HALAL !
DOSSIER - Au niveau mondial, les retombées économiques, sociales et financières de ce business nouveau profiteraient à 90% à des pays non statutairement musulmans
Le halal, un concept qui renvoie à des produits de consommation, représente pour les économistes un véritable enjeu de développement. Si le business halal de même que la finance islamique sont en pleine expansion un peu partout dans le monde, ces deux concepts sont encore méconnus sous nos cieux où une vaste campagne de sensibilisation est en train d'être menée.
Le halal, un mot arabe qui a une forte connotation islamique. Très en vogue, il renvoie à ce business qui se développe à une vitesse vertigineuse dans le monde. Pourtant, selon le Dr Abdou Karim Diaw, consultant, titulaire d'un doctorat en finance islamique soutenu en Malaisie, le halal est aussi vieux que le monde. “Halal est le contraire de haram qui signifie interdit. Il renvoie à ce qui est licite et touche tous les domaines de la vie du musulman qui ne doit consommer que du licite”, explique-t-il à EnQuête.
Le Sénégal a commencé à se familiariser avec ce nouveau jargon par l'entremise de produits alimentaires labellisés Halal qui ont investi depuis peu le marché. Selon le Dr Diaw, le concept a dépassé l'alimentaire pour toucher maintenant divers autres secteurs de l'économie et des affaires comme l'agro-business, la finance islamique...
Au niveau mondial, les retombées économiques, sociales et financières de ce business nouveau profiteraient à 90% à des pays non statutairement musulmans.
“Moudaraba”, “moucharaka”, “sukuk”, “ijara”, etc. pour enrichir les Sénégalais
Sur la pointe des pieds au Sénégal, mais de manière plus franche ailleurs, une diversité de produits est mise à la disposition des clients. Entre autres : la “Moudaraba”. Avec cette formule, la “banque procède à la collecte de dépôts sous forme de contrats de Moudaraba qu’ils replacent auprès de ses clients en usant de modes de financement à tempérament ou participatifs”, lit-on sur le site de la Banque islamique du Sénégal (BIS).
Par le biais de la “mourabaha” ou vente à bénéfices, il est question d’acheter “les marchandises ou les matériaux à des fournisseurs sur ordre d’un client pour les revendre à ce dernier avec une marge de bénéfice fixée à l’avance.” C'est un prêt à moyen ou long terme garanti par l'institution. Pour sa part, le “ijara” s'inscrit dans la même veine.
Elle permet aussi aux clients d’une banque islamique de disposer d’équipements, de terrains, de biens immobiliers ou de véhicules. Il pourra se prévaloir de son titre de propriétaire quand il aura fini de s’acquitter d’une dette échelonnée dans le temps.
Le “sukuk” “a une échéance fixée d’avance et est adossé à un actif permettant de rémunérer le placement en contournant le principe de l’intérêt. Les sukuk sont structurés de telle sorte que leurs détenteurs courent un risque de crédit et reçoivent une part de profit et non un intérêt fixe et commun défini à l’avance”.
“Bière halal”, “champagne halal”, “sextoys halal”, tous dans la mêlée !
Les musulmans ont connu les “bonbons halal”, les “dentifrices halal”, les “jouets d’enfants halal” des “cosmétiques halal”, de la “mode halal”, du “tourisme halal”, de la” musique et les cassettes vidéo halal”, des “sites internet halal”, de “l’édition halal”, des “émissions de TV halal”.
Ils découvrent, de plus en plus, de nouveaux types de produits halal qui font fureur. Les musulmans découvrent la “bière halal”, le “champagne halal”, le “sextoys halal”, le “halal dating/agences de rencontre halal”.
“C’est un marché en forte explosion dont les premiers consommateurs (1,6 milliard) sont les musulmans, mais un marché qui échappe aux mains des industriels et entrepreneurs musulmans”, explique le professeur Khadiyatoulah Fall. “Parmi les dix plus grands pays producteurs de viande halal, aucun n’est un pays musulman (...). 90% des bénéfices du marché halal vont en Occident.”
Ce que confirme le Dr Abdou Karim Diaw. “Il a fallu développer ce concept dans les pays non musulmans pour permettre à nos frères de s'en tenir aux préceptes islamiques en termes de consommation de produits alimentaires ou pharmaceutiques, de même qu'en termes de pratiques.”
Conséquence : ces produits n'ont pu être vulgarisés que dans les pays occidentaux qui ont fini par prendre l'avantage sur les pays musulmans. “A l'origine, des Musulmans, minoritaires dans ces pays occidentaux, avaient du mal à trouver des produits conformes aux principes islamiques.”
