ET SI LE PRÉSIDENT BALAYAIT D’ABORD DEVANT SA PROPRE PORTE ?
CORRUPTION, PRÉDATION, TRICHERIE
Tel Maurice Thorez, patron du Parti Communiste français (PCF) et ministre de la Fonction publique de Marianne en 1945, s’adressant aux mineurs de son pays en ces termes : "il faut avoir le goût de son ouvrage, parce qu’il faut trouver dans son travail la condition de sa propre élévation et de l’élévation générale; les paresseux ne seront jamais de bons compatriotes", le président de la République, M. Macky Sall, a fait aux Sénégalais à son retour d’un périple l’ayant mené à Pékin, Paris, Doha et Abuja, cette déclaration sonnant comme un couperet : "Nos partenaires ne sont pas des enfants de chœur, ils ont posé des conditions claires. Désormais, que les Sénégalais se mettent au travail pour mériter leur salaire. Que les Sénégalais arrêtent d’aller au bureau en faisant semblant de travailler, d’adopter des comportements clandestins pour ensuite créer des problèmes quand le Gouvernement réagit. Cela ne rime pas avec l’émergence". Décidément, le délire de l’émergence fait perdre la raison au point qu’on pense que le SENEGAL doit naître sous le magistère du Seigneur Macky. Car en matière de déclarations moralisatrices et incitatrices au travail, le chef de l’Etat n’en est pas à son coup d’essai.
Déjà, le 29 février 2013, en France, devant les militants de son parti, le chef de l’Etat avait affirmé qu'il ne reculerait pas dans la traque des biens mal acquis. Il s’était exprimé en ces termes :
"Nous sommes en train de bâtir un Etat de droit et ça, les gens n'aiment pas beaucoup. Les gens n'aiment pas la transparence, les gens n'aiment pas la vérité, les gens n'aiment pas la rigueur".
Et le 21 novembre dernier, lors d’une rencontre tenue en fin de journée avec la communauté sénégalaise établie à Koweit City, il enfonçait le clou :
"La première règle à s'appliquer quand on veut travailler avec moi, c’est l’humilité. Ceux qui sont prétentieux, hautains, qui regardent les autres avec condescendance, ne pourront pas rester longtemps avec moi. On ne peut pas travailler pour les Sénégalais en se croyant supérieur, directement issu de la cuisse de Jupiter. C’est inadmissible de voir les gens manquer autant d’humilité, alors qu’ils prétendent servir les Sénégalais… Ceux qui ne peuvent pas se soumettre à cette règle minimale d’ouverture et d’humilité, savoir qu’ils sont des Sénégalais comme les autres, apprendre à travailler avec les autres en toute simplicité sans avoir des prétentions impossibles à satisfaire, ceux-là, s’ils ne sont pas contents parce qu’on ne leur donne pas tout ce qu’ils réclament, peuvent s'en aller… Le Sénégal regorge de patriotes compétents, sérieux,sincères, qui veulent travailler. Nous travaillerons avec ceux qui pensent au Sénégal avant de penser à eux-mêmes(…) Tous ceux s’épanchent abondamment étaient là, et les Sénégalais ont fait leur choix. Il faut qu'ils nous laissent travailler et les Sénégalais jugeront. Mettons-nous donc au travail, c’est le plus sûr moyen d’être en accord avec le peuple sénégalais. Laissons ceux qui excellent dans le verbiage inutile s'adonner à leur pratique. Nous verrons si Dieu va rétribuer ceux qui parlent et oublier ceux qui travaillent".
"Le culte du travail, le goût de l’entreprenariat, la conscience du bien public, le sens de la responsabilité sont autant de valeurs qui font défaut aux Sénégalais"
Si le président de la République pense que les Sénégalais se mettront au travail sur un simple coup de gueule, il doit déchanter puisque nos compatriotes ne sont qu’à l’image de tous ceux qui ont eu à les diriger depuis l’indépendance de notre pays en 1960 jusqu’à aujourd’hui.
Le premier jalon que chaque président nouvellement élu pose, c’est de fouetter l’ardeur des Sénégalais au travail. Mais nos dirigeants travaillent-ils assez au point d’enjoindre leurs compatriotes à travailler et travailler efficacement ? Le slogan – qui est devenu une philosophie chez les Sénégalais – le plus répandu, "khaliss dagne koy lidieunti, kène douko liguèye".
