FLAGRANTS DÉLIRES
Sous le prétexte de calmer ses responsables opposés à l’amputation de son mandat, Macky Sall sert du clair-obscur ; réaffirmant, dans un mélange de sincérité et de malice tactique, sa promesse
Le Président Macky Sall et l’APR savent que leur victoire aux dernières élections municipales et départementales, en juin dernier, était aussi formelle que celle de Wade en 2009. Une victoire en porcelaine, qui laisse un goût plutôt amer que les thuriféraires les plus zélés auraient beaucoup de mal à claironner. Et ce n’était qu’un avertissement sans grands frais après tant de dérives et si peu de ruptures.
Encore des promesses non tenues ! Perdre la quasi-totalité des grandes villes du Sénégal, avec un parti fissuré, en mal d’implantation, une coalition frustrée, hirsute et timidement solidaire, des résultats économiques globalement faibles, une image personnelle en berne, suffisent à installer le stress, l’angoisse et, au bout du compte, une psychose de la défaite dans seulement deux ans. Disons, un an, onze moins seulement. Le compte à rebours est lancé, déjà. Si la promesse de réduire mandat présidentiel est tenue. Comment pourrait-il en être autrement ?
Et pourtant, il faut bien se rendre à l’évidence que le Président Sall est prêt pour le rétropédalage. Sa dernière déclaration à Kaolack confirme, entre les lignes, une réelle disposition à garder le cap des sept ans qu’il avait juré urbi et orbi d’écourter. S’il subsistait encore le moindre doute pour le respect de l’engagement pré-électoral du Président Sall, cette sortie l’a déjà définitivement effacé. Sous le prétexte de calmer l’ardeur guerrière de ses responsables et militants farouchement opposés à l’amputation volontaire de son mandat, le Président a servi dans le clair-obscur ; réaffirmant, dans un mélange de sincérité et de malice tactique, vouloir se conformer à la parole promise… A condition que les contraintes constitutionnelles ne l’en empêchent.
Autrement dit, les conditions de la faisabilité de sa promesse passent avant son engagement. Flagrants délires ! Alors que c’est l’inverse qui aurait dû être vrai. Si l’engagement était ferme, trouver la faisabilité judiciaire serait à porter de main pour créer les conditions de l’effectivité. Il suffirait d’une démission, d’une élection anticipée, d’un passage référendaire, comme annoncé en grande pompe, ou d’une consultation parlementaire, en faisant jouer, la règle majoritaire.
Mais en apparence, tout cela semble compliqué pour le chef de l’État. Il est plus facile et plus commode de jouer la montre, d’échafauder des agendas qui rapprochent le plus de 2015. Et constater au bout du compte que les conditions de la faisabilité constitutionnelle ne sont plus réunies. Pour se dédouaner de sa promesse, il n’y a pas meilleur stratagème. Surtout que pendant ce temps, des juristes de services, des proches attachés au système comme à la prunelle de leurs yeux, se chargent du SAV (Service Avant Vente), en attendant l’autre SAV (Service Après Vente).
Argumentaires pompeux, verbeux et non moins spécieux ! Jurons œcuméniques, incantatoires, le bras levé, le verbe haut, la bave aux lèvres ! Siège des plateaux de télévisions et de radios ! Squat des pages des journaux et des réseaux sociaux. Simulacres de défiances au chef de l’État, même parmi les plus proches collaborateurs, porte-paroles, conseilleurs et autres zélateurs de haut ou bas acabit.
En d’autres circonstances, ils auraient chèrement payé cette outrecuidance, en définitive, feinte et organisée. Flagrants délires !
Le silence plat du Président, observant ce charivari, en disait assez sur son onction passive, voire une bénédiction mutique, comme des ballons de sonde. Mais la masse populaire est restée silencieuse. Comme en 2012, quand Wade avait voulu accomplir sa forfaiture parlementaire. Et quand vient l’heure de siffler la fin de cette longue récréation, le préau résonne encore de ces bruissements révisionnistes.
Les ouailles rassasiés et fiers d’avoir sonné la charge, en preux soldats, se mordent la lèvre, heureux d’avoir nettoyé les écuries d’Augias avant la grande eau au kacher, attendue en 2016.
Et pourtant, certaines voix dissonantes du Parti présidentiel et de la majorité rappellent, à l’envi, que la volte-face est impensable. Et que toutes les tournures et autres constructions intellectuelles pour justifier à priori le renoncement du Président à sa parole, pourront engendrer des difficultés. Et c’est le moins qu’on puisse dire ! Car l’enjeu est d’abord éthique et moral, avant toute autre considération d’ordre politique.
Pourquoi, le Président Sall veut-il revenir sur sa promesse de réduire son mandat, non sans avoir récolté de glorieuses auréoles même chez les plus grands de ce monde ? Et en commençant par son peuple ! En facilitant la libération de la bande à Fadel Barro des griffes de cet autre révisionniste Kabila de la RDC, il doit s’imaginer que ces jeunes gens constituent aussi un des ferments les plus fertiles de la contestation citoyenne. Les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Mais hélas, il est ainsi fait que dans nos contrées, nous abhorrons les effets et en adorons les causes. Après la déclaration de Kaolack, la société civile, les démocrates, les foyers religieux devraient déjà se mobiliser pour prévenir le Président Sall contre les causes d’aujourd’hui qu’on semble adorer, ne serait-ce que par notre silence, avant que demain, les effets que nous détesterons (tardivement), ne viennent enflammer le pays inutilement. A moins qu’on s’accorde tous à penser que du désordre naît l’ordre. Mais les conséquences seront forcément fâcheuses. Evitons que ces flagrants délires ne produisent encore des flagrants délits.