Le bon flair du capitaliste Nestlé
“Halal” peut se prévaloir de son universalité. D’ailleurs, c’est la compagnie suisse Nestlé qui s’est imposée comme numéro 1 mondial des produits industrialisés halal. Explication du Dr Abdou Karim Diaw : “C’est à partir de la Malaisie que Nestlé déploie sa domination économique sur le marché halal.”
Elle a su tirer profit du marché alimentaire du halal évalué à 800 milliards de $ US. A forte demande, il y a toujours une offre équivalente à trouver. C'est dans ce sens que le mastodonte suisse s'est positionné pour devenir la première compagnie offrant des produits alimentaires halal, explique le Dr Diaw.
Ainsi, “sur plus de 400 unités de production, 75 sont spécialisées” dans le halal, ajoute-t-il. “Cela devient un enjeu économique certain.”
Autre secteur dynamique : le tourisme halal présenté comme le tourisme “Muslim friendly”. Si les économistes lui ont attribué 100 milliards d’euros en 2011, son marché pourrait atteindre 200 milliards d'euros dès 2020.
Conscient des enjeux de ce marché, l’Afrique du Sud tente de s'y mettre. Elle a organisé en mai 2013 une rencontre internationale sur le tourisme “Muslim friendly”, en partant d’un constat : “Le Voyager selon ses principes religieux ou le tourisme islamique” est une attraction touristique et se conjugue bien avec l’industrie agroalimentaire (transformation, traiteurs, restaurants) et aussi à l’industrie culturelle et religieuse. Idem pour le Japon qui s’est lancé dans l’industrie croissante du tourisme halal pour attirer les musulmans de l’Asie du Sud Est.
RÉFORMES BANCAIRES, ENSEIGNEMENT, CERTIFICATS D'INVESTISSEMENT...
Londres, (presque) “capitale mondiale” de la finance islamique
Partant du principe “on n'a pas besoin d'être musulman pour pratiquer la finance islamique”, la Grande Bretagne, loin de la frilosité française par exemple, est entrée en force dans la finance islamique et tend à devenir un hub de référence mondiale.
En raison des opportunités économiques qu'elle offre sur la base de l'éthique islamique, Londres s’est retroussé les manches en vue d’être la capitale mondiale de la finance islamique. Contrairement aux francophones, l'argument religieux ne prévaut guère chez les Anglo-saxons qui misent beaucoup plus sur les performances économiques. Du pragmatisme de bout en bout.
Les Britanniques ont eu le courage de changer leur réglementation bancaire afin de l'accommoder aux spécificités de la finance islamique. “Ils ont évoqué l'inclusion, cela veut dire qu'il y avait des musulmans britanniques qui ne voulaient pas traiter avec les banques conventionnelles.
Ils ont mis en place un système inclusion pour prendre en considération les préoccupations de ces gens. Les Anglo-saxons sont plus ouverts que les francophones sur le plan religieux”, soutient le Dr Abdou Karim Diaw.
Lors du Forum économique du monde musulman tenu il y a quelques mois à Londres, rappelle le Dr Diaw, le Premier ministre anglais, James Cameron, avait dit clairement que son pays était en train de se positionner pour devenir le centre névralgique de la finance islamique en concurrence avec Dubaï et Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie.
Cette volonté britannique n'a rien à voir avec l'islam, avait-il précisé. Il s'agit juste de saisir des opportunités économiques en jeu. Une volonté qui va bientôt produire des “certificats d'investissement”, une alternative aux fameuses obligations, ajoute le Dr Diaw.
“Le pragmatisme des Britanniques remonte à l'année 2002-2003 quand il fallait modifier une certaine réglementation bancaire qui n'était pas en phase avec les spécificités de la finance islamique”, éclaire le spécialiste. “Il y avait une frange importante de musulmans britanniques qui ne voulaient plus continuer à traiter avec le système bancaire classique.
Alors, les autorités ont mis en place un système inclusif prenant en considération les préoccupations exprimées par la minorité musulmane. Et en 2004, une banque islamique est créée.”
Le volontarisme des Anglais dépasse le cadre bancaire pour embrasser d'autres domaines comme l'enseignement, poursuit le Dr Abdou Karim Diaw. Partant du principe que “l'on n'a pas besoin d'être musulman pour pratiquer la finance islamique, il révèle que “des cours de finance islamique sont aujourd'hui dispensés dans différentes universités britanniques”.
De fait, la Grande Bretagne est devenue “le pays qui dispense le plus de cours” dans ce domaine, suivie de la Malaisie. “C'est paradoxal, conclut le Dr Diaw, mais les musulmans vont maintenant dans les pays non musulmans pour apprendre leur religion.”
