FERMETURE ANNONCEE DE L’HOPITAL NINEFECHA : VIVIANE WADE RECLAME SES CLEFS
A Kédougou, une nouvelle est venue perturber la quiétude des populations : l’hôpital de Ninéfecha arrêtera de fonctionner à partir du 29 juin. Son principal bailleur, l’ancienne Première dame Viviane Wade, aurait demandé qu’on lui rende les clés de la structure ainsi que l’arrêt des travaux. Don du conseil général des Hauts de Seine en France et de son président Charles Pasqua à la fondation Education-Santé, cet hôpital a été inauguré le 6 novembre 2002 par ce dernier et le Président Abdoulaye Wade.
C’est la tristesse et la désolation à Ninéfecha, localité située à 42 kilomètres de Kédougou dans l’arrondissement de Bandafassi. Et pour cause, la fermeture annoncée de son hôpital implanté depuis plus d’une décennie pour alléger les souffrances auxquelles étaient confrontées les populations dans le cadre de la prise en charge médicale. Hélas, après la chute du régime libéral, la question de la survie de ladite structure sanitaire privée à but non lucratif a été agitée à plusieurs reprises. Aujourd’hui, les populations sont au regret de voir ce joyau, qui faisait leur fierté, fermé.
En effet, la présidente de la fondation Education-Santé, Mme Viviane Wade, ancienne Première dame du Sénégal qui est à l’origine de la création de cet hôpital à vocation sous-régionale aurait demandé à ce qu’on ferme l’hôpital et qu’on lui remette les clefs au plus tard le 29 du mois en cours. Pour quelle raison ? Difficile d’avoir une réponse. Sur place, pas moyen de faire parler un responsable. Ninéfecha étant sous tutelle des militaires, le directeur de l’hôpital s’abstient de tout commentaire ou indication. On a beau insister, mais il évoque toujours le droit de réserve.
L’arrestation de Karim Wade, un motif officieux
Toutefois dans la zone, certains considèrent que cette décision devrait avoir un rapport avec l’arrestation de Karim Wade. Dondo Kanté n’en doute point. Il explique : «Depuis que le Pds a quitté le pouvoir, c’est Mme Wade qui faisait tourner l’hôpital de sa propre poche et ce n’est pas facile. Surtout si son fils aîné est emprisonné. Ce sera vraiment difficile pour elle de gérer tout cela.» Colérique, il poursuit : «Psychologiquement, elle ne pourrait pas gérer tout ça à la fois.»
En tout cas, c’est là une nouvelle inopinée qui a fini de plonger les habitants de la communauté rurale de Ninéfecha et des autres localités environnantes dans la tourmente.
Créé depuis 2002 par la fondation Education-Santé, l’hôpital de Ninéfecha a permis à cette contrée de sortir du trou et à ces populations d’accéder à des soins de santé de qualité à moindre coût. D’autant plus qu’avant l’érection de cet hôpital, les populations étaient confrontées à d’énormes difficultés pour la prise en charge de leurs malades. Et cette fermeture ne sera pas sans conséquences pour les populations locales et environnantes qui viennent de tous les horizons pour bénéficier des services sanitaires de l’hôpital.
Si on ne trouve pas une solution palliative à cette fermeture «on reviendra à nos anciennes méthodes qui consistent à porter nos malades sur la tête ou dans des hamacs pour les acheminer vers le district sanitaire de Kédougou», se désole Dondo Kanté, conseiller rural et militant du Parti démocratique sénégalais (Pds). Depuis son implantation dans cette zone de Kédougou, l’hôpital de Ninéfecha a participé de façon active à l’effort de santé de milliers de personnes par an. En attestent les nombreux patients étrangers que reçoit l’hôpital chaque jour et en toute période.
En outre, la fermeture de cet édifice coïncide avec l’installation de l’hivernage. Une période où le paludisme est très fréquent, notamment chez les enfants et les femmes en état de grossesse. Pour Dondo Kanté, c’est le «mauvais» moment qu’on attend pour nous annoncer la fermeture de l’hôpital. Et notre interlocuteur de poursuivre «c’est la mort à Ninéfecha» si toutefois l’hôpital ferme ses portes. Et c’est ce qui risque d’arriver si l’Etat ne prend pas en charge cette question au risque d’enregistrer beaucoup de pertes en vies humaines avec le paludisme qui fait des ravages dans la zone.
