GORÉE : MILLE SOLEILS POUR SOULEY...
Disparu au mois de juillet 2014, l’artiste monumental a laissé, entre autres, sur son île, Gorée, les traces de ses pas, y compris dans la mer...
Gorée est une île volcanique de l’Océan Atlantique Nord – celui qui nous concerne découverte, en 1444, par le navigateur portugais Dinis Dias.
Gorée est devenue, un jour, sénégalaise après avoir été, tour à tour, portugaise, hollandaise, anglaise, française, mais Gorée est restée Gorée...
Gorée est aujourd’hui une «île universelle», une «île-mémoire», classée au patrimoine mondial.
«Souleymane Keïta était Goréen» : C’est l’attaque (première phrase) du texte magistral, écrit par le critique d’art et avocat, Me Sylvain Sankalé.
Le texte est consacré à l’artiste monumental, Souleymane Keïta, disparu au mois de juillet 2014 et qui a laissé, entre autres, sur son île, Gorée, les traces de ses pas, y compris dans la mer...
L’attaque du texte écrit se termine, pour la ponctuation, par un point.
Je réclame «haut et fort», malgré la très grande beauté de ce texte et tout le respect intellectuel que je dois à Me Sylvain Sankalé, les trois points de suspension pour Souleymane Keïta et, j’ose écrire, en lieu et place... «Souleymane Keïta était Goréen...».
La «guerre de la ponctuation» n’aura pas lieu, car la ponctuation que je retiens ouvre la «porte de la mer» pour mieux aller vers Souley que la mer a marqué ; question de choix, question de temps, question de rythme, question de «regards sur cour(s)» à Gorée...
Je ne reproche rien à Me Sylvain Sankalé parce qu’il a presque tout dit, en quelques lignes écrites et avec une plume trempée dans l’encrier du soleil...
Le soleil entre par construction et par audace – dans toutes les maisons de Gorée, dans toutes les cours de Gorée et à la fin, disparaît dans la mer...
Les hommes et les femmes qui côtoient la mer ont décidé de donner un nom à cette «disparition» (fusion ?) du soleil dans la mer : «le coucher du soleil...»
Et Souleymane Keïta s’est couché aussi, tourné vers l’Est, pas loin de la mer qu’il aimait...
Un point d’histoire m’intrigue : René Caillé, le célèbre explorateur français qui marcha, seul et déguisé en marchand, vers «Tombouctou la mystérieuse», a séjourné aussi à Gorée ; il arrivait de StLouis du Sénégal en provenance du Banc d’Arguin, en Mauritanie, où avait échoué la Méduse... (L’Escadre).
Or donc, comme Gorée, le Banc d’Arguin a été découvert par les Portugais au 15ème siècle ; René Caillé était parti de l’Ile d’Aix (embouchure de la Charente) le 17 juin 1816 et avait «posé son baluchon» sur l’île de Gorée. Toutes les îles sont belles et souveraines...
Je me suis trouvé dimanche 31 mai 2015 dans l’une des nombreuses cours de Gorée, sur les coups de midi ; je cherchais le lieu où l’hommage à Souleymane Keïta «était rendu» ; j’avais pourtant,
par-devers moi, les plans remis, au débarcadère de Gorée, mais que je refuse, par principe, de consulter – j’étais à Gorée pour l’édition 2013 car ce qui doit se passer doit toujours se passer au hasard des rencontres ; le hasard objectif existe et je l’ai souvent «croisé» à Gorée ou ailleurs...
Plusieurs haltes artistiques, dans les rues étroites et magiques de Gorée, ont précédé mon arrivée dans cette cour où je devais passer «un bout de temps» avec ceux qui sont devenus mes amis à Gorée et, parmi eux, l’artiste Thierno Bâ.
Halte artistique chez le photographe et artiste Ibrahima Thiam, car je m’intéresse toujours au ballon rond, celui de mon enfance et de mon adolescence passée pour l’essentiel à la Sicap Baobabs ; je m’intéresse toujours au geste technique pur, celui du «Roi Pelé» l’inégalable Edson Arantes do Nascimento !
Halte artistique chez la créatrice de bijoux, MarieJosé Crespin, initiatrice inspirée de ce grand événement culturel, «Gorée : regards sur cours».
J’apprends, quand elle explique son art et ses créations, aux nombreux visiteurs de sa maison, ouverte sur les vagues de l’Océan Atlantique, que ses bijoux, ses créations sont aujourd’hui exposés au Musée du Bardo à Alger, un musée que je connais bien ; j’étais à Alger il y a quelques semaines, Alger la blanche...
Après des échanges nourris avec les amis Goréens – trouvés là par hasarddans la cour de la maison, sise à rue de l’Eglise, où expose l’artiste Thierno Bâ, je me lance, avec un brin d’audace – je ne suis pas critique d’art –dans l’interprétation de l’une de ses créations, réalisée sur du tissu.
L’artiste qu’il est, ou du moins qu’il est devenu, raconte la rencontre «fortuite» sur une matière travaillée par lui-même, d’un baobab, de la lune, du continent africain et des étoiles...
Le surréalisme n’est pas loin, il n’est jamais loin de nous et de vous ; c’est la formule magique, le «beau comme...» du génial précurseur, Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont, dans les «Chants de Maldoror...»
J’explique à mes amis que c’est bien la première fois qu’un artiste réalise une œuvre qui réconcilie «définitivement» le ciel et la terre, car le baobab, toutes les espèces de baobab et, en particulier l’espèce «adansonia digitata» «descend des étoiles» et vit longtemps, très longtemps...