En termes clairs, on n’acquiert pas l’argent par la grâce du travail mais par des démarches peu orthodoxes. Des compatriotes, partis de rien et qui ont bâti leur fortune à la force du poignet, le pays en compte à l’image d’un Alioune Sow de la CSE, du transporteur Mapathé Ndiouck ou même du chanteur Youssou Ndour. Seulement voilà, ceux-là constituent l’exception qui confirme la règle du "njoublang" généralisé.
En effet, quand on voit des politiciens, qui n’ont jamais connu le bonheur d’un emploi rémunéré,devenir subitement riches comme Crésus, une fois que leur leader politique accède au pouvoir, ne peut-on pas accréditer une telle thèse de l’enrichissement sans cause ?
De Léopold Sédar Senghor à Macky Sall en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, nombreux sont les cas de politiciens chômeurs issus de familles indigentes entrés dans la classe des ploutocrates aussitôt après avoir été promus à des fonctions politiques ou étatiques.
Ce qui veut dire qu’au Sénégal, la politique politicienne est la voie royale pour atteindre une certaine ascension sociale, gage d’une richesse assurée.
Sous l’ère Wade, on a parlé des nouveaux riches, c’est-à-dire de ces va-nu-pieds qui ont acquis fortune rapidement et d’une façon très douteuse. Beaucoup de Sénégalais qui ont assisté à l’émergence de nouveaux riches, pauvres dans un passé récent, ont fini par être convaincus que seuls la prédation, la corruption, le parasitisme, le griotisme sont gage de richesse.
S’ils restent embourbés dans la flemme et la fainéantise, c’est parce que leurs dirigeants, de par leurs comportements anti-citoyens relativement au bien public, ont formaté leurs esprits dans le gain de l’argent facile.
Déjà,en moins de deux ans d’exercice du pouvoir, dans le cercle du président Macky Sall, certains sont accusés d’avoir un train vie qui jure avec celui qu’ils avaient naguère dans l’opposition. On verra si l’Ofnac (Office national Anti-Corruption) éclairera la lanterne des citoyens sur ces richesses soudainement acquises par certains des nouveaux princes qui nous gouvernent, par des voies autres que par le travail.
Le culte du travail, le goût de l’entreprenariat, la conscience du bien public, le sens des responsabilités… sont autant de valeurs qui font défaut aux Sénégalais. Nos dirigeants nous crèvent les tympans avec des appels incessants à l’effort individuel et collectif alors qu’ils sont des parangons de tricherie quand il s’agit de travail.
Flemmards, fêtards, les Sénégalais,à l’image de leurs dirigeants,aiment la bamboula. Ils sont adeptes des retards au boulot, des pauses prolongées, des retards récurrents au boulot, des repos médicaux traficotés, des heures de descente anticipées. Le Sénégal est l’un des pays où l’on compte le plus grand nombre de jours chômés et payés sans compter les rajouts individuels. On travaille peu et inefficacement et on joue beaucoup.
Comment comprendre que, pour un pays qui importe l’essentiel de sa nourriture, pendant les grandes vacances scolaires coïncidant avec la saison des pluies, des millions de jeunes préfèrent s’adonner à des activités futiles appelées "navétanes" plutôt que d’aller cultiver la terre qui ne demande qu’à être mise en valeur ?Pourtant, le terme "navétanes", dans sa quintessence, signifie "le fait de quitter une localité pour une autre pour des travaux champêtres durant la saison des pluies".
Là, il n’est point question de travailler mais de jouer, de se divertir à coup de plusieurs dizaines de millions. Sans compter les violences qui gangrènent ce mouvement. Malgré cela, chaque année, l’Etat alloue à l’Oncav, la nébuleuse qui supervise l’organisation de ces "navétanes", une subvention de 30 millions de francs sans compter d’autres soutiens financiers relatifs aux programmes de lutte contre le paludisme, le sida etc.
Pis, chaque municipalité se croit tenue d’octroyer elle aussi des subventions financières ainsi que des jeux de maillots et des ballons aux équipes de sa circonscription administrative. Hélas, ce championnat dit populaire ne fait en réalité qu’exacerber la violence puisqu’il n’est pas rare que des matchs se terminent par mort d’hommes. Cette dérive est d’autant plus déplorable que, dans la Gambie voisine, chez le président Yaya Jammeh où le travail de la terre est érigé en culte, jouer aux "navétanes" est passible d’une peine carcérale.
