ON EST "PROFONDÉMENT ATTRISTÉ" PAR CE QUI SE PASSE AU SÉNÉGAL
Me ASSANE DIOMA NDIAYE, PRÉSIDENT DE LA LIGUE SÉNÉGALAISE DES DROITS DE L’HOMME

«Malheureusement aujourd’hui encore, le Sénégal montre une pale image qui ne reflète aucunement ce que les gens pensaient jadis de notre pays, c'est-à-dire une belle vitrine de démocratie, un ilot de lumière dans un océan d’obscurantisme. Dans notre pays, depuis quatorze années il n’y a pas eu une véritable démocratie, au sens qu’il n’y a jamais eu de vrai dialogue entre les acteurs aussi bien politiques que sociaux.»
Cette analyse émane du juriste Me Assane Dioma Ndiaye a émis de sérieuses craintes quant au recul de la démocratie au Sénégal où les libertés fondamentales ne sont plus garanties selon lui. Pour le président de la Lsdh qui s’insurge contre la détention de Thierno Ousmane Sy malgré les trois libertés provisoires qui lui ont été accordées, « la Crei doit disparaître car elle n’a pas sa place dans notre démocratie. Entretien.
L’AS : Aujourd’hui encore, la légalité de la Crei fait débat au sein du paysage politique et judiciaire au sénégal. Quelle est votre lecture sur cette question ?
Me Assane Dioma Ndiaye : Ce qui est certain, c’est qu’au niveau des organisations des droits de l’homme notre position demeure inchangée sur cette question. De la même façon que nous ne pouvons pas nous renier par rapport à des libertés fondamentales comme la liberté de manifestation, nous ne pouvons pas nous renier par rapport à des juridictions d’exception, parce qu’elles n’ont pas de place dans une démocratie. C’est la raison pour laquelle lorsque la loi du 02 février 1984 est venue énumérer les Cours et tribunaux et n’a pas fait référence à la Crei et a déclaré de façon expresse que toute disposition contraire est abrogée, nous avons naturellement considéré qu’il n’y a plus de juridiction d’exception au Sénégal. Nous militons pour la disparition et l’éradication de la Crei et toute autre juridiction d’exception qui ne garantisse pas un procès juste et équitable et qui, au demeurant, viole fondamentalement ce que nous appelons la présomption d’innocence et les droits au recours. C’est vrai que le débat est là et même si Me Doudou Ndoye déclare qu’il a supprimé cette juridiction d’exception, il faut avoir une seconde lecture. « J’ai supprimé » ne veut pas forcément dire que c’est lui qui prend un décret mais ça veut dire que c’est lui qui a défendu la loi de 1984 en tant que ministre de la justice d’alors. Maintenant, le débat doit être tranché par qui de droit, mais nous persistons à l’idée que cette Crei n’a pas sa place dans notre démocratie et qu’elle doit disparaître.
Thierno Ousmane sy reste en prison malgré les trois libertés provisoires qui lui ont été accordées. en tant que juriste doublé d’un défenseur des droits humains, qu’est ce que cela vous inspire ?
C’est une situation que nous déplorons, indifféremment du bien fondé ou non des accusations portées contre lui. Notre préoccupation n’est aucunement de nous prononcer sur le bien fondé, mais nous militons seulement pour un procès juste et équitable. Et nous pensons qu’en matière d’information, c’est le juge d’instruction qui a l’opportunité de la détention, parce que c’est lui qui juge de la nécessité de la détention ou non et il instruit à charge ou à décharge. Il est regrettable aujourd’hui que trois décisions de liberté provisoire ordonnées par des magistrats aient pu être anéanties du simple fait de l’appel du parquet. Or, nous savons que le parquet n’est pas maître de la procédure d’information. Et une nouvelle fois, il nous faut aller vers la crédibilité des décisions judiciaires, indifféremment des autres considérations. La justice n’est pas une arme de règlement de comptes, encore moins un instrument d’entérinement de rapports de force. La justice garantie l’indisponible et nous estimons que les juges du fond, dont font partie les juges d’instruction, doivent avoir en dernière analyse la souveraineté des décisions qu’ils prennent. Malheureusement, aujourd’hui encore nous notons la prépondérance du parquet qui, nous le savons, est foncièrement lié à l’exécutif.
L’actualité reste dominée par le retour de me Abdoulaye Wade. Comment analysez-vous la polémique que ce retour a suscitée entre le pouvoir et le pds?
Le retour d’un ancien président de la République de surcroît un secrétaire général national de parti politique, ne doit pas être source de problème, de préoccupation et surtout de trouble à l’ordre public. Nous ne voyons pas en quoi le retour de Me Abdoulaye Wade a été une source de problème ou de trouble à l’ordre public au point de susciter cette importante mobilisation, cet énorme dispositif sécuritaire qui a fait penser à un certain moment que le Sénégal tout entier était en état de siège. Tant qu’un homme politique agit dans le cadre de la légalité, nous militants des droits de l’homme n’avons pas de problème. Et à ce que nous sachions, il n’y a pas d’actes qui aujourd’hui soient contraires à la légalité dans cette affaire. Maintenant, le plus fondamental c’est le respect qui doit prévaloir dans les rapports de la coexistence politique. Or, aujourd’hui ces paradigmes sont supplantés au profit de considérations souvent crypto-personnelles, au moment où le peuple est dans une angoisse existentielle même s’il y a des lueurs d’espoir avec des annonces qui sont souvent des fanfaronnades. On est profondément attristé par ce qui se passe dans notre si cher Sénégal, au sortir d’une alternance qui avait pourtant suscité énormément d’espoir.