HISTOIRES D’UNE VICTOIRE INACHEVÉE
LUTTE CONTRE LE SIDA, LA TUBERCULOSE ET LE PALUDISME
Subventions internationales en berne et budgets limités de l’Etat sénégalais, le financement des maladies infectieuses reste difficile malgré les excellents résultats obtenus ça et là. À la veille de la Journée mondiale de lutte contre le sida (1er décembre), les inquiétudes liées au financement demeurent sans réponse.
Le Sénégal se bat depuis bien longtemps contre ces éternels fléaux : palu, sida et tuberculose. Hélas, c’est l’histoire d’une réussite inachevée ! C’est encore le pessimisme qui entoure le financement des activités de la lutte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose. Certes, les résultats et les progrès enregistrés durant la dernière décennie sont sans appel. Les investissements accrus dans les programmes de lutte (Pnlp, Ancs, Pnt), ont largement contribué à réduire les décès imputables à ces maladies.
Mais, ces progrès sont de plus en plus menacés par la diminution des ressources disponibles pour la prévention et le traitement du VIH dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Et pourrait désormais l’être davantage avec la révision des prévisions de ressources, qui fait apparaître une baisse des moyens mis à disposition par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. A l’origine de cette situation : le contexte économique mondial peu favorable qui risque de mettre en péril les résultats acquis, mais également les futurs efforts.
«Aujourd’hui les partenaires internationaux pensent qu’il est temps que les pays africains prennent la relève dans le financement des activités de la riposte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose. Nous avons besoin d’une mobilisation des ressources par l’Etat», rappelait récemment le Dr Ibra Ndoye à l’endroit du Réseau des parlementaires francophones contre le VIH.
En 2008 déjà, le Fonds mondial annonçait l’intention, dans son round 11, de remplacer son système par un nouveau mécanisme transitoire de financement. Ce dernier se concentre seulement sur la continuité des services essentiels en termes de prévention, de traitement et de soins actuellement financés par le Fonds mondial, la mise à disposition de nouveaux financements ne devant intervenir qu’en 2014. L’après 2015 est plus qu’incertain.
La basse prévalence, don ou malédiction ?
Pis, les nouvelles dispositions de financement du Fonds mondial présentent des critères d’éligibilité assez défavorables pour le Sénégal, du fait de son épidémie à basse prévalence. Le paradoxe de cette situation réside dans le fait que le financement est basé sur la performance, alors que le Sénégal affiche des chiffres reluisants : taux de 0,7% pour le sida, 12 810 cas de tuberculose toutes formes confondues, soit un taux de 69% et le paludisme est en phase de pré-élimination. Ces cas de réussite du Sénégal sont perçus pour beaucoup comme encourageants, dans la mesure où ces fléaux tuent moins. N’empêche, beaucoup reste à faire. Un tel décalage est aujourd’hui source de désillusion chez les spécialistes, qui s’interrogent sur le maintien des acquis.
En effet, cette situation n’est pas sans conséquence sur la prise en charge des malades, de même que sur la prévention. «La baisse des financements va sans doute affecter nos actions. Nous devons commencer à travailler pour les objectifs post-2015. Ce n’est pas le moment de baisser les bras, il y a les défis de mobilisation des ressources financières», explique un membre de la société civile.
En effet, cette baisse pourrait compromettre les efforts mondiaux pour atteindre le sixième objectif du Millénaire pour le développement, à savoir enrayer la propagation du sida, de la tuberculose et du paludisme et commencer à inverser la tendance d’ici 2015. «Au-delà des financements, il s’agit d’avoir une vision, des stratégies pour arriver à des objectifs. La pérennisation, c’est aussi une question de management», explique Barbara Sow, directrice de Fhi 360, pour qui la conservation des acquis ne peut pas être exclusivement suspendue à la mobilisation des financements.
Conscients de l’urgence, les activistes de la société civile planchent actuellement pour des sources de financement innovantes en vue de combler le déficit de ressources mondiales, à l’instar de taxes sur certains produits ou sur les salaires (taxe annuelle de 1% proposée par l’Ancs en 2012) afin financer les programmes essentiels en termes de santé et de développement.
Aussi, la répartition des financements reste une autre équation. A preuve, la lutte contre la tuberculose, financée par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme reste tributaire d’une répartition délicate entre les trois maladies. Il faut le rappeler, la lutte contre le sida tire environ 50% des financements du Fonds alors que la tuberculose n’en reçoit que 18%.
Pour répondre aux défis financiers, le Sénégal est obligé d’innover en plus de l’augmentation des budgets de la santé. La reconstitution du Fonds mondial doit avoir lieu avant fin 2013. Reste à savoir si l’austérité budgétaire ça et là aura raison de l’investissement des donateurs. En attendant, la lutte est loin d’être remportée et les défis sont actuels et bien plus complexes si l’on sait que les maladies non transmissibles (maladies cardiovasculaires, maladies respiratoires, diabète) représentent une double charge tout aussi budgétivore.