Le président doit être l’archétype du travailleur efficace
Si le président botte l’arrière-train de ses compatriotes pour les inciter à l’effort, il faut qu’il soit l’archétype du travailleur efficace. On aura du mal à croire qu’il croit aux valeurs du travail quand il augmente les journées chômées et payées pour des raisons électoralistes, quand il se procure une clientèle politique chômeuse avec les milliards de ses fonds politiques. Lui-même, président de tous les Sénégalais, n’avait-il pas déclaré urbi et orbi qu’il avait "bénéficié de privilèges relatifs à sa position d’ancien Premier ministre" ?
Etre Premier ministre ne donne pas droit à bénéficier de fonds dont la destination politique est complètement galvaudée. Si, nonobstant sa position de Premier ministre, il avait refusé tout argent qui ne serait pas le produit de sa sueur, son discours sur la flemme et la corruptibilité de ses compatriotes serait plus réceptible. Sinon, ces derniers seront toujours enclins à accepter de l’argent sous forme de passe-droit, de bakchich ou d’un simple geste de générosité.
Par conséquent, au regard de la morale du travail, le président Macky Sall laisse apparaître clairementune respectabilité mal placée. Charité bien ordonnée commence par soi-même. On ne peut appeler ses compatriotes au travail quand on convoie plus d’un millier de personnes ayant déserté leurs bureaux pendant quatre jours pour aller en villégiature à Paris et payés à ne rien faire.
Beaucoup de Sénégalais, qui ont accompagné le chef de l’Etat dans le cadre du Groupe consultatif, n’ont même pas humé l’air de l’avenue Iéna.
Aujourd’hui tout le monde s’accorde à dire que les Sénégalais ne travaillent pas (assez). Et pourtant aucun d’eux ne se voit dans cette masse cossarde,non laborieuse. Même les accrocs des grand-places, les joueurs invétérés de PMU,qui ont renié le culte du travail, martèleront toujours que les Sénégalais sont des paresseux.
"Le Sénégal qui gagne", "Il faut travailler, encore travailler, toujours travailler", ces slogans wadiens n’ont jamais été de mise sous son règne. Au pays de la Téranga, l’amour du travail a fait place à celui du gain facile. On préfère s’adonner aux jeux de hasard, s’autoproclamer griot du président ou de tel politicien plutôt que de participer à l’effort de développement collectif de la nation.
Bourde communicationnelle
Même si, dans le fond, le président a mis le doigt sur le mal qui gangrène notre pays, toutefois, sur le plan communicationnel, il a commis une bourde car dire que les Sénégalais ne sont pas des travailleurs, c’est rendre précautionneux voire faire fuir certains bailleurs qui ont promis d’investir des milliards dans notre pays.
Dire que les Sénégalais trichent en travaillant ou usent de pratiques corruptives, c’est déclarer à ces bailleurs qu’ils risquent de mettre leur argent dans des secteurs où les employés, plutôt que de s’inscrire dans une logique productive, préfèrent se remplir indûment les poches sans fournir en retour le travail qu’on attend d’eux.
Tenir un tel discours sur la corruption et l’indolence de ses compatriotes deux jours après avoir tant vanté la destination Sénégal aux bailleurs, donateurs et investisseurs, c’est les décourager de mettre leurs billes dans notre pays qui en a tant besoin pour sortir des rets du sous-développement qui l’étreignent dans une pauvreté permanente.
Aujourd’hui, partout dans le monde, les Sénégalais occupent des postes privilégiés dans les plus hautes instances internationales, enseignent dans les universités les plus prestigieuses. Partout, leur expertise est louée. Pourquoi donc ne sont-ils pas prophètes chez eux ?
Il y a tout un système de prédation et de corruption qui a été mis en place et développé au fil des années par nos dirigeants détenteurs du pouvoir et de l’avoir au point que le Sénégalais pense que seules les voies de facilité politiciennes peuvent lui permettre d’amasser fortune sans fournir beaucoup d’efforts.
Tout cela pour dire qu’un discours circonstanciel et injonctif ne suffit pas pour fouetter l’ardeur des Sénégalais au travail. Il faut des actes concrets qui commencent par nos dirigeants et leurs collaborateurs, lesquels désertent systématiquement leur lieu de travail chaque jeudi, usent et abusent des biens de l’Etat pour organiser des meetings politiques.