Par ailleurs, Samba Woury Coulibaly, vieux sage sous l’effet de surprise martèle : «On se soignait traditionnellement avant l’implantation de l’hôpital.» Pour ce dernier comme pour la majeure partie des populations rencontrées à Ninéfecha, «la nouvelle a été brusque». Nos différents interlocuteurs disent ignorer les motivations qui ont poussé l’ancienne Première dame du Sénégal à vouloir arrêter les prestations de l’hôpital de ladite localité.
Les autres structures menacées
En fait après la régionalisation de Kédougou, l’hôpital a fortement pesé sur la balance pour faire de Ninéfecha une communauté rurale. D’ailleurs, l’érection de cette localité en communauté rurale a suscité beaucoup de polémiques. Ainsi, grâce à cette infrastructure sanitaire où la télémédecine a été expérimentée pour la première fois au Sénégal, Ninéfecha a commencé à décoller avec l’implantation de certaines structures comme sa brigade de gendarmerie, le collège d’enseignement moyen, l’internat, une case des tout-petits, entre autres. La fermeture de cet hôpital risque d’entraîner d’autres dégâts. Tel que la fermeture de la brigade de gendarmerie qui avait pour mission la sécurisation de l’hôpital, mais aussi et surtout garantir la sécurité des populations et de leurs biens.
Dondo Kanté invite les nouvelles autorités à se saisir de la question pour maintenir l’hôpital fonctionnel, car sa fermeture «sera lourde de conséquences pour les populations», et cela impactera sur la ferme-école qui, à son avis, sera aussi «fermée». Même la brigade de gendarmerie «n’aura plus sa raison d’être» après la fermeture de l’hôpital parce que «tout cela va de pair».
Benjamin Sambou, principal du collège de Ninéfecha, ajoute que «c’est triste» de voir cet hôpital fermé autant sur le plan «social, éducationnel, que sanitaire». Ce serait un coup dur pour la communauté rurale de Ninéfecha et pour le Sénégal parce qu’«il n’est pas facile de trouver un hôpital de cette envergure» pour lequel des milliards ont été investis.
Par ailleurs, la fermeture de Ninéfecha aura un impact négatif sur les performances scolaires et la fréquentation des écoles de la localité, car l’hôpital assurait une prise en charge gratuite aux enfants, en particulier ceux de l’élémentaire. Parce que la plupart de leurs parents sont démunis, ce qui fait croire à Benjamin Sambou que «si l’hôpital ferme, les études seront compromises pour ces élèves».
«Il y va de l’intérêt de toute la communauté de se battre pour que l’hôpital continue à fonctionner», déclare M. Sambou selon qui quel que soit le statut de l’hôpital, l’Etat ne doit pas rester insensible. Qu’il «soit à but non lucratif ou semi-lucratif, l’Etat du Sénégal doit prendre en charge cet hôpital-là» insiste-t-il.
Catastrophe pour Assoni, capitale de la bilharziose
Le village d’Assoni est l’un des 25 villages de la communauté rurale de Ninéfecha. Situé à 6 kilomètres de cette contrée, Assoni est réputé être la «capitale» de la bilharziose à cause des nombreux cas répertoriés dans la localité. Ce qui est source d’inquiétude pour Daouda Sow, directeur d’école à Assoni. «C’est une catastrophe», de l’avis de M. Sow qui se rappelle que «les populations faisaient leur besoin à l’air libre, du fait de l’absence de latrines». D’ailleurs, selon les statistiques de 2008, «98% des élèves avaient soit la bilharziose intestinale soit la bilharziose urinaire».
Mais pour inverser cette situation, Mme Viviane Wade et ses partenaires avaient financé soixante latrines dans le village. Ce qui a permis, selon Daouda Sow, de réduire cette maladie jusqu’à «42% d’après les statiques de cette année». Et l’hôpital de Ninéfecha a joué un grand rôle dans la réalisation de cette performance.
D’où la consternation, quand en pleine phase de sensibilisation pour un objectif zéro cas de bilharziose, «on apprend que Mme Wade et ses partenaires se sont retirés et que par la même occasion on annonce la fermeture de l’hôpital de Ninéfecha».
Pour rappel, l’implantation de l’hôpital de Ninéfecha dans cette zone où les mariages précoces sont toujours à la mode a sauvé plusieurs vies. Parce qu’on donne les filles en mariage à partir de 12, 13 ans. Or, en cas de grossesse compliquée, les gens n’ont pas les moyens d’évacuer leurs malades sur Kédougou. «L’autorité a intérêt à trouver une solution face à ce retrait de Mme Wade», conclut Daouda Sow.