HISTOIRE DE CORRUPTION
La gouvernance des justes n’interpelle pas seulement les milieux politiques ou économiques. Le combat de la vertu contre le vice est une dimension fondamentale du sport
Les soupçons de magouille et de corruption qui planent sur la Ligue 2 viennent ajouter une couche de pourriture à une gangrène généralisée. En pensant à l’histoire de la Fifa et à l’épisode de Saloum-Ndiambour, que Waa Sports a révélé et dont les effets commencent à rebondir, on peut se dire que les poissons ne sont pas seuls à pourrir par la tête.
Entre l’affaire de corruption qui secoue l’instance faitière du football et la suspicion qui enveloppe Saloum-Ndiambour, le chemin est long. Les soupçons dont le président du Ndiambour se défend ressemblent à des vétilles. Ils n’en méritent pas moins une enquête que la Ligue professionnelle de football s’est décidée à engager. On verra jusqu’où…
Fort de sa présomption d’innocence, le président du Ndiambour attaque. Vice-président de la Fédération sénégalaise football en charge du Marketing, ses cibles sont du côté de la Ligue professionnelle et de ses «dirigeants d’affaires». Des hommes sensibles aux écrits d’une «certaine presse».
Gaston Mbengue ne fait jamais les choses à moitié. On l’a connu promoteur de lutte, le verbe haut, la faconde énorme. Atteint au ventre, il vise la poitrine. Cela s’appelle l’escalade dans la terreur. On lui parle de soupçons de corruption dans un match, il ouvre le dossier de ces gens qui «essayent de se rapprocher des entraineurs nationaux pour pouvoir vendre leurs joueurs». C’est de bonne guère, de très bonne guère même. Le genre de querelles dont la presse est preneur.
On appelle aussi cela la stratégie de la terre brûlée. Mettre le feu à tout pour que derrière soi, au cas où on oserait ouvrir le dossier, il ne resterait plus que cendres et désolations. On est vraiment preneur.
Le football sénégalais est-il aussi pourri pour devoir se lancer dans des compromissions qui feront éviter de poser les véritables débats ? On verra…
Voilà des années que les fins de saison au Sénégal s’entourent de tous les soupçons. Des scores les plus inouïes surgissent de nulle part pour sauver des équipes de la descente. Quand les accusations montent, on s’en émeut faussement. Le temps passe ensuite pour étouffer les velléités d’enquête et les dossiers sont rangés sans suite. Ce ne sont pas de tels faits qui vont alourdir le dossier du Sénégal devant Transparency International. Ce n’est que du football.
Les faits de corruption sont d’une grosse banalité quand le football est une affaire de petites gens, quand les pots-de-vin et les arrangements à la petite semaine peuvent se discuter entre deux tapes dans le dos. Mais qu’elle soit active ou passive, la corruption nait et grandit dans un tas d’immondices.
Ces magouilles auraient pu relever d’un autre temps, d’un autre monde. Cependant, quand un football ne parvient pas encore à se débarrasser de ses paravents de navétanes, tous les soupçons rapprochent du possible voire du réel. Avec un football qui paye mal et entretient mal, il n’est pas difficile de faire lever le pied à un défenseur, endormir un gardien ou lénifier un attaquant.
Le malheur c’est qu’en jouant à corrompre et à se laisser corrompre on grandit avec un vice qui se sédimente dans les gênes. Il n’y a donc rien d’étonnant que des dirigeants aient fraudé, il y a trois ans, sur l’âge des juniors sénégalais en Championnat d’Afrique de basket, pour remporter le titre africain. Tricher sur l’âge des joueurs est d’ailleurs devenu un sport national…
Quand on agite des histoires de corruption, les faits sont souvent présumés et il est difficile d’en remonter les méandres. Ce qui paraît évident ne dépasse point le cadre des sourires entendus, face aux indignations légitimes de ceux qui ont perdu. Mais quand les soupçons en viennent à peser pour rendre vains les efforts des vertueux et consacrer la triche, le championnat finira bien un jour par mourir de sa propre malhonnêteté.
La gouvernance des justes n’interpelle pas seulement les milieux politiques ou économiques. Le combat de la vertu contre le vice est une dimension fondamentale du sport. Si les groupes mafieux ont tellement ciblé ce secteur de par le monde, pour y développer une industrie de la triche et de la corruption, c’est parce qu’ils le savent aussi fragile que rentable.
Le danger n’est pas uniquement pour le football. Il est pour le sport sénégalais dans son ensemble. L’installer dans la fragilité peut pousser à l’attaquer par toutes les portes. Il y a quelques années, des accusations de «combats arrangés» avaient perlé dans le milieu de la lutte. Cette discipline étant en train de se chercher des ouvertures au plan international, il ne faudrait pas s’étonner de voir, le cas échéant, que quelque part en Asie, des bookmakers manipulent, dirigent les combats, décident du vainqueur et se partagent les milliards de leurs paris.
Saloum-Ndiambour est une alerte qui mérite une mise au clair. Quand, à quelques minutes de la fin d’un match vital, deux présidents vont s’entretenir avec un banc de touche, cela paraît louche. L’affaire a des protagonistes qui peuvent dire l’exacte vérité des propos tenus. Certains ont déjà parlé. On espère que c’est avec le courage de la vérité.
Quand Jacques Glassman a fait tomber Marseille en 1993, personne ne l’avait cru. Le procureur de la République, Eric Montgolfier, avait ouvert le dosser «par simple curiosité sociologique», ne sachant même pas ce que signifiait le hors-jeu. On connaît la suite…
T. KASSÉ