ENTRE FANTASMES ET RÉALITÉS
SUPPRESSION DU VISA D’ENTREE AU SENEGAL
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Le visa d’entrée au Sénégal va être supprimé le 1er mai prochain. « Symbole de souveraineté nationale » pour ses défenseurs, c’est un « frein au développement tourisme » pour ses détracteurs. Qu’en est-il réellement ? Enquête sur les hauts et bas d’une mesure éphémère...
« Notre objectif est d’avoir un million de touristes par an », avait déclaré Youssou Ndour, ministre du Tourisme, en septembre 2012, au Salon international du tourisme de Paris. Le secteur du tourisme sénégalais souffre depuis quelques années et les chiffres sont éloquents. De 491.552 en 2008, le nombre de touristes débarquant à Dakar est passé à 444.432 en 2012. C’est un comble pour un pays qui a la « Téranga » (l’hospitalité) en bandoulière.
C’est dans ce contexte que l’annonce de la mise en place, au 1er juillet 2013, d’un visa d’entrée au Sénégal a été accueillie, de manière sceptique, par les professionnels du tourisme. Moins de deux ans plus tard, le couperet est tombé pour mettre fin à une expérience non concluante sur plusieurs points.
« Pour la relance du tourisme, le visa payant pour l’entrée au Sénégal sera supprimé à compter du 1er mai 2015 », a annoncé le président Sall lors de son traditionnel discours à la nation à la veille de la commémoration de l’indépendance du 4 avril.
Le tourisme n’est peut-être pas la seule cause de cette décision de l’exécutif sénégalais. D’autres éléments ont pu motiver la décision de la suppression du visa d’entrée au Sénégal dont la mise en place était chaotique.
Autant sur le plan logistique qu’au niveau de la communication, la mise en vigueur du visa payant d’entrée au Sénégal n’a pas été simple. Dès le 20 juin 2013, une foule grandissante
« squattait » les locaux du Consulat du Sénégal à Paris. La cohue généralisée avec des files d’attente désorganisée avait fini par mettre à nu les manquements d’une organisation précipitée. « Tout n’est pas encore en place », avait reconnu, à l’époque, Amadou Diallo.
Par la suite, une information majeure mais insolite venait corroborer ce constat : « Nous sommes en train de faire la formation du personnel », avaitil ajouté alors que la mesure venait d’entrer en vigueur et les touristes désireux de disposer du document nécessaire pour débarquer à Dakar augmentaient en nombre au Consulat du Sénégal à Paris. « Ce n’est pas une image conforme au projet de vendre la destination Sénégal », reconnaissait toujours Amadou Diallo.
Ainsi, au cours des premiers mois de la mise en place du visa d’entrée au Sénégal, le manque de préparation préalable était criant à tel point que le personnel diplomatique de l’ambassade du Sénégal à Paris et celui de la délégation sénégalaise à l’Unesco dans la capitale française avaient été réquisitionnés à la hâte pour venir soutenir celui du Consulat débordé.
« Avec ce démarrage, nous avons des difficultés. Il ne faut pas les nier, avouait volontiers Amadou Diallo. Mais nous allons les parfaire car nous n’avons pas le droit de rater ce rendez-vous qui est une première pour notre pays ». La bonne volonté des services consulaires n’a pas suffi, l’écume d’un mécontentement populaire avait fini par couvrir la rue Hamelin du 16ème arrondissement de Paris, l’adresse du consulat.
« J’ai moi-même constaté ce mécontentement populaire. Un projet de cette nature mérite d’être connu des citoyens deux mois avant son entrée en vigueur », s’était indigné le consul général du Sénégal à Paris. Ce dernier mettait les ratés du lancement de la mesure dans la nature du projet. « C’est un partenariat public-privé entre l’Etat du Sénégal et la société Snedai. C’est un peu compliqué. ».
Dans ce partenariat, les complexités dans le portage du projet ont été nombreuses comme les retards dans la formation du personnel mais aussi la mise en place du matériel de fabrication des visas. Les autorités sénégalaises regrettaient que le projet ne soit pas finalisé à temps « pour passer à une période test de pré-enrôlement et de formation ». Le Ppp avait également d’autres points défavorables à l’Etat du Sénégal.
Un partenariat décrié
En effet, lors d’un bilan d’étape sur la mise en place du visa d’entrée au Sénégal, Abdoulaye Daouda Diallo, ministre de l’Intérieur, était revenu, en novembre 2013 à Paris, sur « le contrat d’exploitation de cinq ans signé entre le Sénégal et Snedai » qui stipulait que les deux parties se partageaient à parts égales le coût de chaque visa (52,5 euros environs 35.000 F Cfa). Ce contrat allait être retouché pour dédommager la société Snedai car l’Etat du Sénégal avait décidé d’exonérer de visas les touristes voyageant avec des Tour-operators.
« Nous avons jugé plus équitable de faire passer le contrat de cinq à six ans, avait précisé le ministre de l’Intérieur. Passé cette période, le Sénégal sera l’unique bénéficiaire des équipements et de l’exploitation de la mesure ». Mais entre temps, l’accord avec les Touroperators a été reconduit en 2014 puis 2015 sans annonce officielle de contrepartie due à la société Snedai que dirige Adama Bictogo, un homme d’affaires ivoirien.
