FORFAITURE
Après trois ans de législature, la première proposition de loi de la majorité relègue au second plan les besoins prioritaires de ses mandants pour mettre en avant ses intérêts bassement partisans
La proposition de loi n° 13/2015 modifiant le règlement intérieur de l’Assemblée nationale a été soumise au vote des députés ce 29 juin 2015. Au terme d’un débat marathon ponctué d’invectives, d’algarades entre députés de la majorité et de l’opposition, de flagorneries à l’endroit du président de la République et d’argumentaires pointus, la proposition de loi portée par le président du groupe parlementaire de Bennoo Bokk Yaakaar, Moustapha Diakhaté, et certains députés de la même coalition est passée comme lettre à la poste. 142 pour, 4 contre et 4 abstentions.
Ainsi le mandat du président de l’Assemblée nationale est ramené au statu quo ante c’est-à-dire au quinquennat, le nombre de députés devant constituer un groupe parlementaire est fixé désormais au moins à 15 et non plus 10 et tout démissionnaire de son groupe parlementaire ne pourra plus s’affilier à un autre, ni en constituer un autre avec d’autres collègues.
Une telle réforme réactionnaire et rétrograde transbahutée par 23 députés apéristes est sous-tendue par des intérêts politiciens.
Il est évident que le vrai initiateur de cette proposition-projet de loi est le président de la République. D’ailleurs le député apériste Seydina Fall, trahi par son subconscient, n’a cessé de dire itérativement dans son intervention que ces modifications du Président Macky Sall seront votées.
Aujourd’hui la crise latente au sein de BYY occasionnée par l’éventuelle candidature du Parti socialiste (Ps) à la prochaine présidentielle déteint sur la démocratie qui doit animer le jeu parlementaire. Il appert que cette modification de l’alinéa 1 de l’article 20 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale vise à tenir en bride les vingt députés socialistes et éventuellement les progressistes pro-Gakou et ceux du Bennoo Siggil Senegaal qui songeraient à tourner casaque avant la présidentielle.
Absurdement, des députés socialistes ont voté, sous l’influence on ne sait de quel tropisme ou deal obscur, cette loi liberticide qui les vise essentiellement.
Mais, si la valetaille présidentielle a décidé d’amender cet alinéa, ce n’est point pour renforcer la démocratie parlementaire mais pour régler des problèmes crypto-partisans en endiguant les éventuels regroupements démissionnaires de BBY qui combattraient leur groupe d’origine.
A mesure que s’approche la présidentielle, il devient plus probable de voir le Ps, qui présentera indubitablement, son candidat quitter le groupe BBY et concomitamment le gouvernement nonobstant les assurances du député vert Cheikh Seck. Pour éviter que le parti au pouvoir se retrouve dans un état de collapsus avec d’éventuels départs, il faut une loi qui dirimante qui empêche à de probables futurs démissionnaires de BBY de se constituer en groupes parlementaires ou de rejoindre le groupe parlementaire Lib-Dem du Parti démocratique sénégalais (Pds).
Ismaïla Madior Fall : l’éminence grise inspirateur de cette forfaiture
Ce qui est gravissime, c’est que l’inspirateur de cette régression démocratique porte l’empreinte sous-jacente du conseiller juridique spécial du chef de l’Etat, Ismaïla Madior Fall. En effet ce théoricien carillonnant des réformes «consolidantes» et «déconsolidantes» justifie un tel amendement par un retour à l’orthodoxie qui est de constituer un groupe parlementaire sur la base du 1/10 des députés.
Et pour avaliser une telle forfaiture, le juriste attitré du président Sall fait un parallélisme inapproprié en parlant du nombre de 15 députés pour toute saisine du Conseil constitutionnel et du dépôt d’une motion de censure.
Ainsi chaque député, s’il n’est pas non-inscrit au préalable, sera "emprisonné", jusqu’à la fin de la législature en cours, dans son groupe parlementaire carcéral s’il ne veut pas devenir un parlmentaire errant condamné à vadrouiller éternellement au sein de l’Assemblée nationale.
« Depuis les indépendances, la règle est que pour constituer un groupe parlementaire, il faut un 1/10ème des députés de l’Assemblée nationale sénégalaise. Cette institution étant composée de 150 députés, tout groupe parlementaire doit avoir par conséquent 15 députés » a déclaré Ismaïla Madior Fall à travers les ondes de Sud FM.
