HISTOIRE DE… TAKEIFA, UNE FAMILLE TOUT EN HARMONIE
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Malgré les effets de la bombe médiatique née de l’histoire de la drogue au sommet de la police et déclenchée par leur pater, dont les éclats s’efforcent à écorner l’image du groupe, les Takeïfa vivent sans le souci, en osmose. Et toujours, tout en harmonie. Reportage.
En ce mois d’août, Dakar est sous les eaux. On traverse la ville, entre embouteillage, flaque d’eau et autres crevasses. La cité Soprim, proche banlieue, se signale. Point de rencontre : l’agence sonatel du coin. Quelques coups de fils et le tour est joué. Comme convenu, Ma Keïta, bassiste et cadette du groupe Takeifa, se pointe à l’heure pile-poil. Démarche nonchalante, les dreadlocks au vent, le cellulaire collé à l’oreille, elle apostrophe : «C’est vous que je viens chercher ?» «Oui», répond-on. C’est parti pour les salamalecs d’usage. Un échange de civilités jusqu’au domicile de Cheikh Keïta, son frangin et guitariste solo du groupe.
La porte de l’appartement s’ouvre sur… Jack Keïta, le «déjanté» de la famille. Un «salut les filles» plus un «soyez les biens venues», et l’homme se perd dans l’appartement. Au salon, on s’entraîne au clavier. Jack, guitariste et lead-vocal du groupe, est là. On comprend pourquoi il s’est précipité dans l’appart’ après avoir ouvert la porte. Il joue les dernières notes d’une dure répétition avec un claviériste invité. «On est à votre disposition», dit-il, après un doigter doucereux. Mais, l’ambiance est trop relaxe pour être cassée d’un coup. On se laisse aller un moment, avant de se poser cette question : «Au fait, où est passé le patron des lieux ?» «Cheikh est allé accompagner son épouse, il ne sont pas loin», rassure Ma Keïta.
A côté du clavier, un plateau sur lequel sont posées deux tasse à moitié pleine de «Café-Touba». Jack en propose avec un gros «mais» : «…Il faut juste que je le réchauffe», dit-il. Ma l’interrompt sur un ton taquin : «J’en ai envie aussi.» Jack réplique par une mimique tout aussi espiègle, avant de disparaître à son tour. Pendant ce temps, les notes continuent à fuser du clavier. Le temps d’une dégustation de Café que Jack ramène chaud et sucré, cheikh fait son entrée, suivi de son épouse. Elle lance : «Vous êtes bien arrivé ?» Ma lui rétorque : «Comme si je ne suis pas capable de les conduire.» Les filles rigolent ensemble. Cheikh Keïta se place près de sa petite sœur et lui susurre : «J’ai entendu Mage (son épouse) leur dire au téléphone qu’il fallait allumer les feux de détresse pour que tu les vois, alors que toi-même tu es un signal.» Le grand frère fait allusion à la couleur trop claire de la peau de sa jeune sœur qui est une albinos. Mais, Ma n’en est pas choqué du tout. Elle s’éclate même de rire en lui servant une onomatopée. «Ya !», s’étouffe-t-elle de rire. Puis, ajoute sur un ton moqueur : «Tant mieux pour moi. Une artiste ne doit pas passer inaperçue.»
«Maman a pris une retraite anticipée pour s’occuper de nous»
Pendant ces moments de taquineries fraternelles, Jack est allé prendre sa guitare sèche et convie à un moment «no stress» en musique. Avec Ma qui propose un morceau, Cheikh qui rectifie, Jack qui conduit par les notes de sa guitare, les Takeïfa sont à fond dans leur passion.
MAIS D’OU LEUR EST VENU CET AMOUR DE LA MUSIQUE ?
