ENTRE PME ET LMD
LES SÉNÉGALAIS ET LA VERTU DU TRAVAIL
De retour du Conseil Consultatif de Paris d’où il a fait la belle moisson de plus 3000 milliards FCFA de promesse de financement du Projet Sénégal Emergent (PSE), le Président Macky Sall, euphorique s’est subitement rappelé que les Sénégalais ne travaillaient pas ni assez, ni assez bien. Cette manne providentielle devait donc les inciter à plus de labeur et de qualité. Autrement, il se chargerait de leur rappeler les vertus du travail, si nécessaire, avec fracas. Acceptons-en l’augure.
Mais, il faut bien admettre que la découverte paraît bien tardive. On pouvait en effet penser que ses neuf ans de gestion associée du pouvoir sous le régime précédent et deux ans de gestion directe des affaires comme Président avaient ouvert ses yeux sur notre faible propension à travailler. Avec les résultats qu’on sait.
S’il faut se servir du PSE comme d’un appât, pour aiguiser l’ardeur au travail des Sénégalais, le Président risque très vite de déchanter. Les Sénégalais après cette vague de clameur ont vite compris que le Président est rentré de Paris avec 3000 milliards de promesses, mais pas un copeck. Et l’idylle risque fort de ressembler à un miroir aux alouettes. D’autres diraient, des plans sur la comète.
Pour qui connaît la lenteur légendaire des procédures de décaissement de ces engagements, ne commettrait jamais la maladresse de les prendre pour argent comptant. Mais pour le Président, cette opération de communication a bien trouvé un écho favorable. Des relais futés se sont chargés d’en épandre les échos dans les chaînes de radio et télévision et dans la presse écrite et en ligne. Une nouvelle culture, un nouveau culte du travail sont nés.
Le raccourci est simple à emprunter : Macky Sall a ramené des milliards pour créer de la valeur à travers, les routes, les écoles, l’agriculture, le tourisme, bref, tous les secteurs d’activités dans lesquelles, les Sénégalais peuvent se déployer et gagner de l’argent. C’est donc le temps de se retrousser enfin les manches et mettre la main dans le cambouis. Comme pour paraphraser la Fontaine, Travaillons, Prenons de la peine, c’est les fonds qui manquent le moins.
Il est quand même triste de penser que les Sénégalais habituellement, si productifs, si entreprenants, si efficaces à l’extérieur de leur pays, vont subitement se réveiller de leur torpeur interne, pour recommencer enfin à travailler. Parce que tout simplement la générosité sans limite des bailleurs de fonds vient stimuler leur effort et titiller ce qui dans leur ADN, les incline tout naturellement au travail, dans les champs, les enclos, la mer, l’artisanat, l’art, les métiers manuels.
Cette incubation peut paraître bien maigre. Qu’est-ce que peuvent représenter 3000 milliards, pour un peuple intelligent laborieux comme le nôtre ? En fait, les Sénégalais ne sont ni fainéants, ni paresseux, ni indolents ni abouliques. Ils ont tout simplement, si l’on peut se permettre, l’expression, désappris à travailler.
Cette perte d’ardeur est essentiellement due à l’abonnement à la facilité l’addiction au jeu, la culture de la mendicité et à l’assistanat, le peu de valeur accordée à l’effort et à la constance dans l’effort, le contournement des procédures, le népotisme, les passe-droits, la philanthropie érigée en règle de gestion familiale, le rêve de l’expatriation, le déclassement de l’école comme moyen d’ascension sociale, le commerce ambulant, la magouille, la supercherie. Et la liste est loin d’être exhaustive.
Et pour tout clore, l’adage savamment appris et à satiété répétée : l’argent n’est au bout de l’effort, mais le résultat de la ruse.
Dans sa brillante déclaration de politique générale, Mme Aminata Touré, avait promis de mettre fin à cette conception inique de l’enrichissement. Mais on attend toujours les premiers signes de ce changement culturel.
Ce que les Sénégalais ne savent peut-être pas, c’est que rêve américain qui nous fait tant mousser repose sur quatre paradigmes : travailler durement, s’éclater complètement, respecter les normes procédurières et être généreux.
D’évidence, il est facile de constater en passant en revue ces quatre paramètres, que d’un, les Sénégalais ne travaillent plus durement, l’effort et la constance dans l’effort, font cruellement défaut. Et les derniers mohicans et bêtes du travail dans les entreprises sont les moins considérés, les moins reconnus, les plus raillés, traités d’activistes, insultés, voire bannis. Même par les dirigeants.
De deux, au lieu d’organiser raisonnablement leurs loisirs en famille, ils préfèrent «se défoncer dans les boîtes de nuit», se dépenser dans les cérémonies somptuaires, budgétivores et chronophages.
De trois, la fraude, en tous genres est devenue un sport national : falsification de diplômes, prises illégales d’intérêt, esquives fiscales, imitation de signatures et de produits, informel à outrance, retards, absentéismes, tricheries sur la facturation, vente sur les lieux de travail, certificats médicaux de complaisance, congés prolongés, jours de fête chômés et payés à profusion, etc.
Et de quatre, l’aide adaptée qui fait de la victime un acteur évalué, encadré et formé devient une source de dépendance à vie, un moyen de vivre en paria, tout en empêchant les généreux donateurs de se réaliser. Certes la grande majorité des Sénégalais ne se trouvent pas dans ce classement hideux. Mais, ils sont de plus en plus nombreux à truster les palmarès peu glorieux des tire-au-flanc et autres bras cassés pris entre dédales de l’hédonisme et de la facilité.
Si Makcy Sall cherche des travailleurs, il en trouvera certainement, car notre pays en regorge. Mais, il aura fort à faire pour convertir en bosseurs une grande partie de nos compatriotes pensionnaires des PME (Partisans du Moindre Effort) et du système LMD (Lutte, Musique et Débrouille ou Danse), ou encore Lathie, Mougne, Dagou (demander, se résigner et traîner en longueur).
Pas de secret, pour les recadrer, il faudra se convertir à la religion à trois voies : contrôle et évaluation pour tous, sanction pour les contrevenants et motivation pour les plus méritants. Ah si le mérite pouvait devenir notre sport national…