Etre bonne plutôt qu'élève
KOUMPENTOUM, 60% DE TAUX D'ABANDON SCOLAIRE

La caravane de sensibilisation des professionnels des médias sur la traite des personnes au niveau des sites d'orpaillage traditionnel à Kédougou, s'est arrêtée à Koumpentoum, sur le chemin du retour. Dans ce département réputé pourvoyeur de domestiques notamment dans la zone des «Terres neuves», à cause de la pauvreté, non seulement les parents n'ont pas les moyens pour scolariser tous leurs enfants, mais ils obligent les filles à trouver du travail domestique pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Conséquence, le taux d'abandon scolaire dans le département se situe à plus de 60%. Alarmant pour une circonscription administrative plus grande que la région de Thiès.
Situé à 100 km de Tambacounda, la capitale régionale, Koumpentoum, chef lieu de département, a fait les choux gras de l’actualité l’année dernière avec le retour organisé de centaines de fillettes âgées de 7 à 12 ans, employées de maison dans le ville de Tambacounda. A l’époque, avec l’aide de l’Ong «La Lumière», les autorités locales et d’autres structures spécialisées dans la défense des droits de l’enfant et la scolarisation des filles, 108 fillettes mineures, tirées des affres d’une sorte de «traite» qui ne dit pas son nom et recevant des miettes en termes de rémunération, ont pu regagner leurs familles respectives dans une dizaine de villages des «Terres neuves» dans le département de Koumpentoum.
De retour de Kédougou, la caravane de sensibilisation des professionnels des médias sur la traite des personnes, à l’initiative de la Cellule nationale de lutte contre la traite des personnes (CNLTP), en partenariat avec l’ONUDC, le BIT, l’UNICEF et élargie d’autres structures, a fait escale à Koumpentoum. Dans ce département «pourvoyeur de domestiques», la trouvaille des fillettes (avec la complicité de leurs parents) est de déclarer travailler comme bonnes en ville pour payer elles-mêmes leurs fournitures scolaires et des habits neufs pour la rentrées des classes, cache mal les difficultés des parents à maintenir leurs filles à l’école.
Disparité favorable aux filles
Suffisant pour que Ibrahima Diouf, l’adjoint Inspecteur de l’éducation et de la formation (IEF) de Koumpentoum déplore l’impact du travail comme domestique (des bonnes) sur l’éducation des jeunes filles. Selon lui, dans la zone des terres neuves, 60% des filles abandonnent l’école au niveau secondaire. «Le maintien des filles aux cycles primaire et secondaire pose un énorme problème. On est dans une zone de paupérisation, les parents n’ont pas de moyens pour scolariser tous leurs enfants. 60% des filles abandonnent l’école au niveau secondaire, c'est-à-dire de la 6ième secondaire à la 3ième», a confié l’adjoint de l’IEF.
Pis, au niveau départemental, il y a plus de 40% de taux d’abandon scolaire. «40% de taux d’abandon au collège, c’est alarmant pour un département plus grand que Thiès». Pourtant, dès le cycle primaire, les tendances sont favorables aux filles, même si c’est l’inverse dans le secondaire. En atteste, «du Cours d’initiation (CI) au Cours moyen deuxième année (CM2), le taux de scolarisation est favorable aux filles du point de vue de la disparité genre. A partir de la 6ième (Collège) la disparité genre devient favorable aux garçons en ce sens que c’est à ce niveau que l’on commence à enregistrer des abandons», a affirmé Ibrahima Diouf.
Ces contreperformances en matière de maintien des écolières s’expliquent par le fait que les filles vont en ville (Tambacounda, Kaolack, Kaolack, Dakar, et même en Gambie) où elles travaillent comme domestiques. S’y ajoutent également les mariages précoces. Bref, le manque de moyens constitue la principale cause de ces abandons. «Nous sommes dans une zone pauvre, les parents n’ont pas les moyens pour scolariser tous les enfants. Souvent, elles abandonnent faute de moyens. Elles préfèrent aller chercher du travail dans les villes pour aider leurs parents».
Bourses ou kits scolaires
C’est pour y remédier que l’Inspection, consciente de ses moyens limités en appelle à l’aide et au soutien de partenaires et bonne volontés pour doter ces écolières de kits scolaires. «Les capacités des IEF sont limitées, surtout en termes de logistique. Néanmoins, pour y remédier, des foras sont organisés avec les Coordinations des directeurs d’écoles (CODEC) pour sensibiliser les parents et les populations en général. Nous faisons appel à des partenaires pour sensibiliser davantage sur la question. La solution est de doter ces filles de kits scolaires ou de bourses», a-t-il préconisé.
