FIASCO
Même si les barbus et leurs sympathisants ont donc eu tout le loisir de manifester contre "Charlie Hebdo" et le président de la République, force est de reconnaître que ces manifestations n’ont pas drainé grand-monde
Des Sénégalais ont donc manifesté contre les caricatures jugées blasphématoires du Prophète Mohamed publiées par le journal "satirique" français "Charlie Hebdo". Ils ont exprimé leur mécontentement de diverses manières. D’aucuns ont déversé leur fiel et leur soul à travers les réseaux sociaux, d’autres ont usé des "wakh sa khalat" (libres opinions) des radios pour vitrifier le journal tandis que d’autres encore ont choisi de marcher pour vouer aux gémonies les journalistes de "Charlie Hebdo".
Dernière manifestation en date, le meeting politico-religieux- même si les politiques ont été interdits de parole à l’occasion !- tenu samedi à la place de l’Obélisque. La veille, dans l’enceinte de la Grande mosquée de Dakar, d’autres musulmans sénégalais avaient laissé éclater leur colère.
Et le vendredi précédent, c’est-à-dire le 16 janvier, il y avait aussi eu des marches après la prière du vendredi, une des processions s’étant terminée devant les grilles de l’ambassade de France à Dakar. Même si les barbus et leurs sympathisants ont donc eu tout le loisir de manifester contre "Charlie Hebdo" et le président de la République, coupable à leurs yeux d’avoir par sa présence à la "marche républicaine" du 11 Janvier dernier à Paris, cautionné les caricatures apocryphes de l’Envoyé de Dieu, force est de reconnaître que ces manifestations n’ont pas drainé grand-monde.
Sans doute parce que certains compatriotes et coreligionnaires n’ont pas jugé nécessaire de se déplacer pour aller vitupérer "Charlie Hebdo" alors que se tenaient des matchs de la Coupe d’Afrique des Nations de football (CAN) ! Certes, pour donner le maximum de chances de succès à leur meeting, les organisateurs du meeting, pas fous, avaient décidé de le tenir non pas le vendredi, pourtant jour saint des musulmans, mais le lendemain samedi parce que tout simplement ils avaient considéré que, manifester un jour de match des "Lions" en coupe d’Afrique, même pour soutenir le Prophète, c’était le meilleur moyen de faire un flop ! Ils ont donc tenu leur manifestation le lendemain, mais la foule n’était pas au rendez-vous pour autant. Le Dieu foot était passé par là…
Il y a surtout que, pour nos compatriotes, profondément atteints dans leurs croyances par les croquis blasphématoires de "Charlie hebdo", il ne servait à rien d’aller vociférer dans les rues de Dakar contre un ennemi finalement "don quichottesque" puisqu’il se trouve hors de leur portée, à des milliers de kilomètres du Sénégal. Qui plus est, ils considèrent que, à défaut de pardonner comme l’aurait certainement fait le Prophète, il vaut mieux tout laisser entre les mains de Dieu, le Tout-Puissant, l’Omniscient et le Meilleur des Juges. Les Sénégalais n’ont pas l’habitude de se venger, préférant toujours s’en remettre à Dieu.
Surtout, estimant qu’ils n’avaient aucune raison de faire le jeu d’islamistes qui font de la religion un fonds de commerce très juteux, ils ont refusé de se joindre à ces marches qui, sous le prétexte très noble et très saint de la défense de l’Islam, dissimulaient à peine des arrière-pensées politiciennes, les adversaires du président de la République ayant voulu profiter de la religion pour, sur un sujet très sensible, le mettre en difficulté. Ayant en quelque sorte été piégé par son homologue français François Hollande qui, à peine la marche de Paris s’était-elle terminée a donné les moyens — 650 millions de francs cfa — au journal moribond "Charlie Hebdo" afin de publier une édition dite "des survivants" tirée initialement à trois millions d’exemplaires, le président de la République était effectivement dans une fâcheuse posture.
Il a tenté de se rattraper en priant ostensiblement (et donc très médiatiquement !) dans la modeste chaumière où a vu le jour Cheikh Ahmed At-Tidjani, fondateur de la Tidjanya, à Aïn Mahdi, en Algérie, mais aussi en interdisant la diffusion au Sénégal de l’édition de "Charlie" contenant les caricatures et de "Libération" les reproduisant. Et bien qu’elle ait officiellement pour but de présenter ses condoléances au roi Salman d’Arabie saoudite suite au décès de son frère Fayçal, la visite que le président Macky Sall vient d’effectuer aux Lieux saints — avec oumra ostensible à la Kaaba ! — a sans doute aussi pour objet d’effacer le péché du défilé parisien du 11 Janvier.