En s’alliant avec le secteur privé, le Sénégal souhaitait disposer de sa rigueur dans le respect des délais de prévisions pour ce rendez-vous important avec le monde entier. Près de deux ans plus tard, il apparaît évident que Snedai n’a pas été le plus à plaindre dans l’histoire même si aucune communication officielle n’évoque pour le moment les termes de la rupture du partenariat. Elle aura le mérite d’éteindre les polémiques.
« Cette mesure a servi à enrichir indûment des amis à travers la société Snedai dont le chiffre d’affaires est estimé à 32 milliards de FCfa, accuse Babacar Gaye, porte-parole du Parti démocratique sénégalais. Les chiffres même du ministère de l’Intérieur révèlent que l’Etat ne gagnerait que 1,5 milliard de FCfa par trimestre ».
Baisse du nombre de visa délivrés
En dehors des questions financières, se pose l’impact de la mesure sur le tourisme au Sénégal. Mettant sur la table la concurrence de plus en plus effrénée de pays limitrophes comme la Gambie, mais surtout le Cap-Vert, Amadou Diallo pensait que « le touriste qui prend une semaine de vacances veut maximiser son temps et ne souhaite pas perdre une seconde pour des démarches administratives ».
Ainsi, il préconisait l’écriture de toute la démarche de la demande de visa. « Les gens doivent savoir ce qu’il faut faire. Il manque un document cadre pour tout le monde : ministère de l’Intérieur, des Affaires étrangères, du tourisme ou simples agents de l’Etat. Il doit y avoir un schéma très simple ».
Près de deux ans plus tard, les rouages de la machine n’étaient toujours pas très huilés précipitant la mort lente et certaine du visa d’entrée au Sénégal.
A sa mise en vigueur, « il y avait 1.500 réservations par jour » pour l’obtention du visa, déclarait en juillet 2013 Amadou Diallo, Consul général du Sénégal à Paris. Les autorités sénégalaises n’avaient pas manqué de communiquer sur les bons chiffres des premiers mois de la mise en place du visa payant.
A Paris, Abdoulaye Daouda Diallo, ministre sénégalais de l’Intérieur, annonce, en novembre 2013, « 85.736 visas délivrés en quatre mois ». Mais depuis, les communications sur de « bons chiffres » sont devenues rares.
Selon le consul du Sénégal à Paris, « la moyenne quotidienne était de 150 personnes (durant les deux premiers trimestres de 2014) alors que de juillet 2013 à janvier 2014, il y avait autour de 300 demandeurs par jour ». La courbe en baisse ne s’est pas redressée. Selon toujours le Consul du Sénégal à Paris, il y a eu finalement « 19.738 visas délivrés » en 2014 dans la capitale française où « près des deux tiers des visas d’entrée au Sénégal sont confectionnés ».
La baisse s’est poursuivie au premier trimestre de 2015 avec 3.577 visas délivrés de janvier au 3 avril 2015. L’affluence des grands jours est passée, on peut le constater avec seulement quatre personnes présentes lundi 13 avril entre 11h et 12h dans la salle d’attente des visas au Consulat du Sénégal à Paris. Parmi elles, Insa Manga, jeune Sénégalais en partance à Dakar pour un mois de repos avec femme et deux enfants de nationalité européenne (franco-allemande).
« Avec trois visas payés, cela fait plus de 100.000 FCfa en moins dans mon budget. Cet argent pouvait être dépensé pour le tourisme sénégalais au lieu d’aller dans des poches inconnues », s’insurge-t-il. Le Sénégal est l’un des pionniers africains en matière de tourisme, où il s’est développé à partir des années 1970 grâce à la verte et culturelle Casamance puis à la station balnéaire de Saly.
Avec l’exonération des visas aux touristes voyageant avec des Tour-operators, la portée de la mesure sur la baisse du tourisme est toutefois à nuancer fortement.
Nuance sur la baisse du tourisme
« Ceux qui voyagent avec les Touroperators représentent 70% des touristes en circuit », estime Blandine Leguichaoua, gérante d’Origin’Africa, une agence internationale organisatrice de séjours au Sénégal. « Le visa est un faux problème mais une vraie contrainte pour les touristes, formule-t-elle. Plus l’accès à la destination est facile plus les touristes sont nombreux ».
C’est également l’avis de Saoudatou Ndongo, responsable de la promotion touristique à l’ambassade du Sénégal à Paris. Saluant la future suppression du visa d’entrée au Sénégal comme « une décision importante », S. Ndongo pense que « c’est faux de dire que le visa est un manque à gagner pour le tourisme » car la mesure concernait très souvent les binationaux n’étant pas à jour avec leurs papiers sénégalais.
« Le Pds applaudit des deux mains la suppression du visa, informe Babacar Gaye. Même si elle va engendrer une perte d’une centaine d’emplois ». Quid des investissements effectués aux quatre Consulats du Sénégal en France (Paris, Lyon, Marseille et Bordeaux) ? La question reste sans réponse auprès des autorités sénégalaises à Paris. La suppression du visa relancera-t-elle pour autant le tourisme ? Rien n’est moins sûr.
« Le pays devrait maintenant axer sa communication sur le tourisme de découverte et proposer autre chose que du balnéaire, avec plus de visibilité sur le marché français (43% des touristes viennent de France) », conseille Blandine Leguichaoua.
Le Sénégal a la possibilité de développer le tourisme de découverte avec ses trois fleuves, des parcs animaliers et une culture exceptionnellement riche en diversité.