La question est vite répondue et elle porte les accents d’une histoire de famille. Entre le papa policier et la maman assistante de direction qui, d’ailleurs, «a pris une retraite anticipée pour s’occuper de ses enfants». «Comme dans les familles actuelles, le papa et la maman étaient toujours au boulot. Ils rentraient tard le soir. Maman a senti que nous avions besoin d’une autorité à la maison. Elle a choisi de quitter son poste pour être avec sa famille, vu que notre papa qui est un flic rentrait souvent à des heures très tardives», expliquent-ils, presque en chœur. «Elle nous a inculqués des valeurs et des principes. Notre maman était le «Colonel» de la maison. L’ambiance à la maison était semblable à celle d’une caserne militaire. On fonctionnait comme dans une Armée», révèle, avec fierté, Cheikh. Mais dans cette ambiance stricte, une ouverture d’esprit des parents se faisait tout aussi sentir. La preuve, la famille Takeïfa est en osmose, réglée dans la convivialité comme du papier à… musique. «En fait, explique Jack, c’est moi qui ai chopé le virus en premier parce que j’étais tout le temps dans les jupes de maman qui est une grande mélomane. C’est comme cela qu’elle m’a transmis son amour pour la musique. Après, vers l’âge de 12-13 ans, j’ai commencé à me déguiser en Michael Jackson et j’allais danser lors des journées cultures de l’établissement scolaire de Cheikh. C’est précisément à ce moment que j’ai senti et décidé que je vais chanter. Par la suite, Cheikh m’a rejoint, mais plus pour m’accompagner. Mais, le virus ne l’a pas raté ainsi que presque toute la famille.»
Mais, tous les enfants du commissaire Keïta ne sont pas devenus artistes. Pour le moment, bien sûr. «Les plus jeunes continuent leurs études», explique Jack. Mais, ceci n’exclut pas cela, si l’on sait que Ma Keïta, comme elle confie, a étudié jusqu’à l’université sans jamais redoubler. «Par la suite, j’ai tout abandonné pour me consacrer à la musique. Je me suis arrêtée en 2e année du Département d’Anglais», raconte la jeune bassiste. Jack, lui, alliait les études et la musique, tandis que Cheikh a mis un terme à ses études alors qu’il était au Secondaire pour se consacrer à l’entreprise familiale. «Notre aîné Abdourahmane et moi étions dans la menuiserie. Nous étions les aînés de la famille et il fallait assumer nos responsabilités», explique Cheikh
Le portrait de la famille Keïta prend forme autour d’un saladier rempli de «Moukhamssa (bouillie de graine de céréales)» que Mage, qui s’était éclipsé, a préparé et a disposé sur un plateau. Saupoudré de coco râpé avec un bol de lait caillé en appoint, ainsi que d’autres petits bol, le Moukhamssa est servi chaud et succulent. Le temps de la dégustation est aussi le moment de poser le débat d’actualité.
EST-CE VOTRE PAPA QUI A FINANCE VOTRE CLIP FIRE ?
Pour parler de papa Cheikhna Keïta, ex-directeur de l’Ocrtis, de cette histoire de vente de drogue au sommet de la Police sénégalaise qu’il a révélée. Et dans laquelle il aurait tiré une fortune colossale qui a contribué à lancer la musique de ses enfants, c’est le grand frère qui prend la parole sur demande de la fratrie. «C’est Cheikh qui va répondre à cela», ont-ils lancé. Cheikh d’attraper la patate chaude au rebond : «Vous savez, explique-t-il, il y a beaucoup de choses qui se sont dit sur ce sujet. Mais chacun a ses responsabilités. Nous, notre responsabilité est de faire notre musique tout en restant les enfants de Cheikhna Cheikh Saadbou Keïta. Papa a pris et assumé ses responsabilités, donc nous n’allons pas nous avancer sur des commentaires. Cette affaire est liée à son travail et n’a rien à voir avec la famille.» Qui, du reste, n’a pas été épargnée par les éclats de la bombe médiatique. «Il arrivait que l’on voit des informations dans la presse qui faisaient tomber des nues.» Papa finance-t-il Takeïfa avec l’argent de la drogue ? Ma sort de ses gonds. «Ce n’est pas vrai, crie-t-elle de rage. Il faut que les gens arrêtent de raconter des contrevérités. Tout ce que l’on fait avec le groupe, c’est de l’argent que nous, membres du groupe, avons gagné à la sueur de notre front.» Le clip «Fire» s’est-il fait avec les coucous de l’aviation militaire sur ordre ou avec l’entregent de papa ? Cheikh reprend la parole : «Vous savez, dit-il, on n’est obligé de donner des explications par rapport à ça. Mais, pour faire simple, il faut renvoyer les gens qui soutiennent cela sur Youtube. Ils n’ont qu’à taper «Fire», ils verront les dates d’enregistrement de ce clip.» Visiblement atteint par l’accusation, Jack ajoute : «Ce clip, nous l’avons fait au moins 3 ans avant que notre père ne soit nommé à la tête de l’Ocrtis. Mieux, le clip, on l’a enregistré en Espagne avec un réalisateur qui s’appelle Hugo. Ce dernier a vu notre travail, écouté ce morceau et a eu envie de faire ce clip.» A peine le speech de Jack terminé, Ma bondit de son fauteuil. Elle précise : «Le clip s’est fait dans une zone aéroportuaire située à 120 Km de Madrid.» Jack ne laisse pas sa sœur finir, il ajoute, excédé : «Je vais vous dire ceci : on a fait un autre clip en Espagne qui va sortir bientôt. Nous n’allons pas descendre d’un avion, mais de chameaux ! Que ces gens qui disent que Papa nous finance avec l’argent de la drogue se cramponnent sur leurs accusations, on s’en tamponne !» Tout le monde éclate de rire.
