FOU MALADE
PORTRAIT D'UN ARTISTE-RAPPEUR ANTICONFORMISTE
Propulsé au-devant de la scène hip-hop par un son talent de rappeur, Malal Talla s’est choisi comme nom d’artiste «Fou malade». Il se réclame anticonformiste et s’illustre par son engagement citoyen.
Il est presque 12 h à Guédiawaye quand Malal Talla se pointe enfin pour notre rendez-vous. Un bout d’homme qui fait à peine 1,60 m. Sourire aux lèvres, il n’a pas mis du temps pour nous reconnaître au mi- lieu des autres visiteurs.
Certains sont des habitués des lieux. Jeunes pour la plupart, ils viennent presque tous les jours dans ce centre culturel, qui leur est principalement dédié. Ils tiennent à l’endroit et s’en occupent bien. La propreté qui prévaut au sein du centre capte l’attention. D’autant que les rappeurs sont réputés désordonnés et peu sensibles. Que nenni ! Ici, tout est profondément astiqué, au grand bonheur du visiteur.
Malal Almami Talla, plus connu sous son d’artiste « Fou malade », incarne le contraste. Ce paradoxe découle de son physique. Avec sa silhouette frêle, il parvient toujours à cristalliser sur lui l’attention du plus grand nombre. Il surprend toujours par son talent et sa capacité à innover et, du coup, à se tirer du lot.
« Etant déjà à l’élémentaire, je trainais plus avec les filles qu’avec les garçons. Je faisais rire et rigoler et m’adonnais rarement aux mêmes activités que mes confrères », confie l’artiste-rappeur. On se souvient encore de ce tube nommé « Fou malade », du nom de l’auteur, où l’artiste membre du groupe Bataillon Blin-D se mettait dans la peau d’un « incompris ». Taxé de fou, ce malade est persuadé que c’est cette société esclave de la consommation qui devrait revoir sa copie, disait-il.
Il invitait ceux qui se croient plus intelligents autour d’une table, pour ensemble débattre et voir qui avait tort. Le thème sortait du lot, l’écriture, la tonalité aussi. Le succès était dès lors assuré. Ce premier tube qui avait alors cartonné lui a valu une place dans la musique sénégalaise. Avec le recul, Malal Talla dit avoir un concept « relatif à la folie ».
« N’est pas forcement fou, celui qui refuse de se conformer aux règles établies par la société. Les anticonformistes ont également leur façon de voir les choses. On se doit de respecter leur comportement tant que cela ne va à l’encontre de la paix social », note-t-il.
Membre de « y en a marre»
Né à Saint-Louis en 1974, Malal Talla a grandi à Guédiawaye dans la banlieue de Dakar. C’est dans ce patelin où il suit son cycle primaire, moyen et secondaire avant de décrocher le baccalauréat. Une fois le diplôme en poche, Malal est orienté au département d’Anglais de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Nous sommes en 1997.
« Mon intégration à l’université n’a pas du tout été facile. Je me souviens y avoir passé une année ferme sans daigner me rendre au restaurant. C’est que là-bas, on mangeait avec des fourchettes et couteaux or moi, je ne pouvais manger qu’avec la main », se souvient-il avec un brin nostalgique. « Il a fallu l’arrivée de mon ami Ndongo Malick Mboup qui a obtenu un an après moi son baccalauréat pour que je me résolve à fréquenter le restau. Et là, première innovation, je mangeais avec la main. Du jamais vu !!! Au début, on se moquait, mais par la suite, les autres s’y sont également mis, avoue -t- il.Depuis lors, j’ai décidé de faire de ma faiblesse, une force ».
En 2012, Malal Almami fait parler de lui en intégrant le groupe Y’en a marre. Le mouvement se réclame apolitique et est animé par « le seul souci de défendre les intérêts de la population ».
Le contexte d’élection aidant, cette organisation pose ses marques en un temps record. Malal Talla alors l’un de ses membres les plus influents se fera remarqué. Il sera même arrêté le 22 juin, puis relâché au soir du 23, alors qu’il préparait une marche contre l’adoption d’une loi.
Malal concède volontiers avoir toujours nourri l’ambition de devenir artiste. Et cela depuis sa plus tendre enfance, « j’aimais déjà imiter les membres de Super Diamono. Je m’étais percé l’oreille pour ressembler à Mamadou Lamine Maïga et reprenais les chansons de Moussa Ngom », évoque-t-il.
Malal qui refuse tout le temps de se conformer aux règles établies par la société tirerait cet esprit de l’ambiance dans laquelle il a grandi. « A la maison, on retrouve du tout. Il y a des mourides, des tidianes, des socialistes, des libéraux, des non-alignés...et pourtant, chacun respecte la position de l’autre ».
Chez les Talla, chacun choisit sa voix. Baigné dans un milieu d’intellectuels certes, mais profondément libres d’esprit.
Rebelle jusqu’à l’âme, Malal ne fait décidément pas dans la langue de bois. Il poussera le bouchon jusqu’à dénoncer certains agissements de la police. « Pourquoi m’adresser aux valets alors que le roi est assis en face de moi. C’était une occasion unique pour communiquer avec les autorités et leur faire part de certains agissements », justifie le rappeur.
Polygame marié à deux épouses, Malal est le père d’une fillette. Son statut de père n’empêche pas pour autant cet homme, avec cette allure d’éternel adolescent, d’aller jusqu’au bout de ses idées. L’anticonformisme est un choix qu’il a fait et il dit l’assumer jusqu’au bout.