L’artiste, Thierno Bâ, a fait le choix étonnant et surprenant de placer le dessin de l’Afrique au cœur du baobab : l’inverse pourrait lui être «réclamé» un jour, mais entre l’Afrique et le baobab, il a choisi l’Afrique même si l’Afrique est le «berceau du baobab» c’est la thèse que nous défendons avant d’être le berceau de l’humanité : quel berceau !
A la même heure, la veille, vers 13h, je me trouvais, avec l’Association «les Amis du Baobab», dans la petite forêt de Thiès où la main de l’homme a pris le risque d’abattre des baobabs centenaires, le baobab est un arbre sacré...
Le baobab est «notre frère végétal» et il vit toujours, il vit longtemps...
Je suis venu dimanche 31 mai 2015 à Gorée aussi et surtout pour l’hommage que les artistes ont décidé de rendre à Souleymane Keïta : Soly Cissé, Viyé Diba, Mauro Pe troni, Ndary Lô et Ousmane Sow, artistes talentueux et amis de Souley, «amis éternels» de Souleymane Keïta...
Au moment de quitter les amis de la cour de la maison où j’ai rencontré l’artiste Thierno Bâ, je demande, car le temps a filé sans moi, le lieu de l’exposition : «en face» me lance celui qui est resté assis sur une marche de l’escalier ; il avait choisi sa marche, durant nos échanges rapides sur les milliards de galaxie qui peuplent l’univers et sur les milliards d’étoiles en particulier, de notre galaxie, la Voie lactée...
Je rejoins le lieu de l’exposition : le centre socioculturel Boubacar Joseph Ndiaye – une pensée pieuse pour le Conservateur de la Maison des Esclaves de Gorée que je découvre et qui me fait à nouveau penser au projet de jumelage des villes de Gorée et de Collioure que j’avais initié, en 2011, avec les autorités municipales des villes de Gorée et de Collioure dans le Sud -Est de la France.
Collioure, la ville où repose Antonio Cipriano José Maria Machado Ruiz dit Antonio Machado, l’écrivain et poète espagnol qui avait dû quitter Barcelone en 1938 pour gagner Collioure.
Louis Aragon, un des fondateurs avec André Breton et Paul Eluard du mouvement surréaliste lancé à Paris en 1924, a rendu hommage à Antonio Machado, dans le poème intitulé, «les poètes» chanté par Jean Ferrat : «Machado dort à Collioure...»
Antonio Machado, le poète espagnol est mort à Collioure le 22 février 1939, trois jours avant sa mère...
Un jour, peut-être, la «Marseillaise noire» sera jouée dans la cour du centre socioculturel Boubacar Joseph Ndiaye et le public restera debout longtemps – c’est ma prévision à la fin de la représentation, pour acclamer l’auteur de cette pièce, grande par le souffle de son inspiration et de ses acteurs...
Et puis «je tombe», à l’entrée du centre socioculturel Boubacar Joseph Ndiaye, sur l’arbre animé et «insulaire» que le talentueux artiste Ndary Lô a réalisé, en hommage à son ami Souleymane Keïta.
Je ne peux m’empêcher, devant une telle œuvre, d’appeler l’artiste, mon frère et ami du mois de mai, au téléphone et de lui dire : «Ndary Lô, je suis au pied de l’arbre et je pense que je peux repartir sans visiter l’exposition consacrée à Souleymane Keïta, car le symbole est trop fort, l’arbre est le schéma de la construction du monde.»
Et l’artiste Ndary Lô de me répondre : «Non grand, il faut entrer et visiter l’exposition, car elle est magnifique.»
Ndary Lô, deuxième artiste noir après Wifredo Lam qui avait des origines cubaines de par sa mère, a avoir exposé au Musée Dapper à Paris, rue Paul Valéry, dans le seizième arrondissement, a eu raison sur moi et il m’a «sauvé», car j’ai pu découvrir un hommage à Souleymane Keïta qui marquera la vie culturelle de Gorée à jamais.
Avec votre permission, chère lectrice, cher lecteur, je reviens au texte écrit par le critique d’art, Me Sylvain Sankalé, je le cite : «... mais, toujours, rituellement, tous les vendredis, Souleymane était à Gorée pour déjeuner chez sa mère et prier à la mosquée...»
J’aurais écrit pour ma part et j’ai mille et une raisons de le croire : «...pour déjeuner avec sa mère...»
Dimanche 31 mai 2015 : c’était la fête des mères et le rappel de ce rituel prenait, dans le magnifique texte écrit en hommage à l’artiste Souleymane Keïta, une dimension insulaire, crépusculaire ou plus simplement maternelle...
J’aurais aimé parler aussi du pays Dogon, au Mali, où l’artiste Souleymane Keïta a séjourné et qu’il a porté dans son cœur et dans ses œuvres comme son île de Gorée ; il y a le pays Dogon et avant d’entrer dans le pays Dogon, il y a les falaises de Bandiagara et les hommes de la falaise comme nous avons, au Sénégal, les hommes du littoral, les hommes de la colline, danslepaysBédick;ilya Djiguibombo avant le pays Dogon...
J’aurais aimé parler de l’atelier de céramique du village artisanal de Soumbédioune et de Souleymane Keïta qui a débuté sa carrière par la céramique et qui fut l’élève du grand maître de la céramique sénégalaise, africaine, j’ai cité : Alpha Sow du célèbre Village des Arts de Dakar...
A la fin du parcours artistique – initiatique ?organisé en hommage à Souleymane Keïta, j’ai «réclamé» le livre d’Or pour confier mes premières impressions et j’ai écrit, en réponse voilée au critique d’art :
«SK est resté à Gorée...»