«Nous ne touchons pas à une seule goutte d’alcool»
PRENEZ-VOUS DE LA DROGUE ? Mais le débat est loin d’être clos. La rumeur a eu à pointer l’utilisation de stupéfiants par les Takeïfa et en veut pour preuve le fait qu’ils s’affichent avec de l’alcool dans leur clip. «Mais d’où sortez-vous toutes ces choses ?», demande Ma, la cadette-bassiste. Après un moment, comme pour se reprendre d’une surprise, Jack répond : «Nous n’avons jamais goûté à l’alcool de notre vie. Je peux l’affirmer autant pour moi que pour mes frères et ma sœur. Il arrive que l’on soit à un événement et que l’on nous mette, dans notre loge, des bouteilles d’alcools, mais on n’y touche pas. On demande toujours à ce qu’ils les reprennent. Pourtant, quand on monte sur scène, on donne au public plus que ses attentes. Pour moi, boire de l’alcool est synonyme d’un complexe que l’on veut surmonter et nous, le complexe, nous ne connaissons pas. Nous sommes assez fort intérieurement, nous n’avons pas besoin de boire ou de se droguer pour avoir une assurance. C’est d’ailleurs tout le message que l’on véhicule dans nos chansons. Il faut croire en soit et aller de l’avant.» Décidée à apporter la réplique à leurs pourfendeurs, Ma souligne : «Pour le clip dont ils parlent, c’est du Coca-cola qu’on a dilué avec de l’eau et du Red Bull. C’est quand même mesquin que ces gens-là puissent imaginer une telle chose.» Cheikh, jusque-là muet, renchérit : «Vous savez, le plus important est que, quand les chiens aboient, la caravane passe. Ils auront beau s’attendre à nous voir dans une mauvaise posture, ils ne le verront jamais.»
Cheikh sort du débat quand Iba, l’autre frère et membre du groupe Takeïfa, déboule dans le salon. «Salam à tous avec votre belle table», lance-t-il, avant de s’installer. Puis, il demande à ce que sa belle-sœur, Mage, lui serve. «Mets-moi un peu dans le bol de lait caillé. Ce n’est pas la peine d’aller chercher un autre bol.» Tout aussi espiègle que son grand frère Jack, Iba, en parfait pantin, se présente : «Je suis le plus nul de la famille…» Il se tourne vers Ma et lui lance : «Tu as parlé du gala ?» Ma répond : «Mais, c’est vrai, j’allais l’oublier.» Iba rétorque : «Vous savez ce qu’est un gala ?» Et en chanson, ils fredonnent : «Gala da fay gallbigalagno niébé». Ma ne manque pas de sauter sur l’occasion pour lancer une invitation aux fans de Takeïfa. «En fait, c’est l’actualité de Takeifa. Nous organisons un gala ce 31 août à l’hôtel des Almadies pour les albinos…», dit-elle. Jack la coupe nette : «Ma, tu te rappelles Midi première avec Ambroise Gomis ? C’est ce que tu es en train de faire.» Avec la gestuelle, il lance : «Nous organisons un gala le trempien (lisez 31)». Après un bon concert de rires, Ma reprend la parole : «Takeïfa a créé une association du nom de Care Albinos, c’est pour assister les albinos. Et nous allons faire notre activité phare ce 31 août. Nous sommes en train de travailler avec beaucoup d’autorités et organismes qui se sentent concernés par l’albinisme. Et ce jour-là, nous voulons que ce soit la nuit de l’albinos. Nous allons véhiculer des messages pour qu’une fois les albinos se sentent bien dans leur peau.» En tout cas, Ma est bien dans son rôle. Et ses frères 100% derrière elle pour ce grand combat contre la marginalisation des albinos.