OULIMATA DIOP (DIRECTRICE DE LA MONNAIE ET DU CRÉDIT AU MEF)
“Le Sénégal a dépassé la phase de balbutiement en finance islamique”
Les produits dits de finance islamique pointent le bout du nez dans notre pays. Encore timide, leur stratégie de pénétration bute autant sur des aspects réglementaires à mettre à jour que sur un public peu averti de leur existence.
“Le Sénégal ne s'est pas encore inscrit de façon soutenue” dans la dynamique des produits halal et de la finance islamique, constate le Dr Abdou Karim Diaw. Il y a eu certes un Salon sur le business halal, avec l'implication de plusieurs ministères, mais il reste encore beaucoup à faire”, dit-il.
“Pour la finance islamique, il y a une petite évolution, mais les contraintes de notre appartenance à la zone Uemoa sont une barrière si on veut changer la réglementation bancaire”, ajoute le Dr Diaw.
Du côté des autorités, le discours est fort. En termes de finance islamique, “notre pays qui exerce un leadership au sein de l'Uemoa a dépassé (la) phase” de balbutiement, souligne Oulimata Diop, directrice de la Monnaie et du Crédit au ministère de l’Économie et des Finances, interpellée par EnQuête.
Par exemple, il existe maintenant un cadre réglementaire avec la Banque islamique de développement (BID) qui “permet la création de banques islamiques”, explique-t-elle. L'objectif consiste dorénavant à “améliorer ce cadre pour créer de meilleures conditions aux banques islamiques”, ajoute Oulimata Diop.
D'autant plus que, “au plan de la fiscalité (...) contrainte majeure pouvant entamer la rentabilité d'une institution financière islamique, toutes les difficultés (...) identifiées dans l'étude sur la revue du cadre réglementaire ont été prises en compte dans le nouveau Code général des impôts”, rappelle la directrice de la Monnaie et du Crédit. “Ce qui rend la fiscalité des produits financiers islamiques incitative”.
A titre d'exemple : “la double taxation liée aux droits d'enregistrement au niveau de la mourabaha qui constitue une bonne partie des actifs islamiques bancaires a été corrigée”.
Si l'on inclut à ce tableau “la création d'un Système financier décentralisé islamique” pour accompagner la micro-finance islamique, en partenariat entre l’État et la Banque islamique de développement, on aboutit à d'autres responsabilités pour d'autres acteurs.
Ainsi, Oulimata Diop appelle le “secteur privé et (les) investisseurs (...) à s'approprier la question” par “l'élaboration de projets concrets et pertinents dans différents domaines dont la banque, les fonds d'investissement islamiques, le takaful...”
BANQUE ISLAMIQUE DU SÉNÉGAL
“Makaane”, produit immobilier halal
C'est le nouveau produit halal lancé par la Banque islamique du Sénégal (BIS). Il vise à pénétrer le marché du logement immobilier, une des préoccupations essentielles des familles sénégalaises. Sa cible : les salariés. La Bis commercialise d'autres produits comme “Ijara”, “moucharaka”, “Istisnaa”, “Mouda-bara”,' 'Mourabaha” (voir par ailleurs).
PAMECAS
Ne dites pas “intérêt”, mais “marge bénéficiaire”
A travers son Département de finance islamique (DEFI), Pamecas offre à ses membres l’opportunité de bénéficier d’un crédit sans intérêt. Le client, titulaire d’un compte, doit faire, au préalable, un dépôt de garantie de 15% du montant du bien qu'il souhaite acquérir. Si le dossier est éligible, Pamecas lui réclame une “marge bénéficiaire” de 25% s'il s'agit d’un prêt équipement, d'un bien immobilier ou matériel, remboursable sur deux ans. S’il s’agit de marchandises, le bénéfice de la banque s’évalue à hauteur de 15%, a expliqué un agent joint au téléphone.
Contrairement aux banques classiques, les opérations financières islamiques se particularisent par “le profit”, là où les banques conventionnelles parlent d’intérêt. C'est pourquoi la marge bénéficiaire, dit-on à DEFI, n'a rien à voir avec un crédit à intérêt déguisé. “C’est normal que dans un processus d'offre de biens et de services productifs, on en tire un léger bénéfice, car on achète des produits qu’on revend aux clients”, explique notre interlocuteur. Qui s'empresse d'ajouter que “e dépôt de garantie est remboursé après acquittement de la dette”.
AFRIQUE, ASIE, EUROPE, AMÉRIQUE DU NORD
Un marché déjà juteux !
