GUERRE DES CHEFS AU MINISTÈRE DES FINANCES
CLIMAT DÉLÉTÈRE ENTRE AMADOU BÂ ET MAKHTAR CISSÉ
Il est vrai que l’irréversible n’est pas encore survenu, mais une séparation entre le ministre de l’Economie et des Finances et le ministre délégué chargé du Budget ne surprendrait aucun observateur attentif. Depuis quelque temps, les relations entre Amadou Bâ et Mouhamadou Makhtar Cissé connaissent une tension latente, entretenue à outrance par leurs entourages qui ne s’embarrassent guère de se descendre mutuellement en flammes.
Amadou Bâ et Mouhamadou Makhtar Cissé avaient tout pour s’entendre. Ils ont dirigé les deux principales mamelles de l’Etat : les impôts et domaines et la douane, avec des résultats prodigieux jamais égalés. Après avoir obtenu des résultats élogieux à la tête de la Direction générale des impôts et domaines pour l’un et de la douane pour l’autre, ils faisaient l’unanimité dans l’opinion pour remplacer le duo Kane-Diallo, jugé lourd et très peu imaginatif. Leur choix en septembre dernier par le Président Macky Sall avait suscité beaucoup d’espoirs mais sept mois après, la désillusion commence à s’installer.
Depuis quelques semaines, la machine grippe. Certes, le clash n’est pas encore survenu, mais une séparation ne surprendrait personne. Et quand les entourages des deux ministres jouent les oiseaux de mauvais augure, le risque est grand de voir les démons de la division l’emporter sur l’amitié et la fraternité qu’entretiennent Bâ et Cissé, si proches qu’aucun d’entre eux n’hésite à manger chez l’autre. Dans les deux camps, les arguments ne manquent pas pour encenser ou pour descendre en flammes l’un ou l’autre.
MAKHTAR CISSE…
Des proches de Makhtar Cissé soutiennent que le ministre délégué chargé du Budget est plus capé que Amadou Bâ, plus technique, maîtrise mieux ses dossiers et les défend bien. Il a été avocat, inspecteur des douanes puis inspecteur général d’Etat par la voie du concours direct. Tout le contraire du ministre de l’Economie et des Finances, Amadou Bâ qui, selon ses détracteurs, est juste inspecteur des impôts et domaines. Il ne fait que surfer sur les dossiers, rester dans les généralités.
Makhtar, forte personnalité, dit ses vérités et expose sans gants ses états d’âme, indiquent ses pourfendeurs. Il est trop sûr de lui, se croit détenteur d’une science infuse et manque d’humilité, ajoutent d’autres cadres de l’immeuble Peytavin. Ce qui, disent-ils, transparaît lors des nombreuses réunions du ministère.
AMADOU BA…
Amadou Bâ lui, agit en toute finesse, reste zen et évite soigneusement de heurter ses interlocuteurs et ses collaborateurs, sans distinction de grade ni de statut. Il est si fin, relève-t-on, qu’il a pu refuser intelligemment le portefeuille de ministre sous l’ancien Président Abdoulaye Wade. Alors que ses jours étaient comptés à l’arrivée de Macky Sall et de Abdoul Mbaye (ce dernier voulait s’en séparer pour placer son directeur de cabinet Cheikh Bèye, à la tête des impôts et domaines), il a su retourner la situation et échapper à la guillotine, jusqu’à atteindre les sommets, c’est-à-dire le ministère de l’Economie et des Finances, poste de rêve pour tout cadre supérieur des régies financières. Une station où on a comme véritable patron que le Président de la République. Que non ! disent encore ceux qui ne portent pas Amadou Bâ dans leur coeur.
Avant même le succès éclatant du Plan Sénégal Emergent (Pse) à Paris en février dernier et profitant de la perte de vitesse du Premier ministre Aminata Touré, il visait la Primature. Ni plus ni moins. Pour ensuite en faire un tremplin pour une fin de carrière à la Banque mondiale ou au Fonds monétaire international (Fmi) ou pour la présidentielle de…2022.
D’autres trouvent par contre que c’est Makhtar Cissé qui rêve d’un scénario à la Hadjibou Soumaré qui était ministre délégué au Budget et dernier ministre sur la liste du gouvernement Macky Sall avant de le remplacer comme PM. Il se dit qu’il aurait tout fait pour remplacer Abdoul Mbaye en septembre dernier. Amadou Bâ n’associerait pas toujours Makhtar Cissé dans les grandes rencontres de son ministère. Lors d’une présentation du projet Plan Sénégal émergent (Pse) au secteur privé, l’absence de Makhtar Cissé, ministre délégué au Budget avait surpris. Il n’avait pas été convié par son patron.
