HISTOIRE DE NOMBRIL ET DE MOLLET
La théorie scientifique court le monde depuis deux ans. Il paraît que si Usain Bolt se joue du temps et de l’espace sur 100 m avec l’aisance d’un enfant qui s’amuse, cela tient à une histoire de nombril. Regardez le vôtre. Mesurez la distance depuis ce point central du corps jusqu’au sol et notez. Reprenez l’exercice, en partant de là jusqu’au sommet de la tête. Il paraît que quand on est plus grand par le haut que par le bas, on se retrouve avec une morphologie dont la caractéristique principale est de vous permettre de voler sur vos deux pieds. Ce serait le propre de Bolt, ce serait aussi la caractéristique de tous ces Afro-descendants dont la traite négrière a déporté les ancêtres à travers les Amériques.
La traite négrière, ce furent 5 millions d’hommes, de femmes et d’enfants arrachés du ventre de l’Afrique en trois cents ans. Des côtes ouest-africaines à l’Angola, en passant par le Golfe de Guinée, on les capturait pour les disperser le long du Pacifique, du Sud au Nord, sur les îles et les grandes terres.
Selon les références historiques, l’origine des Noirs qui ont fini en Jamaïque se situerait en Afrique de l’Ouest. Alors, question de nombril, on en sait un bout. Sauf que si au Sénégal on a bien fantasmé dessus, ce fut plus comme épicentre de désir et de plaisir que pour la recherche de la démesure sportive. Peuple jouissif par excellence, on a paramétré la valeur du nombril sur les pistes de danse plutôt que sur les pistes d’athlétisme.
Mais ailleurs, qu’ils soient descendants des Yorubas ou des Mandingos, qu’ils soient râblés ou élancés, les Afro-descendants des Amériques ont transformé le 100 m en petit royaume où les «rois nègres» ont imposé la plus longue dictature de l’histoire. Depuis Jim Hines et ses 9.95 secondes aux Jo de Mexico-1968, quelque 70 à 80 athlètes noirs sont descendus en dessous de 10 secondes au 100 m ; le premier Blanc à franchir cette barrière mythique ne s’est signalé qu’en 2011 (Christophe Lemaitre ; 9,92 s).
Bien sûr, cela nourrit toutes les élucubrations scientifiques. Mais comme le disent les Jamaïcains qui dominent le sprint mondial depuis 2005, il y a les gênes certes, mais ce ne sont pas les longues jambes qui font courir plus vite. C’est le travail, la constance dans l’effort et l’intelligence dans la technique de course qui font voler quand les autres courent.
Le 100 m de Moscou est passé, le 200 m ne sera qu’une répétition de l’histoire. Ensuite, on ouvrira le chapitre des Kenyans. Et là, ce sera pour passer du nombril au mollet. Car après que plein d’athlètes européens sont allés s’exiler dans les hautes montagnes d’Afrique de l’Est, montant et descendant les collines sans jamais voir l’aiguille du chrono bouger, les scientifiques ont cherché ailleurs que dans le mythe des coureurs des hauts plateaux, où pouvait bien se cacher le mystère.
Finalement, c’est une équipe de physiologistes danois qui a diagnostiqué l’incroyable «secret» de ces hommes qui courent comme des dératés, buste droit, rythme métronomique, visage impassible et qui finissent toujours leur randonnée avec un tour de piste de plus, drapeau au vent. Il paraît, simplement, que les Kenyans ont… des mollets qui pèsent 400 g de moins que la moyenne normale. Et qu’ainsi allégés, ils auraient la cheville légère. Car, selon ces études, à chaque fois qu’on ajoute 100 g de poids sur cette articulation, l’effort humain exige 1 % de plus en oxygène. Avec moins de 400 g, ne vous étonnez donc pas si les Kenyans vous donnent cette impression de courir sans respirer.
Cela fait sourire, mais c’est du sérieux. Dans la théorie de la supériorité raciale, l’intelligence est aux uns et l’effort physique aux autres. Ainsi les classifications sportives ne sont pas ordonnées en toute innocence. Jusqu’à l’irruption du Britannique Hamilton, il y en avait pour penser que la conduite en Formule 1 relevait d’un esprit supérieur. C’est valable pour d’autres disciplines.
Cette histoire du mollet et du nombril, on aurait pu l’élargir au marathon. Car il y a aussi des choses qui se disent à ce propos.