HABRÉ EST UN PIÈTRE HOMME POLITIQUE DOUBLÉ D’UN ADMINISTRATEUR RIGOUREUX
Selon les témoins
Une psychologue qui persiste dans sa description d’un homme « courtois, poli et aimable », un ancien ministre sous Habré qui parle d’un Président « froid, manifestant peu d’égards envers ses semblables », deux descriptions contradictoires de Hissène Habré sont ressorties hier devant la barre.
La psychologue commise par les Chambres africaines extraordinaires (Cae) était hier devant la barre. Donnant suite aux questions soumises à son appréciation, elle persiste dans la description faite auparavant de Hissène Habré. L’enquête de personnalité qu’elle a mise à la disposition des Cae a, en effet, décrit Hissene Habré sur les traits d’un homme « poli, courtois, calme », qui consacre le plus clair de son temps à la lecture.
« Le Coran constitue le principal centre d’intérêt de Hissène Habré », écrivait-elle. La spécialiste reconnaît n’avoir toutefois pas personnellement approché Hissène Habré. Celui-ci a servi un niet catégorique dès lors qu’il s’est agi de répondre aux questions. Elle a dit s’être alors rabattue sur les proches de Hissène Habré. Parmi ceux-ci, une de ses épouses et son fils adoptif. En outre, des étudiants tchadiens, qui ont requis l’anonymat, ont également participé à la collecte d’informations, a-t-elle indiqué.
Elle a toutefois précisé que ceux-ci, comme la plupart des personnes interrogées, ont voulu s’exprimer dans le total anonymat. Un des avocats de la partie civile a voulu savoir si la spécialiste a, dans ses recherches, pris en compte les deux profils de Habré : celui de Président déchu refugié au Sénégal et celui du Président tout puissant, régnant alors au Tchad.
Devant une telle interrogation, la psychologue a servi une réponse par la négative. Selon elle, il aurait fallu se rendre au Tchad pour avoir de plus amples informations allant dans ce sens. Or, les Chambres africaines extraordinaires ont jugé que cela serait risqué au vu du contexte. Elle s’est, dès lors, rabattue « sur les informations glanées ça et là, données par des Tchadiens établis à Dakar », a-t-elle dit.
Un homme froid
En tout, la spécialiste a fait recours à sept personnes pour produire son document. Devant la multitude de Tchadiens établis au Sénégal, les avocats ont voulu savoir au nom de quoi le tri des personnes interrogées était aussi restreint. Dans ses réponses, la spécialiste note que la plupart des Tchadiens interrogés lui ont clairement notifié avoir peur de représailles, si jamais il donnait suite à sa demande.
Dans leur stratégie, les avocats de la partie civile ont voulu démonter la description faite sur Habré. A cet égard, ils ont principalement insisté sur le fait que Hissène Habré est poursuivi pour de présumés crimes commis alors qu’il était encore président de la République, donc tout puissant.
Or, l’enquête de personnalité soumise aux Cae met en avant un homme rassasié qui a perdu pouvoir et capacité d’influence et de nuisance. La posture ayant changé, les avocats de la partie civile soupçonnent que Hissène Habré de changer de comportement sous la contrainte, devenant « poli, courtois, serviable », comme le laisse présager le rapport de personnalité.
Facho Balaam, commis au titre de témoin, a fait sa déposition hier. Politicien de son état, il dit être secrétaire général de l’Union nationale démocratique (Und), un parti politique reconnu au Tchad. Discours à la main, il était dans les prédispositions de livrer une allocution.
C’était sans compter avec la vigilance du président des Chambres africaines extraordinaires qui a vite fait de le ramener à la raison. Il a rappelé au témoin « qu’il est devant une Chambre et non plus dans un endroit public. Les règles sont ici telles qu’on ne peut se permettre de préparer un discours d’avance », lui a-t-il lancé. Devant l’injonction, le témoin a dû se plier, répondant désormais et en s’abstenant de faire recours à ses écrits.
Des exterminations ciblées contre certaines ethnies, selon un ancien ministre
Dans sa déposition, il fait allusion à quatre personnes enlevées, puis éliminées, sous le régime de Hissène Habré. Les deux auraient été froidement abattues, l’une alors qu’elle se rendait dans son village, l’autre dans son champ. Il y aurait ensuite ceux qui ont succombé aux difficiles conditions de leur incarcération, at-il fait savoir. Le parquet a voulu connaître, suite à de telles révélations, ce qui le liait à Hissène Habré.
