HONTEUX !
L"ÉTAT IMPORTE POUR 65 MILLIARDS DE MEUBLES ET DÉLAISSE LA PRODUCTION LOCALE
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Les statistiques des douanes sénégalaises sont sidérantes. De 2006 à 2012, les importations connues au niveau du système informatique de traitement des opérations douanières révèlent que le Sénégal a importé, en l’espace de six ans, pour plus de 65 milliards de francs Cfa en valeur Caf (coût, assurance, fret) en meubles de bureaux et d’appartements. 80 % de cette commande proviennent de pouvoirs publics.
Quand on sait que les différentes taxes qui s’appliquent à ces importations tournent autour de 50% de ces valeurs, on mesure que le secteur de la vente des meubles importés a engrangé des investissements de plus de 125 milliards en six ans. On devrait être loin du compte si on considère non seulement que de nombreux importateurs minorent les coûts pour limiter les taxes à payer mais aussi que de nombreuses importations peuvent arriver à passer entre les filets des douanes. Il s’y ajoute les entrées de mobiliers sous le prétexte de déménagements de fonctionnaires ou de diplomates. Les chiffres de la douane ne comprennent pas aussi les autres objets de décoration comme les tapisseries, les lustreries et autres. Et tous ces meubles usagers, communément appelés «venants», ramassés en Europe et qui sont exposés à tous les coins de rue !
Sauver le menuisier Landing*
Que ne gagnerait pas l’économie sénégalaise si tous ces produits étaient fabriqués par les artisans locaux ? Lors du Conseil présidentiel pour les investissements du 14 décembre 2012, le Président Macky Sall avait demandé à son gouvernement de faire «la promotion de l’artisanat sénégalais en orientant la commande publique vers le mobilier national. Il a appelé à réfléchir sur les capacités réelles de production et le niveau de l’offre de produits, en suggérant de tenter l’expérience par l’équipement, par exemple, des services de l’Administration publique et des collectivités locales». Le chef de l’Etat avait demandé notamment de commencer l’expérience par l’utilisation des tissus fabriqués par les artisans sénégalais pour garnir en rideaux les bureaux et autres services publics. On attend encore la réalisation de cet engagement. Il avait été ainsi question de la restauration d’un grand service de l’Etat qui s’occuperait du mobilier national.
Cette administration publique aurait pour mission de meubler les bâtiments officiels de l’Etat comme les palais de la République, certains ministères et ambassades à l’étranger et d’assurer la restauration de ces patrimoines mobiliers et décoratifs. Il faut dire qu’aux premières années de l’indépendance, le service du mobilier national avait satisfait à ce rôle et que des commandes publiques étaient régulièrement lancées pour équiper les administrations. Cela permettait à des secteurs comme la menuiserie de se développer, de générer et de conserver des emplois. Aujourd’hui, ce secteur se dégrade et les milliers d’ouvriers qu’il emploie traditionnellement sont pour la plupart au chômage ou n’arrivent plus à vivre de leur travail.
La Manufacture des arts décoratifs de Thiès connaissait également une certaine splendeur car les autorités de l’Etat encourageaient l’achat de tapisseries produites et cette fabrique était un passage obligé pour les hôtes de marque du Sénégal qui, à chaque fois, emportaient des œuvres réalisées sur place. Interpellé sur la nécessité de soutenir les artisans locaux, le Président Macky Sall se demandait si tous ceux qui prônent le recours au «consommer local» en matière de mobiliers de bureaux et de maisons prêcheraient par l’exemple.
En effet, ils sont rares les décideurs sénégalais à recourir aux artisans locaux pour s’équiper. La pratique actuellement en cours au niveau de l’Etat du Sénégal est de délivrer des bons d’équipements aux ayants droit qui s’approvisionnent en mobiliers importés ou qui parfois même prennent du cash auprès des fournisseurs. Paradoxalement, depuis tout le temps de sa présence au Sénégal, l’Armée française, de façon systématique, s’approvisionnait en mobiliers de bureaux et de maisons auprès des artisans locaux. Il est encore rare de trouver des réceptifs hôteliers garnis de mobiliers «made in Senegal».
L’autre fait étonnant est que le mobilier importé est souvent de moindre qualité que le mobilier fabriqué au Sénégal. Pour le travail du bois par exemple, les artisans locaux utilisent le bois massif assez solide et résistant tandis que les meubles importés sont pour la plupart fabriqués à partir de résidus de bois comme la cire. Il reste que les artisans sénégalais ont pourtant fait preuve de la bonne qualité de leurs œuvres qui sont parfois achetées par de grandes firmes étrangères.
Dire que le Président Abdoulaye Wade a équipé sa maison de Versailles de mobiliers fabriqués par des artisans sénégalais ! Pendant tout le temps qu’il était à la tête du Sénégal, il avait promis en vain aux artisans sénégalais de les faire travailler dans le cadre de la commande publique !
* Landing est un jeune menuisier de notre quartier, très entreprenant mais qui voit son horizon professionnel bouché par les importations de meubles, de portes et fenêtres.