FRUSTRATIONS
Rentrée des Cours et tribunaux : L'émergence des juridictions communautaires au détriment des juridictions nationales en question
L’avènement des juridictions communautaires a fragilisé le juge national. Lors de la rentrée des Cours et tribunaux, les magistrats ont insisté sur cette situation qui rogne dans leurs compétences.
Le moment est solennel à la Cour suprême qui était rouge de toges. Face à Macky Sall, les hauts magistrats savourent cet instant magistral qui leur permet de fouiller le fonctionnement de la justice. Evidement, les problèmes ne manquent pas et des efforts sont à faire pour continuer à assurer la cure de jouvence à cette vieille Dame.
Le Conseiller référendaire près la Cour suprême, Idrissa Sow, qui a introduit le discours d’usage portant sur «L’application des règles communautaires par le juge sénégalais», a laissé entrevoir une évidente frustration provoquée par l’apparition des juridictions communautaires qui rognent dans leurs compétences.
Le procureur près la Cour suprême fustige : «Nous constations une émergence de juridictions communautaires qui s’ajoutent aux juridictions nationales et qui nous éloignent du modèle traditionnel d’un ordre judiciaire, rattaché à un Etat en vertu de sa souveraineté».
«La Cour de justice et d’arbitrage siégeant à Abidjan statue sur les recours en cassation contre les décisions des Cours d’appel des Etats membres dans les matières entrant dans le domaine du droit des affaires par application des règles communes qualifiées actes uniformes.
Dans ce système, les juridictions nationales de cassation sont écartées au profit de la Cour commune», décrie le magistrat.«Les juridictions nationales de cassation sont écartées»
La mise en place de la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan, seule juridiction communautaire à juger les recours en cassation en lieu et place des juridictions nationales, a exacerbé le courroux des juges. «Comment comprendre que les Cours suprêmes nationales, juges du droit, et à ce titre chargées d’examiner la conformité au droit des décisions des juges qui se sont prononcés en appliquant aux faits qui leur ont été soumis les règles de droit applicables, soient dessaisies des pourvois en cassation au profit des juridictions communes», s’interroge le Procureur général.
Et «il y a un autre problème» sur lequel il insiste en multipliant les interrogations. «L’objectif de sécurité se limiterait-il aux juridictions suprêmes ? Nous ne le croyons pas, car même si l’Administration de la justice n’est pas à l’abri d’erreurs, comme toute œuvre humaine, la Cour suprême dont les décisions sont irrévocables, tient de sa loi organique le pouvoir de rectifier sur certaines conditions ses propres erreurs», persiste-t-il.
Dans son discours, il insiste sur les obstacles qui se dressent devant les justiciables dans leur quête de justice. Badio Camara dixit : «Dans les matières relevant du droit harmonisé, les justiciables, pour soutenir un recours en cassation, devront se rendre à Abidjan, siège de la Cour commune.»
Par conséquent, il suggère «une révision rapide des traités en conférant aux juridictions nationales de cassation la compétence en matiè re de contentieux relatifs à l’application des actes uniformes. Il faut donc oser réajuster ces traités».
Aujourd’hui, les juges font face à des préoccupations majeures. Pape Omar Sakho, premier président de la Cour Suprême, n’a pas peur des mots pour caricaturer cette situation : «La marginalisation de la Cour suprême est encore plus nette dans le cadre de l’Ohada. Dans ce système, c’est la technique du pourvoi en cassation qui est retenue comme mode de saisine de la juridiction communautaire.»
Il tire la conséquence sans ciller : «Ce mode de saisine a pour effet d’exclure la Cour suprême de tout le processus de mise en œuvre du droit produit par le système Ohada.» En écho, le bâtonnier soutient qu’on assiste à un «rôle de plus en plus marginal dévolu au juge national».
C’est peut-être le prix à payer pour l’intégration.