Comme dit un proche de l’argentier en chef, «c’est le ministre de l’Economie et des Finances, le patron; à preuve, il n’y a même pas de passation de service pour le ministre délégué au Budget qui n’est que délégué». En réunion, quand Amadou Bâ lui donne la parole, Makhtar Cissé n’hésite pas à longuement parler, assurent de hauts fonctionnaires du ministère de l’Economie et des Finances, de moins en moins à l’aise dans cette atmosphère de divergences entre leurs deux patrons. «Quand Makhtar Cissé parle en conseil des ministres, on sent que c’est différent, qu’il maîtrise son sujet. Amadou Bâ, lui, se perd dans ses dossiers», assure un ministre qui ne nourrit pas une grande sympathie pour l’argentier de l’Etat.
«C’est quoi cette affaire de diplôme, d’Ige, s’offusque un haut cadre qui travaille avec le ministre de l’Economie et des Finances depuis une dizaine d’années. Amadou Bâ est…juste inspecteur des impôts et domaines, mais tout ce qu’il touche se transforme en or. Il a complètement transformé la direction générale des impôts et domaines alors qu’à sa nomination, bien des inspecteurs doutaient de ses capacités à manager la boîte ; le nouveau code général des impôts porte son empreinte ; il a fait du Pse un projet réussi à Paris, alors que même le Premier ministre et des ministres étaient sceptiques ; Amadou Bâ comprend vite et bien et peut parler longuement sans feuille et avec cohérence. Il a toujours une longueur d’avance sur nous. C’est un esprit très fin et très moderne. Sa compétence ne fait l’objet d’aucun doute. Je crois que Makhtar gagnerait à revenir sur terre, à apprendre à écouter et à faire preuve d’humilité. »
LES DERNIERES DIVERGENCES LIEES AUX NOMINATIONS
La dernière divergence entre Bâ et Cissé remonte à la fin mars, quand l’inspecteur général d’Etat Pape Ousmane Guèye remplaçait Ngouda Kane Fall au poste de Secrétaire général du ministère de l’Economie et des Finances.
Le nouveau SG avait vu le poste de directeur général des douanes lui filer sous…le képi en faveur de Saliou Elimane Gningue. Simplement, parce que, dit-on, le Mdb (ministre délégué au Budget douanier et Ige comme lui) ne voulait pas de lui. Un Mdb, assure un de ses détracteurs, qui ne voulait pas non plus de Bassirou Samba Niasse, coordonnateur de la Direction des impôts et domaines, comme successeur de Ngouda Kane Fall au poste de SG. «Faux !, rétorque un proche de Cissé. C’est le Président qui nomme. Comment pourrait-il s’opposer à sa volonté ? Ces prétendus états d’âme n’existent que dans la tête de ceux qui le disent. Amadou et Makhtar sont des frères. Chacun va au domicile de l’autre, y mange et y boit sans arrière-pensée, pour dire qu’aucun d’eux ne craint l’autre. Amadou Bâ est absent depuis quelques jours et pourtant la boîte fonctionne bien avec l’intérim assuré par Makhtar. C’est dire…» Le duo va-t-il tenir ?
LES DUOS DE PEYTAVIN
En tout cas, l’excellence des relations entre Pape Ousmane Sakho et Mamadou Lamine Loum est restée dans l’histoire, tant et si bien que l’opinion parle encore et toujours du duo Sakho-Loum. Les autres paires qui ont siégé à l’immeuble Peytavin, de 1998 à 2012 (Mouhamed El Moustapha Diagne- Aïssatou Niang Ndiaye, Makhtar Diop-Abdoulaye Diop, Mamadou Seck-Abdoulaye Diop, Abdoulaye Diop-Hadjibou Soumaré, Abdoulaye Diop-Ibrahima Sarr et Abdoulaye Diop-Abdoulaye Diop) ont connu moins d’aura et n’ont pas toujours fonctionné idéalement. Il serait bien dommage que ce jeune duo de jeunes hauts fonctionnaires (Amadou Bâ a 53 ans et Makhtar Cissé 48 ans) si plein d’espoirs se fracasse sur l’autel d’ambitions plus ou moins dévoilées ou tues, au moment où le Pse connaît un succès mondial.