"EN POLITIQUE, IL FAUT RESTER SUR TERRE ..."
MANKEUR NDIAYE, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Ministre des Affaires étrangères et membre de la Direction de l'Alliance pour la République (APR), Mankeur Ndiaye lève le voile sur certains aspects de la Diplomatie sénégalaise caractérisée depuis 2012 par une politique de proximité et de bon voisinage. Invité hier à “La Table de la Presse”, un nouveau cadre d'échanges mis en place par des journalistes, Mankeur Ndiaye revient largement sur l'intérêt accordé à nos voisins, la situation en Guinée Bissao, les Accords de partenariat économique (Ape) etc. En tant que responsable politique de l'APR, Mankeur Ndiaye évoque aussi les sujets brûlants de l'actualité politique, comme les élections locales, la transhumance, les relations avec les alliés etc. Extraits...
Les Accords de partenariat économiques
On a l'accord mais le Nigeria a posé quelques problèmes techniques. On a créé un Comité technique composé du Sénégal qui est superviseur technique, du Ghana, de la Côte d'Ivoire et du Nigeria qui a un intérêt à défendre. Le Nigeria va soumettre ses griefs au Comité qui va soumettre son rapport au Président en exercice de la Cedeao. Mais il n’y aura plus de réunion car il y a un deadline accordé exceptionnellement par l'Organisation mondiale du Commerce (OMC).
D'ici le 1er octobre, nous sommes absolument tenus de conclure avec l'Union européenne. Le Nigeria peut ne peut être d'accord mais je pense qu'on va trouver un consensus. C'est le secteur privé nigérian qui est réticent pour plusieurs raisons. Le Nigeria a une industrie pharmaceutique qui se développe et ils avaient aussi pensé que le montant alloué par l'Union européenne n'était pas suffisant pour 5 ans. On a eu la confirmation que le montant de 6,5 milliards d'euros va être reconduit pour 20 ans.
Donc au total, cela fait beaucoup plus que la Cedeao avait demandé. Si on en était resté dans les crispations initiales, la Côte d'Ivoire et le Ghana qui dépendent du Cacao et qui sont des pays à revenus intermédiaires allaient prendre une autre direction et donc il n y aura plus de tarif extérieur commun (...) Ce qui est important de savoir, c'est que le temps est venu de s'ouvrir. On ne peut pas continuer à s'enfermer. Et puis l'ouverture est progressive.
C'est sur 20 ans. Nous avons tout ce temps pour nous mettre à niveau. Et l'ouverture dépend des produits. Notre budget dépend de la fiscalité. Les calculs qui ont été faits permettent à des pays comme les nôtres de pouvoir supporter cette ouverture. Le monde a changé, c'est la globalisation. On est tenu de s'ouvrir. Il faut juste que cette ouverture se fasse de manière encadrée.
Absence de nos voisins immédiats au défilé du 4 avril
C'est le premier 4 avril sous le magistère de Macky Sall marqué par un défilé... Jusque-là ce sont des prises d'armes. Cette année il a voulu faire un défilé. Et on a pensé inviter le Président de la Namibie qui avait aussi invité le Président Macky Sall à la journée des Héros qui avait marqué le début de la lutte pour les Indépendances. L'invité d'honneur doit être unique pour que cela ait un impact (...).
Des chefs d'Etat ont pensé qu'ils avaient été écartés mais ils ont compris lorsque nous leur avons expliqué (...) qu'on n'a jamais pensé inviter d'autres chefs d'Etat que le président namibien (...) Pourquoi nous avons invité la Namibie ? Le Sénégal a beaucoup fait pour la Namibie en soutenant le mouvement de libération qu'était la Swapo. Et l'actuel président de la Swapo est celui qui a installé le bureau de la Swapo à Dakar.
Alors il faut savoir qu'il y a d'autres dirigeants namibiens qui avaient des passeports diplomatiques dont Sam Nujoma, le président namibien ainsi que l'actuel ministre des Affaires étrangères. D'autres dirigeants namibiens avaient un passeport diplomatique sénégalais. Et s'ils ont invité le Président Macky Sall à leur fête de libération, c'est vraiment pour exprimer leur gratitude au peuple sénégalais pour le soutien sur le plan diplomatique, sur le plan logistique et sur le plan militaire.
Et c'est le Président Senghor qui a fait cela. C'est pourquoi quand on juge Senghor, il faut vraiment relativiser... Et ce clin d'oeil nous permet de développer une meilleure coopération dans une zone où on est absent. La seule représentation que nous avons aujourd'hui, c'est l'Afrique du Sud qui était fermée d'ailleurs alors que Mandela était président. Donc on est absent dans la zone. La Namibie a décidé d'ouvrir une ambassade à Dakar.
