HORIZONS BOUCHÉS
CRISE ESTUDIANTINE
Comme une éternelle rengaine, la même crise revient à l’Université de Dakar, et dans les autres centres universitaires. Ces dernières semaines, elle a pris une tournure plus violente, après la charge policière contre des étudiants, faisant une centaine de blessés.
Il est rare dans l’histoire de notre pays de voir un tel traumatisme dans l’enceinte de l’UCAD. Il faut peut-être remonter à mai 1968, pour constater une telle virulence des étudiants, s’en prenant à tout le monde (étudiants, personnels, professeurs, simples passants) et à tout (infrastructures, équipements, voitures etc.)
Dans ces conditions que vaut la franchise universitaire ? Une licence pour les étudiants de tout saccager ? Certainement pas ! Les forces de police ont, certes, eu la main lourde. Les moyens de restaurer l’ordre étaient surdimensionnés. Mais les étudiants, quelle que soit la légitimité de leur revendication, ne devraient se muer en force de destruction, ne respectant ni la liberté de leurs condisciples d’aller en amphi, s’ils le désirent, terrorisant le personnel et les simples citoyens. Et encore, essayant de dégrader les supports et cadres de leur formation.
L’exigence de sécurité doit aller de pair avec les principes de gouvernance. Et la franchise universitaire. Et encore moins ne met les étudiants au-dessus de la loi.
Ceux qui fréquentent l’espace universitaire ont la peur au ventre à chaque mouvement. Peur d’être la victime d’une intifada subitement décidée. D’être arrêtés, molestés ou menacés. Et il faut bien le dire, la présence policière qui sécurise et ramène la sérénité dans l’esprit des pensionnaires de l’UCAD. Même si au demeurant, les moyens utilisés peuvent être excessifs. De ce point vue, hélais, de ce point de vue seulement, le gouvernement à raison de maintenir la sécurité.
Mais en réalité ce bras de fer a pris une tournure grave. Le dialogue est interrompu entre l’État et les représentants des étudiants. Les étudiants réclament le paiement de leurs bourses et aides, le «droit» de leurs collègues de licences à accéder au master, et, en solidarité, avec le recasement des «Macky family» (bacheliers non orientés).
L’État s’était engagé à résoudre au moins les problèmes de bourses et d’orientation. Il était plus réservé sur l’automaticité de l’accession en master, pour les étudiants en licence professionnelle, contrairement à leur collègue de licence académique. La confusion de ces points de revendication rend leur résolution plus problématique. Sans doute.
Mais, après avoir contesté la généralisation des bourses (dont l’incidence peut avoisiner les 40 milliards), l’État a finalement cédé, pour mieux faire passer l’obligation des frais d’inscription, modulés selon les cycles. Il y a plus d’une dizaine d’années, cette incidence se chiffrait à six milliards, avec trois fois moins de d’étudiants et sans généralisation.
Et pourtant, tout le monde sait que la trésorerie publique, confrontée à des baisses de recettes du fait de la réforme fiscale, ne peut supporter la généralisation des bourses et aides. Les constants coups de rabots dans les postes budgétaires, tous ministères confondus, la persistance de la dette publique, la quasi-suspension de nombre de projets publics, montrent clairement que l’état de nos finances est déplorable. On se demande même comment, l’État procédera pour financer les coûts (15 milliards) les élections locales rendues inutiles après ces dernières péripéties.
Le paiement de ces bourses et aides devient obligatoire. Et l’État devrait s’en donner les moyens, en réduisant encore et encore, son train de vie. Et, c’est nécessaire, les fonds publics du Président, encore astronomiques, le nombre de ministères, des agences nationales, la pléthore de conseillers et de ministres conseillers planqués dans les allées du pouvoir.
L’accès automatique au master relève d’une aberrance. A l’évidence, l’université favorise d’abord la recherche et non la satisfaction de l’emploi. Elle peut, néanmoins, en marge de sa fonction première, développer des filières courtes (Ecole Supérieure Polytechnique) et techniques à travers les licences professionnelles, pour répondre aux besoins des entreprises.
Il est impensable que de croire alors que ces diplômes destinés au marché de l’emploi, ouvrent la porte aux masters orientés vers la recherche. Avec le risque de créer des sureffectifs en masters, de mauvaises conditions d’enseignement et de formation. Et même de se détourner de l’objectif des filières professionnelles.
Le système LMD ouvre la licence comme premier niveau de sortie de l’Université. Et comme premier palier de recherche, les master 1 et 2. Et ensuite le doctorat. Et la sélectivité est là aussi synonyme de qualité.
En Europe, ce sont les entreprises elles-mêmes qui sont à l’origine des Grandes Ecoles orientées directement vers les emplois qualifiés. Dans un environnement aussi indigent comme le nôtre, l’université n’a pas les moyens de remplir simultanément, les fonctions de recherche et de création massive d’emploi. C’est, pourquoi à travers des stratégies alternatives, elle cherche à développer en son sein des filières parallèles dont les finalités éducatives, sont essentiellement … professionnelles. Et de manière sélective et limitée.
C’est là précisément que s’installe et prospère le dialogue de sourds. La communauté éducative, l’État compris, doit créer et élargir les filières de formation professionnelle dans des secteurs à haute qualification d’emploi dans l’agriculture, la meunerie, l’industrie, la culture, la pêche, les arts et métiers, pour accueillir ces bataillons d’étudiants.
Elle doit encourager les Stem (filières scientifiques et techniques) et réduire les formations littéraires et établir les ponts entre ces structures de formation et les entreprises. L’apprentissage doit être intégré, dans sa complétude, dans notre système éducatif, et opérer la sélection depuis le Bfem et non le bac, pour éviter les goulots d’étranglement.
Envoyer deux mille bacheliers à l’université virtuelle, c’est les mener à la casse, car cette structure est virtuelle.
Les horizons sont bouchés dans notre système éducatif et sans réorientation stratégique, les conclusions des Concertations Nationales pour l’Avenir de Enseignement Supérieur (CNAES), resteront lettre morte. La violence, qu’elle vienne de l’État, en réponse à une violence estudiantine, ne conduit qu’à la spirale d’horreurs. Et les étudiants autant que l’État n’y gagneraient rien.