FOOTBALL IMMERGEANT
Il est difficile de se faire à l'idée que l'As Pikine, qui coule corps, âme et biens, est bien ce resplendissant pavillon qui, la saison dernière, voguait au-dessus des flots et faisait de la banlieue le lieu de tous les rêves
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C'est une histoire qui s'écrit au présent, dont l'encre n'a pas fini de sécher sur le premier chapitre que tout le scénario s'en trouve bouleversé. Modou Fall rêvait de faire de l'As Pikine ce qu'il n'a jamais été. Mais en deux ou trois coups la cognée s'est brisée.
Dans la foulée, le président a décidé de jeter le manche en fin de saison. A partir de là, le labeur n'avait plus aucun sens et le chantier a commencé à tourner au désastre. Dernier épisode, c'est l'entraineur qui s'est mis en situation de démission. Erreur de casting ou mauvais portage des rôles ? En tout cas, on ne sait guère comment tout cela finira mal.
Il est difficile de se faire à l'idée que l'As Pikine, qui coule corps, âme et biens, est bien ce resplendissant pavillon qui, la saison dernière, voguait au-dessus des flots et faisait de la banlieue le lieu de tous les rêves.
Une grande équipe de football dans cette zone populeuse et cosmopolite, qui vit ses passions jusqu'à l'extrême, était l'idéal d'un projet derrière lequel le football sénégalais court depuis l'indépendance.
Voilà, en effet, un demi-siècle qu'on attend une "chose" qui tient de ces monstres qui ont assujetti le continent comme le Hafia, le Canon de Yaoundé, le National du Caire, etc.
Evitant d'avoir les yeux plus gros qu'un ballon, on se serait même contenté d'un schéma plus modeste. Avec juste des "clubs forts", bien assis sur leurs structures, portés par un modèle de développement cohérent et qui ne se gèreraient pas comme des butiku mbagg, fonctionnant au loxo ci poos.
Mais ce club fort on ne l'invente pas. De même que ce n'est pas avec des roulements d'épaules qu'on le bâtit ; il se porte autour d'un cou solide, avec un tour de reins qui assure l'équilibre sous la charge.
Pikine va donc au crash et on se demande s'il y a encore un pilote dans l'avion. Il paraît qu'il s'est éjecté en douce, en laissant des casseroles derrière lui. Quant à l'officier de navigation, il a lâché les commandes pour laisser le pilote automatique chercher la bonne direction. Advienne que pourra.
On a envie de se pincer. Est-ce bien ce club qui, fort de son doublé Coupe-championnat de la saison dernière, était porteur de cette lumière avec laquelle il fallait s'afficher pour ne pas rater le train du populisme ? Il a été jusqu'au chef de l'Etat qui lui a ouvert les portes du palais, avec un don gracieux fait d'un bus et d'une enveloppe de 50 millions.
Pas besoin de se pincer. Rien n'est illusion devant la difficile réalité. Pikine ressemble à un jouet cassé aussitôt sorti de sa boîte. Pour un club qui tablait sur un budget de 300 millions de francs pour la saison, les comptes-rendus financiers que donne la presse sont ahurissants.
Modou Fall voyait grand, mais l'important dans la construction d'un club n'est pas dans les libéralités du portefeuille. Il est dans la gestion lucide qui tient compte du futur pour faire le présent.
La Ligue professionnelle devrait avoir un rôle de régulateur et davantage s'intéresser à l'équilibre financier des clubs. Ce n'est pas pour rien que la Direction nationale de contrôle de gestion existe dans le football professionnel français.
Instance indépendante, affublée du label de "gendarme", ses enquêtes sur l'état de santé financière des clubs peuvent lui permettre de prendre des décisions d'autorité quant à l'effectif en matière de recrutement, à la participation aux compétitions, voire à la relégation au regard des comptes.
A quoi cela aura-t-il servi à Pikine d'investir autant dans sa brève randonnée africaine au point de se retrouver aujourd'hui en péril ? Peut-être bien qu'une surveillance "policière" serait difficile de la part de la Ligue pro, dans un contexte de précarité où nombre de clubs ont du mal à assurer les fins de mois des joueurs et des techniciens, où des libéralités et des silences entourent les violations du cahier des charges pour le professionnalisme.
Mais tout devrait commencer par quelque chose, notamment par la normalisation des modes de fonctionnement.
Au moins pourrait-il être possible de contrôler les transferts, s'assurer de la maitrise des masses salariales et de l'équilibre des budgets sur une saison par rapport aux recettes possibles et probables.
Modou Fall n'a sans doute pas l'âge d'avoir vécu l'épisode instructif de Gorée en 1985, quand feu le président Yoro Sow refusa d'engager son club en Coupe d'Afrique des clubs champions, conscient du péril financier qui guettait dans une participation.
C'est un sens des responsabilités et une hauteur de vue qui relèvent d'une autre époque, quand on ne mettait pas tous les œufs dans un panier.
On ne prône pas le forfait pour Pikine, mais le sens des réalités. Réalités à prendre en compte aussi du côté de la présidence de la République. Poser les jalons d'un football émergeant ne relève pas du "cosmétisme" tape-à-l'œil.
On a vu où a fini le coup politique avec l'As Pikine ; on attend la démarche politique. Celle-là qui fera naitre et grandir les clubs de type nouveau tant attendus.