Les chiffres disponibles pour le marché mondial du business halal et de la finance islamique sont assez aguichants pour jeter les bases d'une concurrence féroce entre pays, mais aussi et surtout pour pousser les experts africains d'ici et d'ailleurs à sonner la charge afin que le continent dépasse un taux de pénétration encore trop faible, de l'ordre de 1%.
Aujourd'hui, le halal a pris son envol de même que la finance islamique qui constitue, selon Pr Khadiyatoulah Fall, “un véritable outil de développement économique” avec à la base la prééminence de l'éthique musulmane.
Sous l'égide du professeur Khadiyatoulah Fall, Titulaire de la Chaire d'enseignement et de recherches inter-ethniques et interculturels (CERII) de l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), par ailleurs Docteur en sciences du langage, un salon international du business musulman a été organisé en octobre 2013 à Dakar. L'objectif affiché était d'entamer une réflexion sur le business halal.
Avec la mise en place d'un observatoire dédié, Fall et ses collègues tentent de faire le plaidoyer pour le business “halal alimentaire” car il urge que l'Afrique prenne le train en marche. Elle concentre la deuxième population musulmane la plus importante du monde et la finance islamique y est faiblement exploitée avec un taux de pénétration estimé à 1%. “L’Afrique tire peu de profits de ce potentiel d’un marché dont les musulmans sont les premières cibles”, constatent le Pr Fall et Cie.
Les statistiques disponibles sont assez éloquentes pour justifier le branle-bas de combat. Avec le business halal alimentaire, c'est un marché mondial de 670 milliards de dollars US qui est en jeu. 150 milliards $ US en Afrique, 400 milliards $ US en Asie, soulignent les experts en la matière. Le tournis est encore plus grand avec les chiffres concernant le halal global (alimentaire et autres) : 3 000 milliards de $ US !
Au même moment, la finance islamique, qui avance à vive allure, est évaluée à 1 800 milliards de $ US en 2013 alors qu’elle n’était que de 1 100 milliards $ US en 2011. Pour les différents acteurs, une démarche inclusive doit être entreprise. Et pour cause, “les projections la situent à 4 000 milliards $ US en 2025”.
Un rapport publié par “Alhuda Center of islamic banking and islamic economics” (Cibe) l'évalue à 2 000 milliards de dollars à l'échelle mondiale d'ici la fin de cette année pour un marché qui pesait 1 600 milliards de dollars en 2013. Une nette avancée susceptible d'entraîner une vive compétition entre Londres, Dubaï et Kuala Lumpur qui se disputent la tête de peloton.
Par ailleurs, en raison des importantes opportunités de développement qu'elle offre, la finance islamique attire deux nouvelles recrues, de taille XXL. L'Inde et la Chine, en effet, envisagent d'intégrer à partir de 2014 dans leurs schémas de diversification économique ce créneau juteux. A eux deux, ces deux pays-continent polarisent plus de 200 millions de population musulmane. Pour l'heure, le “halal” est présent dans 75 pays du monde avec plus de 600 institutions financières dites halal.
“Dans sa forme moderne, souligne le Dr Abdou Karim Diaw, la finance islamique est vieille de 30 40 ans, mais les spécialistes mondiaux de la finance classique ainsi que les politiques ont découvert que ses normes garantissent l'éthique, l'efficacité et la stabilité.” Et surtout, “ils ont découvert que c'est un secteur de l'économie de la finance contemporaine qui avait résisté à la violente crise financière” qui a frappé l'économie mondiale entre 2008 et 2009.
De l’utilité du halal
D’une certaine manière, les produits halal ne sont pas un enjeu, car la plupart des Sénégalais ont déjà fait le choix de consommer du licite, comme cela a été ordonné par l'islam, explique Dr Diaw.
“Le halal, c'est le respect des normes islamiques (...) Aujourd'hui, tout le monde est tombé d'accord sur une réalité : à savoir que les produits dits halal, quand ils sont dûment certifiés, ont des attributs sanitaires spécifiques qu'on ne trouve pas ailleurs”, indique le spécialiste de la finance islamique. “C'est pourquoi de plus en plus de non musulmans les préfèrent” aux produits classiques.
La leçon qu'en tire Dr Diaw est que, par exemple, “le respect des instructions islamiques concernant nos habitudes alimentaires nous permet de gagner du temps dans la recherche” appliquée ou fondamentale.
Mais il y a un enjeu de taille qui mérite d'être exploité : celui relatif par exemple aux produits pharmaceutiques. Un domaine où une nomenclature non négligeable de médicaments est supposée avoir été fabriquée à base d'éléments “haram” (illicites) à la consommation.