FADA, L'INTOUCHABLE ?
Wade pouvait épargner au Pds une crise domestique qui risque sinon de ruiner les chances de succès du candidat de son parti à la prochaine présidentielle, du moins d’éroder sérieusement ses forces
CONTRE-OFFENSIVE
Promu dans l’exécutif du Pds nouvellement remanié, mardi dernier, Daouda Niang est déjà à la bourre. Afin de mettre tous les atouts de son côté pour mener à bien sa mission d’apôtre de paix, il a demandé et obtenu, ce jeudi, la suspension sine die des auditions des frondeurs envisagées par la commission de discipline du parti libéral.
"Le médiateur interne du Parti démocratique sénégalais a pris l’initiative de proposer au secrétaire général national, de différer les procédures initiées par la Commission de discipline du parti afin de lui permettre de jouer sa partition. Le secrétaire général national ayant marqué son accord, toutes les procédures initiées sont suspendues jusqu’à nouvel ordre", informe un communiqué parvenu à www.SenePlus.Com et portant la signature du coordonnateur national du Pds, Oumar Sarr.
Cette décision est-elle à mettre exclusivement sur le compte du sens de l'initiative de Daouda Niang, comme tente visiblement de le faire croire le communiqué en question, ou constitue-t-elle aussi le premier résultat de la contre-offensive menée par les mis en cause contre leurs détracteurs ?
Les faits semblent accréditer la deuxième thèse car, dans cette querelle domestique entre libéraux, les frondeurs se montrent sereins et déterminés tandis que leurs pourfendeurs paraissent plus à l’étroit qu’à l’aise dans leurs souliers. Aux menaces de sanctions brandies contre eux, Modou Diagne Fada et ses proches ont répondu par la contre-attaque. Portant plainte contre Abdoulaye Faye et ses pairs de la commission de discipline du Pds et adressant une citation directe à Farba Senghor, l’autre libéral qui les accuse d’avoir touché de l’argent de Macky Sall.
Dans la foulée, ils remettent en cause la légitimité du nouveau gouvernement du Pds. "Nous avons décidé d’adresser une lettre au frère secrétaire général pour contester la composition du secrétariat national, confie Mansour Ndiaye, porte-parole du jour des frondeurs après leur réunion d’hier, jeudi 18 juin, chez Diagne Fada. Il a juste validé une liste qu’on lui a proposée. Ce secrétariat ne reflète pas la configuration actuelle du parti."
DE L’HUILE SUR LE FEU
Fada et Cie ne manquent pas d’arguments. Composé de 60 membres, le nouveau gouvernement libéral n’accorde pas la priorité aux élus. Si les principaux frondeurs, à l’exception notable d’Habib Sy, y figure, ils ne jouent pas les premiers rôles. Diagne Fada, le mieux classé, n’arrive qu’en cinquième position après Abdoulaye Wade, qui préside l’instance. Celui qui est nommé secrétaire national en charge des activités parlementaires est devancé par Oumar Sarr (1er), Madické Niang (2e), Babacar Gaye (3e) et Samuel Sarr (4e). À l’exception du premier, maire de Dagana, aucune de ces personnalités ne dispose d’une base politique solide.
Pis, Aïda Mbodji et Mamadou Lamine Keïta, respectivement présidente du conseil départemental de Bambey et maire de Bignona, sont 11e (en charge de la société civile, de la parité et des associations féminines nationales et internationales) et 35e (en charge des élus locaux) de la liste publiée mardi dernier. Autant dire qu’ils évoluent dans le ventre mou du secrétariat national du Pds.
Cette redistribution des cartes, qui fleure bon une volonté d’isoler les frondeurs, pourrait jeter de l’huile sur le feu. Accentuer le courroux de Fada et ses amis, qui réclament un relooking de la direction du Pds sur la base du mérite, des résultats des dernières locales notamment. Pour une formation qui, suite à la perte du pouvoir en 2012, est à la fois décimée par les départs de certaines figures de premier plan, minée par les batailles de leadership et démobilisée par les procédures judiciaires contre certains de ses responsables, la priorité devrait être de recoller les morceaux plutôt que de poser des actes de nature à accentuer les lignes de fracture.
ATOUTS MAJEURS
Dans leur combat pour la restructuration du Pds, les principaux frondeurs disposent d’au moins quatre atouts non négligeables : leur légitimité en tant qu'élus, leur unité, leur influence au sein de leur groupe parlementaire "Libéraux et Démocrates" et le soutien affiché de Karim Wade.
Diagne Fada est le président du conseil départemental de Kébémer. Aïda Mbodji dirige celui de Bambey. Mamadou Lamine Keïta est le maire de Bignona. Ce trio figure dans le lot des rares libéraux à avoir réussi, lors des dernières locales, à faire flotter le drapeau bleu dans leurs localités respectives. Ça force le respect et, surtout, ça donne de la légitimité et des ailes. D’autant que les concernés ont vaincu dans un contexte très peu favorable où le parti présidentielle (Apr) et/ou la coalition au pouvoir (Benno siggil Senegaal) ont mené une forte offensive de charme en direction des électeurs et des responsables de l’opposition.
Fade est le président du groupe parlementaire "Libéraux et Démocrates". Jusqu’aux renouvellements de la composition de cette instance, probablement au mois d’octobre prochain, il est intouchable. S’il démissionnait de lui-même du Pds, il perdrait automatiquement son mandat de député et, donc, laisserait vacante la présidence du groupe. Le cas échéant, les choses seraient plus simples pour Wade ; il lui suffirait juste de désigner un fidèle parmi ses fidèles et la page serait tournée.
Mais conscient de la puissance de l’arme de dissuasion massive qu’il a sous le coude, le président du conseil départemental de Kébémer reste en poste. Les libéraux ont d’ailleurs intérêt à se tenir à carreaux à l’Assemblée nationale. Sinon, l’intéressé pourrait facilement faire éclater leur groupe en claquant la porte avec Aïda Mbodji, Mamadou Lamine Keïta, Fatou Thiam et Cie. Ce qui serait une catastrophe pour le Pds, qui compte 12 députés, soit seulement deux sièges de plus que le minimum requis pour former un groupe parlementaire.
Faudrait-il que les frondeurs restent unis jusqu'au bout. En agitant la carotte du renouvellement de l’exécutif du Pds tout en maniant le bâton des auditions devant la commission de discipline du parti, l’ancien président de la République espérait sans doute créer une fissure dans le mouvement dirigé par Fada. Il n’en est rien pour l’instant.
Quatrième atout de Fada et Cie, le soutien de Karim Wade. L’ancien ministre d’État, qui purge une peine de 5 ans à Rebeuss, a fait part de son souhait de voir le parti de son père réorganisé comme le veulent les frondeurs. Ces derniers gagneraient certes à se méfier d’un tel élan de sympathie, mais cette reconnaissance ressemble bien à une abdication de la direction du Pds. L’ancien président de l’Anoci tirant les ficelles depuis la prison, selon certaines informations.
Quoi qu’il en soit, Wade pouvait épargner au Pds une telle crise qui risque sinon de ruiner les chances de succès du candidat de son parti à la prochaine présidentielle, du moins d’éroder ses forces. Le vin étant tiré, le pape du Sopi ferait mieux de reconnaître que ses choix ne sont plus indiscutables, de rentrer la panoplie des menaces, de tenir la bride aux faucons qui le poussent au clash avec les frondeurs et d’initier avec ces derniers des discussions sincères. Toute option belliqueuse serait hasardeuse.