EXTIRPER DE NOTRE SOCIÉTE LA CULTURE DE LA TRICHE
LOI CONTRE LA FRAUDE À L’ÉLECTRICITÉ ET LE VOL DE BÉTAIL

Le gouvernement a décidé de punir sévèrement, les voleurs de bétails et les fraudeurs au courant électrique. Les députés ont eu la main lourde : une peine de 5 à 10 ans dont la portée dissuasive est pourtant sujette à caution.
Si l’on s’en réfère à ses statistiques, la fraude à l’électricité coûterait à la SENELEC la bagatelle de 27 milliards de FCFA, soit presque 1O% de ses recettes. Quel crédit peut-on accorder à ce calcul ? La fraude est par essence occulte, non identifiée, difficilement mesurable. A moins que la SENELEC ait fait machinalement, le rapprochement mathématique entre la production réelle et les recettes effectives.
Mais il y a tellement de formes de consommations non comptabilisées et non comptabilisables, qu’il serait hasardeux de tout imputer à la fraude.
Somme toute, la triche généralisée, reste malgré tout, une pratique ignominieuse et abjecte. Il ne faut pas que la SENELEC se cache derrière son petit doigt, pour occulter ses vrais problèmes, et tout mettre sur des pratiques qu’elle connaît bien. La plupart des fraudeurs bénéficient de l’appui technique des agents de la SENELEC pour qui le patriotisme d’entreprise est un vain mot.
Autrement dit, si la SENELEC veut bien combattre la fraude, il n’a qu’à revoir sa communication interne et étudier les ressorts sur lesquelles, elle doit s’appuyer pour élever le niveau de conscience de ses agents, les fraudeurs du premier rideau.
La nouvelle loi punissant les fraudeurs serait alors presque sans effet, puisqu’il s’agit d’un problème de management de ses ressources humaines en interne et de civisme pour les mauvais citoyens qui s’y adonnent. Adopter une loi essentiellement pour sauver la SENELEC, c’est quelque part tenter de dédouaner une entreprise non performante, reconnaître l’échec de toute une politique énergétique.
Le vol de bétail, l’autre centre d’intérêt de la loi, mérite une grande attention, tant son ampleur est forte. Elle touche et affecte des cibles vulnérables, sans défenses, sans grands moyens et laissés à eux-mêmes. Et qui plus est dans les zones frontalières où la sécurité est défaillante.
Si le vol de bétail a atteint cette amplitude et cette régularité, c’est que nos voisins, singulièrement, bissau-guinéens, assurent aux voleurs, bienveillance et protection. Et aussi parce que le Sénégal ne fait pas assez usage de ses droits de poursuite, pour traquer les malfaiteurs et récupérer les animaux extorqués.
Nos dirigeants se contentent de déclarations d’intention des gouvernants des pays frontaliers et d’accords jamais appliqués. Aucune suite n’étant donnée à ces vœux pieux. Il ne fait aucun doute que tant que des mesures préventives hardies n’auront pas été prises, légiférer simplement n’y fera rien.
A tout mal, tout remède approprié. Il faut protéger nos frontières, exercer nos droits de poursuites, marquer notre bétail, l’identifier en mettant un dispositif de traçabilité infaillible. Créer des parcours de bétail respectant les droits des cultivateurs, et contrôler, voire punir, la divagation des bétails devraient aussi faire partie de l’arsenal de mesures arrêtées, et qui viendraient s’ajouter à la pénalisation de ces délits
Il ne s’agit nullement de s’offusquer des nouvelles mesures pénales. Mais plutôt de comprendre que la prévention est toujours préférable aux sanctions qui interviennent, a posteriori, quand le mal est déjà. Le caractère dissuasif de la loi n’étant prouvé de façon irrémédiable.
Et puis, il y a tellement d’autres formes de fraudes dans des domaines divers et variés, que les députés consacreraient tout leur temps à voter des lois, s’ils voulaient légiférer sur elles.
L’ONAS dans l’assainissement, la SONES et la SDE dans l’eau potable, les œuvres des artistes, la SAR dans les hydrocarbures, entre autres, tous, sont tous les jours victimes de fraudes massives. Au cru du grand jour !
Les branchements clandestins dans l’eau potable et l’assainissement, vont perdre à la SDE, la SONES et l’ONAS des recettes importantes.
En effet, beaucoup de consommateurs piratent ces réseaux et se servent royalement et gratis en liquide précieux, se branchent sur les canaux à ciel ouvert, destinés aux eaux pluviales, y déversent leurs déchets solides et liquides, volent les plaques en aluminium des égouts, et les écrous des glissières et des lampadaires de l’autoroute.
Avec toutes les graves conséquences, qu’on sait. Ne faudrait-il pas les confondre dans les mêmes sanctions ? Les conséquences de leurs forfaits sont aussi graves que celles des fraudeurs à l’électricité et les voleurs de bétails.
De leur côté, les musiciens aussi ont toutes les raisons de se sentir frustrés. Leurs œuvres sont dupliquées, pillées, vendues à vue d’œil dans les carrefours, sans que les mesures prévues par le bureau sénégalais des droits d’auteur ne soient appliquées. Cette fraude à grande échelle devrait faire l’objet d’une législation plus sévère, car les auteurs ne se cachent même pas.
Une loi est par nature impersonnelle et générale. Elle vaut par son impartialité et sa neutralité. Qu’on ne cherche pas par cette nouvelle disposition à exonérer la SENELEC de ses devoirs en déplaçant le nœud du problème vers la fraude. Le caractère stratégique de l’énergie doit amener le gouvernement à se doter d’un vrai plan de production, de distribution et de commercialisation de l’énergie.
Le plan Takkal est enterré. Et pour cause ! Il consacrait une autre forme de fraude. Toujours est-il que la SENELEC n’arrive toujours pas, malgré ses incantations, à fournir correctement aux Sénégalais de l’énergie. Et l’état s’arc-boute sur ce mode de production sans réellement explorer d’autres énergies non fossiles, dans une logique de développement durable. Il tente au contraire d’user de faux-fuyants en sachant que si les menaces de punition étaient dissuasives, la vertu serait notre sport national. On en est bien loin, hélas !
Il est plus que jamais nécessaire de combattre la culture de la fraude qui gangrène notre société ? A commencer par les fraudeurs en col blanc, et autres autorités enturbannées, qui se donnent toutes les licences, toutes les exonérations et tous les passe-droits pour ne pas payer leurs consommations.