On a signé beaucoup d'accords dans le domaine touristique. La Namibie est très pointu dans l'écotourisme. On va développer une coopération dans la gestion des parcs nationaux. Cela fait sourire les Namibiens quand nous comptons le nombre d'éléphants que nous avons. On a Niokolokoba qui n'a pas plus de 5 lions, dix éléphants. Ensuite ils nous demandent de leur envoyer du personnel médical, des infirmiers, sages-femmes etc.
La Namibie, c'est un grand pays du point de vue de ses 800.000 kilomètres carrés de superficie mais avec une population de 2 millions d'habitants. Nous avons auss prévu de partager notre expérience dans la lutte contre le sida parce que le taux de prévalence y est important alors que le Sénégal a donné les preuves de ses capacités dans la gestion de la pandémie.
Il y a des contacts entre les deux ministres de la Santé. Il nous faut être présent en Afrique australe. Nous sommes dans la même veine, en train de développer une coopération économique avec l'Afrique du Sud. Nous avons une commission mixte. Nous travaillons avec ce pays dans le domaine du transport aérien pour que la South Africa Airways puisse entrer dans le capital de Sénégal Airlines. Donc il y a beaucoup d'actions que nous menons. L'Afrique du Sud fait partie des groupes financiers de l'AIBD...
La Guinée Bissau et l'énigme de l'instabilité..
Sur la Guinée Bissau, nous avons contribué pour deux millions de dollars, soit un milliard Cfa, pour le financement des élections. La Cedeao a donné 20 millions de dollars. Nous y sommes présents avec notre contingent militaire. La Guinée Bissau, c'est le pays le plus proche du Sénégal et donc on ne peut pas rester insensible à ce qui s'y passe.
C'est pourquoi nous plaidons son cas partout où nous sommes, à la Cedeao et ailleurs. Nous nous battons pour que les sanctions qui la frappent soient levées. Nous sommes en train de travailler pour qu'immédiatement après les élections il y ait une table-ronde des bailleurs de fonds (...). Je rentre de Lisbonne où j'ai travaillé avec le ministre des Affaires étrangères du Portugal. La Guinée Bissau n'a jamais eu de problème d'élections.
Elles se passent normalement. Le problème, c'est après les élections pour que le Président élu puisse gouverner. C'est la situation post-électorale. Il faut que les milliers de généraux aillent à la retraite. Nous sommes en concertation avec l'Angola, le Mozambique etc.
Le Mali et le Président Keïta...
J'étais ambassadeur au Mali pendant deux ans. Nous avons joué un rôle important dans l'apaisement de la situation au Mali (...). Si le Président Keïta n'est pas encore venu au Sénégal, sans doute qu'il peut être gêné par la présence d'Amadou Toumani Touré à Dakar. Il peut y avoir des raisons. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que le Président Macky Sall a été le premier à avoir félicité le Président Ibrahim Boubacar Keïta (...).
Soumaïla Cissé a une maison à Dakar comme Cellou Dalein Diallo de la Guinée passe beaucoup de temps à Dakar. Compte tenu de son ancienne fonction de président de la Commission de l'Uemoa qui est presque d'un même statut que les chefs d'Etat, il est tout à fait normal qu'il entretienne des relations avec les chefs d'Etat...
L'essentiel pour nous, c'est qu'il n y a pas de problèmes. La visite que vous voulez aura lieu (Rires...). On ne peut pas dire qu'ATT ne peut pas être le problème. Il est venu au Sénégal dans des conditions régulières. Il était à ma résidence alors que j'étais ambassadeur au Mali. Il a exprimé le souhait de venir au Sénégal, trois jours avant la défaite de Wade. Macky Sall est devenu Président, il a assuré la continuité de l'Etat. On a eu l'accord formel de toutes les autorités de l'époque...
Transhumance et idéologie politiques
L'essentiel, c'est d'avoir une liste consensuelle. On travaille avec Benno Bokk Yaakaar. C'est d'ailleurs cela la position de l'APR. On nous reproche aussi de ne pas seulement travailler avec ceux qui étaient là en 2012 mais ce n'est pas une bonne lecture. S'il y a des gens qui veulent travailler avec le Président, il faut élargir les bases du parti. Il faut ouvrir le parti et accueillir les gens qui veulent travailler et aider le pays. (...) La politique, c'est de l'addition. L'objectif d'un parti au pouvoir, c'est de se massifier.
Nous ne pouvons pas croiser les bras et laisser le Pds se reconstituer avec des alliés comme Bokk Gis Gis, Rewmi et autres. La vérité, c'est qu'au Sénégal, nous avons des majorités transférables d'un pouvoir à un autre. Les partis ont la même base sociale et humaine. On ne peut objectivement pas faire la différence entre la base sociale du Ps, la base sociale du Pds et celle de l'APR.
Ce sont les mêmes sénégalais qui sont là. Et puis il faut relativiser l'impact de l'idéologie sur les partis et la société en général. Qui connaît le libéralisme du PDS ? Que signifie le socialisme du PS ? Qui peut te dire l'idéologie de l'APR ? En politique, il faut rester sur terre.