ELIE CHARLES MOREAU, LE CREDO POETIQUE
lire et penser
Voici près de vingt ans que Eli Charles Moreau se collecte avec les mots en un lyrisme souvent échevelé. Avec le temps, il semble que cette fois ci, vraiment, il ait trouvé sa forme, son rythme, son timbre. Nous nous associons donc avec plaisir à l´enthousiasme de notre collègue Mamadou Ba et invitons nos lecteurs à plonger sans réserve dans "Y´en a marre" et dans "Saint Louis est un infini poème d´amour".
Elie CHARLES moreau, homme du livre et des livres, lancé à corps perdu dans une aventure intellectuelle et éditoriale, mais dont la poésie sous toutes ses formes constitue le fil rouge de la vie, vient de publier coup sur coup deux ouvrages. Dans l’un, il déclare sa flamme à son Saint Louis natal et il crie son raz le bol dans l’autre, confirmant du coup qu’est poète celui qui est habité par une soif inextinguible d’écrire et dont l’existence toute entière est au service de l’écriture et des mots.
Saint Louis est un infini poème d’amour est d’abord un chant d’amour intense, une ode lyrique enflammée adressée au berceau de la civilisation urbaine sénégalaise, haut lieu de raffinement et icône mythique de notre modernité. Enjamber le pont Faidherbe est une sorte de rituel initiatique qui fait pénétrer dans une ville métaphore d‘un mode de vie dont les effets de fascination vous suivent longtemps. Peut être parce que plus que toute autre cité, Saint Louis est le lieu géométrique de rêves et de souvenirs, il est impossible de se désenvouter de la magie de cette ville enchantée, invite permanente au rêve et à l’émerveillement. « Saint Louis c’est une ville que traverse un fleuve.
Comme chacun, Moreau porte, lové en lui, son Saint Louis intérieur, dont il exhume les strates enfoncées dans les palimpsestes de sa mémoire. Les images remontent à la surface du texte, et imposent un monde, un rythme, un fantasme, le milieu velouté de son Saint Louis natal, dont la fascination ne se referme qu’en se prolongeant jalousement sur elle-même. Moreau, par des touches de grâce successives, restitue les paysages, les saveurs, les parfums, le singulier d’une ville qui colore définitivement l’existence de ceux qu’elle a pris dans ses bras, en une étreinte qui dure pour toujours. Moreau refuse la muséification d’une ville qui, telle une barque luttant contre un courant qui la rejette sans cesse vers l’autrefois ,refuse, malgré sa face intemporelle, que son destin ne se conjugue plus qu’au passé.
Le poète a su magnifier la splendeur de ce Saint Louis éternel,sa véritable muse et le pivot de sa géographie cordiale, mais un Saint Louis où la confiance est encore accordée à l’avenir. Vivre, écrire, aimer est la trinité indissociable qui anime l’existence de ce poète pour qui écrire c’est se rendre présent et attentif à tout ce qui existe. Moreau éprouve l’ardente nécessité et en permanence, littéralement et dans tous les sens, de se colleter au réel. Ce sens suraigu du réel l’appelle à descendre dans l’arène de l’actualité afin de libérer ce qui ne demandait qu’à surgir. Il s’agit pour lui, instruit par l’exemple des rappeurs de « Y’en a marre » d’approcher, d’évoquer, de créer son indignation, d’inoculer de violents constats.
La voix intransigeante, énergique et chaleureuse de Moreau est, non pas celle d’un idéologue, mais celle d’un poète réfractaire à toute compromission, vigie radicale qui tient le lecteur en alerte pour le désaveugler afin de retrouver ensemble le cap . « Marre ! Y’EN A MARRE !... Et marre et marre et marre !.. Que nous ne changions pas encore. Et que la patrie tarde toujours à se mettre aux couleurs de notre impatiente ivresse à changer de présent et à cohabiter en paix avec l’à-venir. »
Vitalité intempestive d’une écriture fougueuse aux ressorts pulsionnels, composée de longues coulées poétiques entrecoupées d’incises, moulées dans une langue classique, fouillant tous les recoins de nos plis collectifs pour les passer aux rayons x afin de réveiller le sens des principes. Immédiateté d’une écriture foudroyante toujours en mouvement, qui tournoie avec ses admirables formules en vrac, son sens de l’étymologie, ses mots valise, qui applique ses acides, prescrit ses ordonnances poétiques et assène ses convictions éthiques. Les foudres poétiques s’abattent envers et contre tout. Contre l’exil des valeurs.
Contre l’abrutissement général. Contre l’affaissement des énergies. Contre toutes les formes d’abdication ou de démission. Au creux de cette charge héroïque menée par un franc tireur pour qui « il n’est d’écriture que de dissidence » et qui dispose de la capacité à lire dans le bouillonnement de la réalité les signes du futur, se postule un renouveau moral.
L’énergie, l’audace, l’ambition de cette écriture qui, à coup d’invectives, nous tend des bâtons de paroles pour fouetter nos inerties et tourner la subversion en acte salvateur, nous forcent à nous indigner, c’est à dire selon l’étymologie, à rendre sa dignité à ce qui été déchu, rappelant ainsi que le contraire de l’indignation n’est pas la raison, mais la résignation.
Ce coup de cœur et ce coup de gueule simultanés portés par deux textes où resurgissent pourtant ici et là les mêmes motifs, les mêmes obsessions, les mêmes tics d’écriture (phrases tirées à quatre épingles alternent avec des formules d’une précision chirurgicale) attestent que, comme tout authentique poète, et Moreau en est un, la vraie vie est dans l’ œuvre de création. Ces deux recueils confirment que Moreau est une des voix majeures de la poésie sénégalaise contemporaine. « Je parle au nom de onze millions de citoyens, marris de frustrations, désenchantés, sevrés de promesses, mal revenus de toutes les illusions, et qui n’auront plus de cesse de hurler « y’en a marre ».