Il a reconnu avoir notamment eu des désaccords avec Habré après les accords de Lagos. « A l’époque, Hissène Habré était ministre de la Défense et des Finances », a-t-il dit. Auparavant, le témoin avait reconnu et assumé ses relations familiales avec le président de l’Association des victimes du régime de Hissène Habré. Il a avoué, en outre, avoir en un moment combattu le régime de Hissène Habré, avec la promesse d’appui et d’aide militaire de Mouammar Kadhafi.
Il évoque le « septembre noir ». Une méthode qui consistait en « un nettoyage ethnique », selon ses propres termes. Avec peu de détails, il a évoqué « une extermination ciblée » contre des membres de certaines ethnies.
Facho Balaam a également occupé le poste de secrétaire d’Etat au sein du gouvernement dirigé par Hissène Habré. Une des avocates a pris le soin de lui rappeler ce passage qu’il avait apparemment omis dans sa déposition.
Devant le fait, le témoin s’est prononcé sur cette séquence de sa vie où il était sous les ordres du président de la République Hissène Habré. Contrairement à la description de la psychologue, faisant passer le Président Habré pour un homme « courtois et aimable », le témoin a décrit « un Président froid, qui saluait à peine ses ministres lors des rencontres gouvernementales », a t-il dit.
« Le Président avait l’habitude de faire attendre les membres du gouvernement des heures durant. Une fois arrivé, seuls trois points étaient inscrits à l’ordre du jour. Rien n’était discuté dans le fond, personne n’avait presque pas le droit de donner son point de vue », a-t-il souligné.
Le témoin chargé par la défense
Me Mbaye Sène, avocat commis d’office par les Chambres africaines extraordinaires pour la défense de Hissène Habré, a voulu savoir pourquoi le témoin Balla Faustin Facho a décidé de s’allier avec Kadhafi dans le but de renverser le gouvernement de son pays. Le témoin, par ailleurs politicien, a avoué « être, à l’époque, prêt à s’allier avec le diable » dans son projet de chasser Hissène Habré du pouvoir.
L’avocat reprenant la parole s’est dit surpris « qu’un citoyen exemplaire prenne la partie de soutenir un projet de déstabilisation du gouvernement de son pays régulièrement installé ». Comment quelqu’un qui aspire à diriger un pays peut-il trahir ce même pays, qu’il dit vouloir diriger ? a demandé Me Sène.
Le témoin persiste à ne pas reconnaître le gouvernement de Hissène Habré qui, selon lui, avait « semé le désordre, en scindant le pays en deux parties adverses, sur la base d’appartenance ethnique ou tribale ».
Devant les feux roulants des questions de la défense, le témoin a fini par avouer que des milliers de prisonniers ont été libérés. Ces prisonniers étaient issus de diverses ethnies. Des libérations intervenues après la signature du protocole de « Bagdad », a-t-il précisé.
Dans les propos du témoin, il est souvent revenu la connotation entre populations du Sud et du Nord. Le témoin est persuadé qu’il aurait perdu la vie, s’il s’était rendu à son premier poste d’affectation.
Car, a t-il fait remarquer, tous les cadres sudistes qui avaient osé aller prendre poste ont tout simplement été assassinés. L’avocat de la défense a tout de même pris le soin de rappeler au témoin qu’à l’époque, ce n’était pas Hissène Habré qui était au pouvoir.
La richesse de Habré en question
Alingué Jean Bawé, conseiller spécial à la présidence de la République du Tchad, est également venu hier devant la barre au titre de témoin. L’homme a occupé de hautes fonctions sous Habré. Il a été ambassadeur aux Usa puis à Paris. Il était vice-président du Haut conseil social consultatif du Tchad, puis président du Conseil constitutionnel.
Aujourd’hui, il fait office de conseiller spécial à la présidence de la République du Tchad. Quand il parle de Hissène Habré, il parle surtout de son ancien patron. Il a dépeint également un « homme autoritaire, qui avait les pleins pouvoirs durant son règne ».
« Avant de partir, Hissène Habré avait puisé dans les caisses du trésor national plus de trois milliards », a dit le témoin. « Le chèque a été signé par le trésorier général sur injonction de Hissène Habré », a-t-il ajouté.
Le témoin a indiqué que Hissène Habré était un très bon fonctionnaire, mais autoritaire dans sa façon de gérer le pouvoir. Hissène Habré était particulièrement rigoureux sur l’organisation et les tâches reparties aux uns et aux autres eu sein du gouvernement.
Mais dès lors qu’il s’agissait de former un bloc autour de sa personne, il faisait recours à la terreur, a regretté le témoin devant la barre.