EN QUARANTAINE, LA MORT ET L'ENNUI DANS LES MAISONS DE FREETOWN
Freetown, 8 nov 2014 (AFP) - Dans les foyers en quarantaine dans les collines de Freetown, la capitale sierra-léonaise où sévit le virus Ebola, la distribution alimentaire de l'ONU vient rompre la monotonie des journées qui s'écoulent sous l'oeil suspicieux des voisins.
La mort a frappé à leur porte, emportant un parent et condamnant le reste de la famille à la réclusion pour 21 jours, le temps d'incubation possible du virus qui a déjà fait près de 5.000 décès dans la région, dont plus de 1.100 en Sierra Leone.
Chez Amasoula Kagome, la quarantaine allait être levée la semaine dernière quand sa mère est morte à son tour, reconduisant d'autant l'enfermement. La jeune fille de 19 ans a ainsi perdu en moins d'un mois son père, puis sa mère qui s'était occupée de lui, et reste seule pour veiller sur quatre frères et soeurs, dont le plus jeune a 3 ans.
En débardeur gris sur le pas de sa porte, en compagnie des proches et des voisins condamnés eux aussi au retranchement, elle observe l'arrivée des véhicules du Programme alimentaire mondial (PAM) qui vient livrer en contrebas de leurs maisons sacs de maïs, huile de palme, sel et farines enrichies.
Des rations sans fantaisie qui permettent de parer à l'urgence. Janet James et Gbessay Torpoh, les employées du PAM qui ont organisé la tournée, répertorient le nombre d'individus cloîtrés et notent les numéros de portable des chefs de famille, sans s'approcher.
La maison est perchée sur un rocher du quartier populaire de Dwarzak où s'entassent en étages les baraques de guingois: on se parle à distance en haussant la voix, les récipiendaires descendront chercher leurs sacs après le départ des équipes.
Un soldat et deux policiers sont postés aux abords: victimes et suspects, les habitants sous quarantaine sont surveillés, car la tentation de s'échapper est forte pour se soustraire au malheur, ou simplement pour se nourrir.
Ce qu'a remarqué mercredi le président Ernest Bai Koroma: remerciant le PAM pour son action, il a souligné l'importance de ces distributions aux populations en quarantaine, afin de ne donner aux familles aucun motif de sortir en quête de vivres.
- Stigmatisation et ennui mortel -
"Mais dans beaucoup de cas, surtout à la campagne, la surveillance est inexistante: le pays n'a simplement pas les moyens de poster des soldats devant chaque site en quarantaine", relève Djaounsede Pardon, porte-parole du PAM à Freetown, où l'agence de l'ONU, habituée à secourir massivement des populations en détresse doit se livrer à du sur-mesure, maison par maison.
Parfois les personnes concernées vadrouillent tranquillement hors de chez elles. Ou plient carrément bagages à la nuit, après que le confinement leur a été annoncé, rapporte le responsable d'une agence humanitaire sous couvert d'anonymat.
"La quarantaine reste mal comprise des habitants", reconnaît Janet James: "Elle suscite la peur du voisinage, la stigmatisation des victimes". L'ennui aussi, la perte de tout revenu, la fin des études aussi pour Amasoula.
"Les voisins restent à l'écart, il arrive même qu'ils se moquent", assure-t-elle depuis son promontoire. Assise près d'elle sur un rocher, une voisine en pleure. L'arrivée du convoi du PAM dans la ruelle escarpée et boueuse, ouvert par le gyrophare d'une ambulance, a suscité l'angoisse dans les yeux des riverains qui surveillent maintenant de loin la distribution.
Pour arrêter Ebola, le président a décrété l'état d'urgence le 31 juillet, accompagné de la mise en quarantaine des maisons contaminées. Face à l'avancée du virus, les autorités ont aussi opté pour l'isolement des provinces les plus touchées dès le mois d'août, dans l'Est, puis en septembre dans l'Ouest.
En vain: c'est en Sierra Leone que l'épidémie progresse le plus. Dans un pays où plus personne ne se serre la main, où les contacts directs sont proscrits, les familles restent serrées à six parfois dans une pièce, note Janet. Pas de contact?
Amasoula - qui a sans doute veillé sa mère mourante - hoche la tête: elle doit bien s'occuper de son frère de 3 ans. Mais tant pis pour les autres: elle les console de loin, sans les toucher.