I LOVED THIS GAME
On voudrait vous ramener au début des années 1990. Non, ce ne sont pas ces belles années qu’on chante tant, quand le kilo de sucre valait 65 F, la demi-tasse de thé 30 F et le petit pot de lait 20 F. Nuit blanche assurée à 100 F ! Non, ce n’était plus jamono twist. La dévaluation du Cfa n’avait pas encore plongé Goorgorlu et Diek dans les tourments de la Dq (dépense quotidienne) mis en scène par le «Fonds de misère instantanée» (ainsi qu’on appelait le Fmi) et le «Bourreau des masses» (masses populaire s’entend, et entendez aussi Banque mondiale), mais le tic-tac infernal de la bombe qui explosa en 1994 avait commencé à égrener le rebours fatal.
C’est dans ces dix dernières années du vingtième siècle qu’on avait découvert la Nba dont les play-offs démarrent ce weekend, qu’on a su que les hommes pouvaient voler et que certains d’entre eux pouvaient suspendre leur vol pour laisser le temps s’écouler (ne fût-ce que pour quelques centièmes de secondes) et voir retomber sur terre les simples humains, avant de tracer des trajectoires sinusoïdales vers le panier.
C’est dans le terrible suspense des fins de matches de Nba qu’on a pu mesurer que la seconde ne signifiait rien dans la marche du temps et que sa fraction la plus infime suffisait à certains hommes pour changer le cours de l’histoire.
Sur Canal+, les Michael Jordan, Magic Johnson et autres Clyde Drexler, etc., éclipsaient les étoiles dans le ciel et transformaient les soirées de basket en féeries indescriptibles.
Selon qu’on était calé sur l’un des trois fuseaux horaires américains pour un match des Knicks au Madison Square Garden (Est), une confrontation des Bulls au Chicago Statdium (Centre) ou un rendez-vous des Lakers au Staple Center de Los Angeles (Ouest), les lampes des salons restaient allumées jusqu’à 2 h du matin, voire plus.
Le temps d’un match de basket, on était sur une autre planète, témoins d’une représentation en quatre temps où le suspense se vivait comme dans une existence suspendue à un fil et où l’extase était permanente face à des chorégraphies dont les ballets se déployaient en fonction du temps et de l’espace, dictées par le chronomètre qui rythmait les mises en place tactiques et les animations de jeu.
Il y avait les créations collectives, mais surtout les représentations individuelles. Un match était avant tout un duel. Magic Johnson face à Larry Bird. Jordan d’un côté, Barkley de l’autre. Pat Ewing ici, Clyde Drexler à l’opposé. Il y avait les acteurs, mais aussi le maître de cérémonie. Ces soirées avaient leur voix. Celle de George Eddy. Son accent américain tranchait comme une lame de rasoir et il débordait d’un enthousiasme qui était à même de transformer le reportage d’une cérémonie funéraire en mariage de la reine. De son langage fleuri, sont sortis des termes cultes.
Une envolée de Jordan et «C’est l’action du match, Messieurs-Dames !». Un «dunk» de Dominique Wilkins faisait «Badaboum !» Un contre de Dikembe Mutombo, suivi de son index agité de gauche et à droite, il le saluait d’un «Not in my house». Quand tout s’emballait dans les dernières secondes du match, on avait droit au «Money time». Certains shoots ressemblaient à des «bricks» et toute figure de style sortant de l’ordinaire devenait «jordanesque».
Depuis trois ans que Canal+ a perdu les droits de retransmission de la Nba, l’extinction de cette voix a cassé un ressort.
On n’a pas tout perdu. BeIn a récupéré le filon et, depuis quelques mois, la Rts maintient le fil pour les accrocs sénégalais. Mais l’intensité magique n’a pas survécu à l’éclipse des soleils qui ont illuminé le monde dans les années 1980-1990. Les bras de LeBron James expriment un talent venu de cet ailleurs, mais la largeur de ses épaules ne suffit pas au poids de l’héritage.
Ce qui se perd surtout et qui sidère au moment où démarrent les play-offs de cette saison, c’est d’appendre que ni les Knicks ni les Celtics, encore moins les Lakers ne seront de la ronde. A l’Est, la liste des élus gardent encore quelques noms des années cultes comme les Indiana Pacers ou les Atlanta Hawks et les Chicago Bulls, tandis qu’à l’Ouest survivent encore les San Antonio Spurs, les Dallas Mavericks, les Houston Rockets et les Portland Trail Blazers. On peut y perdre les sensations féériques du passé à même de pousser certains à se reconnecter.
I love this game, disait le slogan. Il y a sans doute de quoi continuer à l’aimer. Si la magie est du passé, la beauté est du présent. Ce n ‘est pas rien.