Trois questions à Massogui Thiandoum, Chargé des Programmes à l’Alliance nationale contre le sida (Ancs)
«Il est important de poser la question du financement au-delà même de 2015»
Comment se présente la situation du financement du programme VIH ?
A l’orée de la Journée mondiale de lutte contre le Sida, le constat est que depuis deux à trois ans nous sommes confrontés à une baisse drastique des financements par les partenaires internationaux. Cette baisse est consécutive à la crise financière mondiale. Les pays et institutions qui nous soutenaient ont du mal à mobiliser les ressources financières. Nous sommes en train de réfléchir pour voir comment pérenniser la lutte au plan national et comment mobiliser des ressources domestiques à travers des financements innovants.
Cela ne risque-t-il pas de compromettre les OMD ?
Tout à fait. L’atteinte des OMD dépend en grande partie de la mobilisation des ressources financières pour continuer la lutte contre le sida. S’il y a baisse de financements, cela va se répercuter sur la prévention et sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH. Nous allons avoir de mauvais résultats. Une baisse de financements va certainement avoir un impact négatif sur les résultats et sur les acquis que nous avons obtenus depuis plus de vingt ans. Il est important de poser la question du financement au-delà même de 2015.
De plus en plus, il apparaît dans le langage des partenaires internationaux que le sida n’est plus une priorité après 2015. Il faut nous battre pour maintenir les priorités de 2015 et au-delà de cette ligne prévisionnelle. Ne dormons pas sur nos lauriers, ne pensons pas que parce que le taux de prévalence est bas et c’est tout. Il faut prolonger le combat sur une très longue période afin d’atteindre l’objectif de zéro infection, zéro stigmatisation, et zéro décès. Pour 2015 mais surtout après.
N’est-il pas temps de se départir de cette dépendance de l’extérieur ?
Quand un citoyen sénégalais est malade, il appartient à l’Etat du Sénégal de trouver les moyens de le soigner. C’est vrai que nous sommes dans un pays où le niveau économique est très faible, ce qui justifie qu’on sollicite l’aide extérieure pour combler nos gaps. Nous devons toujours continuer les actions et le gouvernement doit faire en sorte que le budget de la santé soit augmenté de manière conséquente, pour prendre en compte les besoins des populations.
C’est de la sorte que nous allons à arriver à briser la dépendance. Quand on reçoit le financement de l’Usaid, c’est l’argent du contribuable américain. Pourquoi un citoyen américain devrait-il financer la santé d’un Sénégalais ? C’est la question qu’il faut se poser. Nous sommes conscients de l’importance du financement extérieur, mais nous devons davantage travailler pour que l’ensemble des financements de la santé provienne de l’Etat du Sénégal, en priorité.
Les défis toujours plus complexes
Partout dans le monde, la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, enregistre des progrès considérables. Cependant, beaucoup reste à faire.
VIH/SIDA
Les résultats publiés lors de la dernière session des Nations Unies ont montré que le Sénégal est passé d’une prévalence de 1% en 2000 à 0,7% en 2013, une prévalence chez les jeunes les plus faibles dans le monde (0,25%) avec 1300 nouvelles infections chez les adultes et environ et 700 chez les enfants. Afin d’assurer la disponibilité des Antirétroviraux pour les personnes vivant avec le VIH, le Sénégal a besoin d’environ 4 milliards de francs Cfa par an, alors que les apports cumulés du Fonds mondial et du gouvernement du Sénégal ne dépassent pas 3 milliards.
Tuberculose
12810 cas de tuberculose sont détectés au Sénégal par le Programme national de lutte contre la tuberculose (Pnt) avec 3% de décès. A l’échelle mondiale, les financements dédiés à la recherche et au développement (R&D) pour la tuberculose ont diminué de 4,6 % en 2012 par rapport à 2011 pour atteindre 627,4 millions de dollars (455,6 millions d’euros).
Paludisme
En 2005, plus de deux millions de cas y avaient été signalés. Si la maladie est endémique dans le sud du pays, le nord est lui aussi touché de manière saisonnière. Depuis 2005, le pays a enregistré une baisse impressionnante du nombre de cas, comprise entre 25 et 50 pour cent, mais la vigilance reste de mise car le danger d’une recrudescence de la maladie est réel. Pour éviter ce scénario et poursuivre les efforts en vue d’entrer en phase de pré-élimination, le gouvernement sénégalais a sollicité l’aide de tous ses partenaires. La campagne, qui s’est achevée en juillet 2013, est une vraie réussite : elle a pu toucher les zones isolées du nord et du sud du pays et s’est conclue par une distribution de moustiquaires à grande échelle à Dakar.
Selon les estimations de l’OMS et du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, il faudrait 1,6 milliard de dollars (1,2 milliard d’euros) supplémentaires pour combler le déficit de financement pour la période 2014-2016 de la lutte contre la tuberculose. Les défis sont toujours là !