Il reste qu’en manifestant en ordre dispersé contre les blasphémateurs du Prophète, nos islamistes, barbus et politiciens faux dévots qui leur ont prêté voix forte à l’occasion, ont été fidèles au Sénégal en ce sens que, ce pays n’arrivant jamais à célébrer une mais deux voire trois Korité, cela aurait fait désordre effectivement si, pour une fois, il s’était indigné à l’unisson ! Fût-ce, encore une fois, au nom d’une cause aussi noble que celle du Prophète. L’Envoyé de Dieu, du fond de son tombeau à Médine, n’a sans doute pas été dupe devant ces faux dévots qui versaient des larmes de crocodile pour le défendre alors que, dans la vie de tous les jours, ils ne se signalent pas par une pratique très assidue de l’Islam !
Il a aussi, certainement, dû rigoler en voyant certains personnages défiler pour lui… Une chose est sûre : ceux qui doutaient que le Prophète puisse accomplir un miracle doivent à présent être édifiés — les mécréants de "Charlie" en tête — puisqu’il a suffi d’un seul dessin censé le représenter pour qu’un journal moribond qui ne se vendait plus qu’à 30.000 exemplaires, tire jusqu’à sept millions d’exemplaires une seule édition ! Rien que ce miracle devrait suffire aux confrères de "Charlie" (du moins ce qui en reste) pour se convertir à l’Islam ! Ce même si, ne soyons pas dupes, la connerie des frères Kouachi a aussi beaucoup contribué à cette résurrection…
Encore une fois, on aura compris que, pour beaucoup de ces hypocrites qui ont marché ces derniers jours, la protestation contre l’offense au Prophète importait moins que la perspective de mettre le président Macky Sall en difficulté ! Mais bon, Dieu appartenant à tous, et le Prophète ne pouvant être le monopole d’un clan, il est heureux que le Premier ministre lui aussi se soit joint courageusement à la foule qui manifestait pour défendre Seydina Mohamed. Et accessoirement pour le fils du prophète du "Sopi" ! Il semble que le président de la République lui-même aurait pris part à la manifestation s’il était présent à Dakar. Dans tous les cas, Dieu saura reconnaître les siens !
Répétons-le : c’est sans surprise qu’on a constaté que les manifestations de Dakar contre "Charlie Hebdo" n’ont pas mobilisé les foules. Pour les raisons évoquées ci-dessus mais aussi en raison de l’attitude empreinte de sagesse des grands chefs religieux de ce pays qui, tout en s’indignant des dessins de "Charlie", ont refusé néanmoins d’en faire une exploitation politicienne sénégalo-sénégalaise ou le prétexte d’une guerre contre la France. Finalement, donc, cet accès de fièvre "anti-Charlie" n’a concerné que le "microcosme", comme aurait dit le général de Gaulle, ainsi que ce qu’il est convenu d’appeler la blogosphère et autres réseaux sociaux.
Ceux qui ont tenté une exploitation politicienne en ont été pour leurs frais et ont démontré, s’il en était encore besoin, leur peu de représentativité au sein de la société sénégalaise. Quant à ceux qui font de l’Islam un fonds de commerce — à l’instar de ces petits malins qui prétendent parler au nom de la société civile, c’est à dire de vous et de nous, sans avoir été mandatés par quiconque — ceux qui font de l’Islam un fonds de commerce, donc, il n’est pas sûr qu’ils aient tiré beaucoup de dividendes de cette opération "anti-Charlie".
Car indignés, oui les musulmans sénégalais l’ont été dans leur immense majorité par les dessins du Prophète — mais de là à se laisser entraîner dans des guerres dont ils ne maîtrisent ni les tenants, ni les aboutissants, il y a un grand pas qu’ils ne sont pas prêts à franchir ! Surtout que l’indignation est un mets qui se consomme chaud et un sentiment qui s’exprime sur l’instant.
Or, en manifestant plus de 15 jours après la survenue des faits qu’ils prétendent dénoncer, nos islamistes ont assurément confondu l’indignation avec la vengeance qui, elle, est un plat qui se mange froid. Très froid même s’il est conservé pendant 15 jours au frigo. Et même s’il est réchauffé, il ne conserve plus la saveur originelle ! Mais bon, l’essentiel pour nos barbus agités du bocal c’était de se faire voir. Par leurs bailleurs de fonds orientaux ?