ou encore «Man ak Yaw» de Degge Tee, l’artiste aux sept voix. Ces derniers, chacun en ce qui le concerne, ont déclamé une flopée de mélodies où le doux fait oublier le dur que l’on accole à ce milieu musical.