EMPLOIS FICTIFS
Mme Aminata Tall, présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese), piquée au vif par une remarque du journaliste Ibrahima Ndoye, Conseiller spécial du chef de l’Etat, a estimé devoir faire dans le déballage en révélant que le même Ibrahima Ndoye percevait deux salaires : un payé par la présidence de la République et un autre par le Cese.
Ibrahima Ndoye reprochait à Aminata Tall, au cours d’une réunion politique, de ne pas s’investir politiquement en faveur du Président Macky Sall, en dépit des avantages qui lui sont octroyés.
Pour clouer le bec à «l’impertinent», Aminata Tall fera une révélation de tonnerre. C’est peut être de bonne guerre, mais il faut dire que la même Aminata Tall s’accuse du coup gravement. Elle avoue ainsi être la complice active d’un détournement de deniers publics.
Aminata Tall a été ministre d’Etat, Secrétaire générale de la présidence de la République, au moment où Ibrahima Ndoye prenait ses fonctions de Conseiller spécial au Palais de l’Avenue Léopold Sédar Senghor ; des fonctions qu’il continue de garder.
Mieux, Aminata Tall et Ibrahima Ndoye avaient développé de telles complicités à la présidence de la République que la présidente du Cese lui fera la fleur de lui donner un «contrat spécial» au niveau de cette nouvelle institution et lui versait ainsi régulièrement un salaire que la presse estime à plus d’un million de francs Cfa, en sus de certains autres avantages.
Ce n’est donc pas maintenant qu’elle découvre les deux salaires de Ibrahima Ndoye. Aminata Tall n’est pas non plus sans savoir les avantages que le Premier ministre Abdoul Mbaye procurait concomitamment au même Ibrahima Ndoye ; avantages jusqu’à la garde-robe ! C’est dire qu’en jetant Ibou Ndoye en pâture, Mme Aminata Tall se tire en même temps une balle dans le pied. Mais n’empêche, on le réitérera encore dans ces colonnes : «Déballez, la République ne s’en portera que mieux !».
Franchement, quelle leçon de bonne gouvernance publique, d’éthique de gestion et de probité Aminata Tall peut- elle donner dans ce pays ? Il reste cependant que cette petite querelle entre amis a le mérite qu’un salaire indûment payé sur les deniers publics a été désormais coupé. Mais on se demande combien de salaires du genre continuent encore à être indûment payés ?
Les emplois fictifs sont légion dans les institutions de l’Etat. Ils sont nombreux les conseillers, chargés de missions qui émargent à la fois, tous les mois, dans plusieurs institutions publiques comme la présidence de la République, l’Assemblée nationale, le Cese, les collectivités locales, naguère le Sénat et le Craes, les entreprises publiques et les Agences de l’Etat. D’aucuns sont rétribués sous un régime indemnitaire et de tels revenus sont inconnus du fisc. Certaines personnes gardent même des salaires dans le privé.
Cette mauvaise pratique jure d’avec les engagements d’une «gestion sobre et vertueuse» prônée par le Président Macky Sall et elle continue à avoir libre cours. Il est vrai que cela ne constitue pas une nouveauté qui commencerait sous l’ère de la gouvernance de Macky Sall. Qui ne se souvient pas d’un rapport de l’Inspection générale d’Etat sur la gestion gabegique de la Lonase sous la férule d’un certain Baïla Wane ?
Par exemple, de grands journalistes qui officiaient dans des rédactions de presse, étaient en même temps salariés de la Lonase. Qui ne se souvient non plus des dizaines d’emplois fictifs que les Aéroports du Sénégal (Ads) avaient octroyés à des proches du ministère d’Etat Karim Wade?
Les personnes bénéficiaires de ces emplois fictifs défilent présentement devant la barre de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Les déboires judiciaires des Baïla Wane et des anciens «amis» de Karim Wade devraient servir de leçons aux tenants actuels du pouvoir.
Aussi, en France, l’ancien Président Jacques Chirac et son Premier ministre Alain Juppé, entre autres, avaient été rattrapés par un scandale du genre, celui des emplois fictifs de cadres de leur parti, le Rpr, au niveau de la mairie de Paris du temps où Jacques Chirac était édile de la capitale française.
«On parle d’emploi fictif lorsqu’une personne perçoit une rémunération pour une activité qu’elle n’exerce pas, par exemple en poursuivant des activités partisanes ou militantes au lieu d’effectuer le travail pour lequel elle est censée être rémunérée, ce qui est un délit». Le Président Macky Sall ne peut plus prétendre ignorer l’existence de telles pratiques au niveau le plus élevé de l’Etat.
Il lui incombe alors de chercher à y voir plus clair et d’y mettre un terme. L’audit des fichiers de la fonction publique sénégalaise avait permis au budget national de réaliser de grosses économies, et la démarche avait été saluée par tous les partenaires au développement et avait inspiré d’autres pays. Il s’avère donc nécessaire de faire le ménage dans les emplois fictifs d’une certaine clientèle politique.
Nous voudrions refuser de croire que le Président Sall cautionnerait cette pratique, car sa responsabilité pourrait être engagée au moment où il ne jouira plus d’immunité liée aux fonctions de président de la République. On ne peut pas traquer des enseignants fictifs ou des étudiants fictifs et fermer les yeux sur des emplois fictifs de personnels politiques. Un salaire indu d’un «en haut de en haut», représenterait-il combien de bourses payées à des étudiants réels ?