FEU SOUS LES CENDRES
Pour avoir traité la question universitaire avec distance, voire autoritarisme, le Président Macky Sall a été rattrapé par cette négligence coupable
Il est heureux que le Président Macky Sall ait décidé de prendre en main, personnellement, le dossier de la crise universitaire. Elle avait atteint un tournant dramatique et aurait pu déboucher de manière gravitaire sur une crise politique, voire une crise majeure de société. Cependant, il serait illusoire de croire, que les seules rencontres au Palais présidentiel, même dans une ambiance détendue suffirait à trouver solutions pérennes à une crise durable et profonde.
Pour avoir traité la question universitaire avec distance, voire autoritarisme, le Président Macky Sall a été rattrapé par cette négligence coupable. Il se rend bien compte aujourd’hui que les lénifiants discours des ministres sur l’efficacité des solutions apportées aux crises cycliques sont d’une désastreuse vanité. Ils ont en fait répliqué la calamiteuse méthode wadienne dont on connaît la boîte à outils : soudoyer les étudiants les plus impénitents, les diaboliser, infiltrer, noyauter les amicales, créer des scissions et des groupes parallèles pour mieux récupérer les mouvements.
Ces pratiques mafieuses n’ont eu que l’heur de produire dans les campus sociaux et pédagogiques de l’agitation permanente, de la radicalisation par des générations d’étudiants professionnels, des bataillons de dealers de tous acabits. C’est ce qui a vicié l’enceinte universitaire devenue le champ clos de toutes les dérives et déviances.
Ainsi plantées et entretenues, les germes de la violence n’en finissent pas de générer cette instabilité structurelle, sources de tous les dérapes. Il devient dès lors incompréhensible que le régime actuel ait pu un seul instant penser que la résolution de la crise pouvait résider dans les palabres appelées, Concertations Nationales de l’Enseignement Supérieur (CNAES, avril 2013).
Comment croire qu’il suffirait à phosphorer pendant quelques jours au Méridien Président, pour présenter des documents préétablis par des experts rompus à cette tâche, réaliser un consensus et à minima sur 78 vœux pieux, et crier Eurêka ?
A preuve, les seules questions de l’augmentation des inscriptions et du paiement des bourses ont suffi à mettre le feu aux poudres. La donne essentielle, celles des apprenants désespérés, pris de hantise et d’angoisse existentielles, sans espoirs de trouver un emploi, a été tout simplement et savamment occultée. A sa place, des solutions de type stratégique, cohérentes, audacieuses mais sans aucune prise avec la réalité.
Exemple ? Comment décréter péremptoirement que l’enseignement universitaire devrait prendre une tournure scientifique et technique, alors que 70 % bacheliers dont plus de 60 % de femmes choisissent des filières littéraires ou juridiques ? Et que surtout rien n’est fait pour inverser cette tendance.
Les blocs scientifiques dans les lycées, là où ils existent, sont réduits à des capharnaüms, des dépotoirs d’élèves cafardeux, d’enseignants languissants, aux connaissances obsolètes, réduits à traquer les séminaires et autres workshop, pour glaner des «perdiem» et arrondir les difficiles fin de mois.
Autre point focal de ces conclusions l’introduction des TICS, alors que le désert informatique envahit nos écoles et les ensevelit dans une inclassable indigence. On pourrait multiplier à souhait les incongruités de ces CNAES, dont les conclusions généreuses se confinent dans la cogitation simple.
Le plus grave est qu’elles sont non seulement inopérantes, mais elles créent l’illusion que de vraies solutions sont trouvées miraculeusement par les seules vertus de la parole incantatoire. A preuve que non. Il ne s’agit pas de conclure à leur inanité et de les jeter comme le bébé et l’eau du bain. Elles constituent une base stratégique intéressante dans la prospective. Mais la vraie réflexion ne devrait pas seulement porter sur leurs finalités qu’on peut aisément deviner, mais plutôt sur les conditions et autres préalables étapes indispensables pour les matérialiser.
On ne recrée pas la nouvelle université sénégalaise uniquement par des préconisations et de la générosité intellectuelle. On rebâtira notre école et nos universités qu’en prenant la mesure de leurs tares pour leur appliquer des solutions pratiques. L’écoute, la constance dans l’effort, le souci de l’opérationnalité doivent être essentiellement privilégiés par rapport aux approches sophistes et autres masturbations intellectuelles.
Autre exemple récent ? Comment imaginer fermer les campus universitaires alors que les étudiants (re)préparent leurs examens après une secousse tellurique d’une grande amplitude causée par la mort de Bassirou Faye ? C’est manquer du plus élémentaire sens des réalités. Voilà pour les solutions administratives dépourvues de toute forme de contextualisation. Des maladresses de cette nature sont hélas nombreuses et fréquentes.
Aucun pays au monde n’a construit sa nation sans les étudiants, les écoles et les forces de jeunesse, vecteur d’intelligence, de créativité et de changement potentiel. La formation professionnelle et l’aptitude à créer des processus de promotion résident ou doivent résider d’abord dans ces forces dynamiques et porteuses de progrès.
L’histoire politique encore récente a suffisamment montré que les politiques majeures en Occident ont été souvent déclenchées à partir des campus. Les organisations estudiantines ont toujours faire le lien avec le monde syndical dont elles ont constitué l’encadrement sinon la superstructure. Révélateurs, déclencheurs, animateurs, mais aussi, il faut le dire, instruments dans les mouvements sociaux, les étudiants ont rarement le meilleur profit de leur position avant-gardiste.
Les apaisements trouvés, fruit de négociations politiques exclusives les ont souvent mis à l’écart des processus de négociation et bien entendu de l’usufruit des solutions ponctuelles. Les mouvements portés par les étudiants aux Etats-Unis, en France, dans les pays de l’Est, même en Chine post-maoïste et singulièrement en Afrique ont fait la cruelle démonstration de cette perfidie récupératrice dont les étudiants ont fait les frais sous tous les cieux.
L’erreur de ce gouvernement comme celle de ceux qui l’ont précédé c’est de vouloir reconstruire l’université sans les étudiants. Les solutions ne se trouveront que dans la capacité du gouvernement et du Président de la République à les écouter, les entendre, les comprendre. Non pas pour les amadouer ou sur-dimensionner leur ego et leur rôle dans la nation. Mais leur laisser prendre, en rapport avec les corps sociaux, leur vraie place dans notre société, celle d’une force de catalyseur, bien formée et surtout bien insérée les processus de promotions économiques et sociales.