ET LE CAS DE LA FEMME D’AFFAIRES DEVINT UNE AFFAIRE DE FEMMES !
AFFAIRE AÏDA NDIONGUE
Détenue au Camp pénal depuis la mi-décembre, Aïda Ndiongue doit répondre d’accusations de détournement de deniers publics, de faux et usage de faux dans l’affaire des produits sanitaires du Plan Jaxaay. La conférence de presse du procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye le 24 janvier, exposant dans le détail la fortune présumée de l’ex-sénatrice libérale, a été fortement décriée par la défense. Violation ou non du secret de l’instruction ? Pourtant, le débat juridique a été très vite rattrapé par un argumentaire de genre.
Près de 48 milliards de Cfa planqués dans des comptes en banque et des coffres-forts. Le procureur de la République, Serigne Bassirou Gueye, a fait une monographie détaillée de la fortune supposée d’Aïda Ndiongue. Il a décrit l’ex- sénatrice sous les traits d’une amasseuse attitrée de fortune. Comme on pouvait s’y attendre, ce déballage détaillé du magistrat a déclenché un faisceau de réactions. La contre-offensive s’est vite organisée. Seulement, la riposte a pris une tournure à laquelle le procureur lui-même ne s’attendait sans doute pas. Les arguments des défenseurs d’Aida Ndiongue, inculpée pour détournement dans l’affaire des produits phytosanitaires du Plan Jaxaay, ont pris une tonalité plutôt… féminine.
Plus que dans toute autre affaire judiciaire, le cas Aïda Ndiongue a provoqué une levée des boucliers des femmes. Jusque dans les rangs des avocats de l’ex-maire des Hlm, cette approche genre a fait florès. Elle a côtoyé et même bousculé les principes de droit. Comme si la solidarité de sexe et le statut de femme priment sur les arguments juridiques.
Guerre des sentiments
A la conférence de presse organisée par les conseils de l’ex-sénatrice, suite à la sortie du procureur, les femmes (libérales en majorité) ont pris d’assaut la salle. Elles sont venues en masse. Le genre et le nombre ont offert un argument de défense inattendu. C’est l’avocate d’Aïda Ndiongue, Me Borso Pouye, qui parle ainsi : «Je salue la présence massive des femmes, car au-delà de la bataille judiciaire, c’est un combat des femmes. Car c’est une femme qui est jetée en pâture, mise à nu ; c’est une femme qui est mise à la vindicte populaire».
C’est entendu : la cause féminine, valeur supra-juridique, justifie la mobilisation massive dans une affaire supposée être un détournement de produits phytosanitaires. Avec force répétition, Me Pouye convoque l’image de la femme « jetée en pâture», «nue», de la femme humiliée, sans défense. Ce portrait de la femme, être fragile, opprimé, on le retrouve à quelque variante près chez Aïda Mbodji, transfuge du Ps, comme la dame Ndiongue. Aïda Mbodj force le trait et dépeint sa «sœur libérale», ex-camarade socialiste, sous le signe d’une triple vulnérabilité : femme et mère de famille et embastillé au Camp pénal. Aïda Mbodj dit : « Une femme a été jetée en pâture. Une mère de famille a été balancée à la vindicte populaire pendant qu’elle était en prison».
Sokhna Dieng Mbacké a été plus modérée. Une once d’indignation compassionnelle suinte cependant de ses propos. Elle a brocardé une «théâtralisation outrageante» des affaires judiciaires. Cet argument de défense, qui réduit la présumée coupable à son (seul) statut de femme, joue à fond sur la fibre sensible. L’objectif est clair : susciter la compassion pour la femme avant tout qu’est Aïda Ndiongue. Belle bataille des émotions en perspective ! Il faut dire que c’est Serigne Bassirou Guèye qui a inauguré cette guerre des sentiments, sans grand rapport avec le droit pénal.
En déclarant qu’avec 48 milliards, «on peut vivre 100 ans et dépenser chaque jour 1,300 millions de F Cfa», le procureur cherche à susciter l’indignation de ses compatriotes. Guèye a voulu provoquer un phénomène de rejet dans un pays majoritairement confronté à la pauvreté. L’immense fortune supposée de la détenue est confrontée au quotidien morose des Sénégalais. Elle peut se permettre un train de vie de 1,300 millions de F Cfa par jour, quand 60% des Sénégalais vivent avec moins de deux dollars, soit moins de 1000 FCFA. La démarche est manichéenne, mais habile, pour faire l’opinion dans le camp de la partie civile. «C’est une femme généreuse», contre-attaquent les femmes libérales en réponse à l’accumulatrice vorace qu’a dépeint le procureur Guèye.
Femme de fer contre femme d’affaires
Sokhna Dieng Mbacké et Aïda Mbodj ont profité du vote du projet de loi sur la modification de l’Ofnac (Office national de lutte contre la fraude et la corruption) pour interpeller le ministre de la Justice, Sidiki Kaba. Elles sont les points d’ancrage du dispositif monté par la défense, un bouclier de Moussors (mouchoirs de tête) érigé autour de l’ex-sénatrice. En réplique à celui du procureur, les femmes libérales ont tenu un point de presse pour dénoncer un «acharnement politique». Gnagna Touré a voulu rendre justice à la florissante carrière de la femme d’affaires : «Aïda Ndiongue avait de l’argent et des biens avant qu’elle ne regagne les rangs du Pds».
Mais dans son exposé, l’ex-députée libérale est vite retombée dans le concert d’indignation militant-féministe : «Elle a été déshabillée devant le peuple sénégalais, nous devons nous battre pour la rhabiller et montrer qu’elle n’est en rien coupable de ce qu’on lui reproche». La ligne de défense qui se dégage de ces postures féminines est assez simple, voire simpliste. Elle oppose la femme Ndiongue, dépeinte sous un jour particulièrement vulnérable, à la toute puissance publique incarnée par le procureur. Le symbole est fort.
Mais pour Me Moustapha Diop, avocat de la défense, l’attitude du procureur de la République ne fait que traduire « la volonté du Premier ministre d’introduire ses antagonismes avec Aïda Ndiongue dans la vie politico-judiciaire ». Mimi Touré a été accusée d’être derrière ce déballage médiatique. Me Diop la voit comme étant l’instigatrice de cette opération de com, rare dans les habitudes de la basoche sénégalaise, dévastatrice pour la dignité de sa cliente. La stratégie du bouc-émissaire est une ficelle de défense très répandue. Me Diop fustige donc l’instrumentalisation par le Premier ministre de l’appareil judiciaire pour régler des comptes personnels.
Ce faisant, il requalifie les termes de l’inculpation. Il faudrait le voir, selon l’avocat, non pas comme le procès d’une accusation de détournement de deniers publics, de faux et d’usage de faux. Mais le combat d’une femme de fer contre une femme d’affaires.