De l’avis de l’inspecteur Ibrahima Diouf, de manière générale, le taux de scolarisation reste des plus faibles dans le département de Koumpentoum. «L’autre facteur bloquant l’accès des enfants à l’école, c’est l’offre éducationnelle qui peut-être ne correspond pas aux attentes des populations. Il y a aussi le fait que nous sommes dans une zone pastorale et les enfants sont utilisés dans l’élevage. Ce qui fait que le taux de scolarisation reste un des plus faibles du pays. Environ 60% des enfants en âge d’aller à l’école (5, 6 à 7 ans) ne sont pas scolarisés».
Aussi, le nombre élevé d'abris provisoires dans la zone ne semble pas favoriser un bon apprentissage, d'autant qu'ils concernent l’essentiel des établissements scolaires. Même le CEM communal de Koumpentoum, une école de six classes, est en abri provisoire, dont trois en hutte (crintins couverts de paille). Cependant, Ibrahima Diouf a relevé que l’impact des abris provisoires sur l’éducation des enfants, notamment l’abandon scolaire n’est pas prouvé. Selon l’inspecteur, malgré l’absence d’étude dans ce domaine, les abris provisoires n’ont pas d’incidences sur la scolarité. «L’environnement scolaire n’est pas un frein à la scolarisation, c’est la pauvreté. Notre mission c’est d’améliorer l’accès à l’école qui constitue un problème à Koumpentoum et le maintien des filles aux cycles primaire et moyen», a-t-il indiqué.
Retour organisé de 108 filles mineures en famille
Pour rappel, en septembre 2012, l’histoire de quelque 108 fillettes âgées de 7 à 12 ans, travaillant comme domestiques pour subvenir à leurs besoins avait défrayé la chronique à Tambacounda. Originaires d'une dizaine de villages du département de Koumpentoum, notamment des «Terres neuves», ces fillettes, des élèves des classes élémentaires, pour la plupart, qui sont toutes employées dans le seul quartier Camp Navétane de la ville, dormaient par groupes d'environ 20 dans une chambre et à même le sol.
Ce qui avait fini par soulever l’ire des autorités et organisations dont l'Action éducative en milieu ouvert (AEMO) de la région, les militantes de la Scolarisation des filles (SCOFI) et d’Ongs telle «La Lumière». Pour prendre à bras-le-corps ce phénomène alors nouveau à Tambacounda, les autorités et autres responsables alertés ont décidé de mener des actions communes. Dès lors, ces enfants ont été regroupés chez une militante de la SCOFI. Il s’en est suivi leur retour organisé dans leurs familles respectives dans le cadre d’une caravane de sensibilisation avec l’aide de l’Ong La Lumière, en partenariat avec projet BIT/AECID, l’ONUDC, l’UNICEF, l’Organisation internationale des migrations (OIM) et la Direction de la protection de l’enfant informée de la situation.
Ibrahima Sory Diallo, le secrétaire exécutif de La Lumière, avait qualifié d'«inhumaines» les conditions dans lesquelles vivaient ces fillettes qui déclaraient travailler comme domestiques pour payer elles-mêmes leurs fournitures scolaires. Et d’ajouter que l'objectif de la caravane était de faire comprendre aux populations «le caractère répréhensible» de ce phénomène, qui «ne rime pas avec nos réalités». Mieux, travailler comme domestique à cet âge (sept à 12 ans), «ne cadre pas avec les conventions signées par l’Etat du Sénégal». «D’un commun accord, les décisions qui s’imposent seront définies et des mesures à court et moyen termes explorées, afin que des phénomènes pareils ne se reproduisent plus jamais dans la région», avait-il souligné à l’Aps.
DU SINE-SALOUM A KOUMPENTOUM - L'histoire des «Terres Neuves»
Les «Terres Neuves», furent créées en 1972 par le gouvernement du Sénégal avec feu le président-poète Léopold Sédar Senghor. Ses habitants, des sérères majoritairement, proviennent du Sine (Fatick) pour l'essentiel (arrondissement de Diakhao) et du Baol. C'est un mouvement d'agriculteurs organisé par l'ancien président Léopold Sédar Senghor vers Koupentoum. Le but de cette migration était de désengorger cette région, avec peu de terrain cultivable à l'époque, vers cette zone du Sénégal oriental, plus propices à l'agriculture, et «ça avait réussi», explique le vieux Mamadou Lamine Sarr, habitant de Diaglé Sine.
Selon lui, une fois sur place, ces habitants n'ont trouvé qu'une forêt dense où on pouvait entendre pendant la nuit le hurlement des hyènes et les cris d'autres animaux sauvages. Toutefois, ils ont eu quelques soutiens de l'Etat et ont bénéficié de mesures d'accompagnement de la Société des Terres Neuves (STN). Cependant, alors même qu'ils n'ont pas eu le temps d'avoir une situation économique acceptable et autonome que les terres se sont dégradées. La terre n'est plus fertile et la population a augmenté, a-t-il noté.
Quatre villages composent les «Terres Neuves» à savoir Darou Fall, Félal Sine, Diamaguene Sine et Diaglé Sine.