« L’opposition avait boycotté les élections législatives. Ce qui a fait que les partis n’étaient suffisamment pas nombreux pour constituer un groupe parlementaire. Il fallait donc permettre à cette opposition d’avoir un groupe parlementaire. Ainsi le Pds avait instauré une règle de 10 députés pour permettre à l’opposition numériquement très faible d’avoir un groupe parlementaire » conclue le constitutionnaliste.
De telles allégations sont fallacieuses parce qu’en 2001, le Ps, sur la base de l’article 20, alinéa 1 de la loi n° 2002-20 du 15 mai 2000 modifiant la loi n° 78-21 du 28 avril 1978, avait son groupe parlementaire avec 10 députés. Et l’Afp en avait 11. Il faut souligner qu’en 2001, le nombre des députés a été réduit à 120. Et le 1/10, c’était 12. Donc si on suit la logique du conseiller juridique du président de la République, ni l’Afp, ni le Ps ne devait disposer d’un groupe parlementaire.
Quand l’histoire parlementaire dément Ismaïla Madior Fall
Le 17 avril 1978, le député du Pds Fara Ndiaye avait adressé une missive au président de l’Assemblée nationale, Amadou Cissé Dia, pour lui faire la proposition tendant à modifier les articles 14 et 20 du règlement intérieur de ladite institution. Dans l’article 20, il proposait qu’«un groupe ne peut être reconnu comme administrativement constitué que s'il réunit au moins 10 membres ».
Mais la proposition de loi N° 10/78 voté le 25 avril 1978 abrogeant et remplaçant la loi N° 63/63 du 17 juillet 1963 modifiée portant Règlement Intérieur de l'Assemblée nationale en son article 20, alinéa 3 stipula qu’« un groupe ne peut être reconnu comme administrativement constitué que s'il réunit au moins quinze membres ».
Il faut rappeler que la loi N° 63/63 du 17 juillet 1963, sous le règne du parti unique senghorien, avait fixé le nombre des députés à 80 et celui des groupes parlementaires à 20 députés au minimum. Ainsi en 1978, le Pds qui avait 18 députés parvient à avoir son groupe parlementaire avant de la perdre en 1981 à la suite d’un débauchage à outrance (9 députés) quand Abdou Diouf venait de prendre les rênes du pouvoir en remplacement de Léopold Sédar Senghor démissionnaire. Où est donc cette fameuse règle du 1/10 que nous serine l’éminence grise juridique du président de la République ?
Il a fallu attendre les législatives de 1983 avec la loi n° 1983/77 du 05 juillet 1983 pour procéder à une modification du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Laquelle institua la règle du 1/10 pour la constitution de tout groupe parlementaire. Ainsi l’article 20, alinéa 3 stipula qu’« un groupe ne peut être reconnu comme administrativement constitué que s’il réunit, au moins, un 1/10 des membres constituant l’Assemblée nationale ».
Ainsi, le Ps obtint 111 sièges, le Pds 8 sièges et le Rassemblement national démocratique (Rnd) un seul siège. Cette règle fut maintenue jusqu’à la modification de 2002 où il fallait au minimum 10 députés pour constituer un groupe parlementaire. De 1983 à 1998, le nombre des députés est passé de 120 à 140. Ramené à 120 en 2001, il sera porté en 2007 à 150.
Et c’est cette règle du 1/10 qui a empêché à l’Urd de Djibo d’avoir son groupe parlementaire en 1998 avec 12 députés. Il lui a fallu la conjonction des députés de la Ld/Mpt, du Bcg et du Rnd pour mettre en place la groupe parlementaire Bloc républicain pour le changement (Brc) à côté de celui du Pds qui avait créé l’Alliance des forces de changement pour l’alternance (Afca) en compagnie d’And Jëf, de la Cdp-Garap Gi et du Pit.
Et cette neuvième législature qui avait vu 46 députés s’opposer au Ps était remarquable par la qualité et le niveau des débats à l’Assemblée. Donc les arguments soutenus par Ismaïla Madior Fall qui valident cette proposition de loi scélérate et liberticide que les députés godillots ont honteusement votée ce 29 juin 2015 ne résistent pas à l’analyse de l’histoire de la constitution des groupes parlementaires depuis l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale. Même la France qui compte 577 députés a des groupes parlementaires qui comptent au moins 15 députés.
En tout cas l’histoire parlementaire retiendra qu’après trois ans de législature, la première proposition de loi de la majorité relègue au second plan les besoins prioritaires de ses mandants pour mettre au premier plan ses intérêts bassement partisans.