IL ÉTAIT UNE FOIS DAKAR
Les tas d’immondices sont devenus un signe distinctif de la capitale sénégalaise. Cela ne saurait se justifier par une explosion démographique qui dépasserait les capacités humaines de gestion d’une agglomération urbaine
Partout en Afrique et même dans certaines régions du monde, le Sénégalais en voyage ne peut échapper au compliment : «Que Dakar est une ville belle!». Seulement, pour peu que votre interlocuteur vous soit un peu familier, il ajoutera : «mais que Dakar est sale !».
En effet, les tas d’immondices, la crasse, jusque dans les principales artères de la ville, sont devenus un signe distinctif de la capitale sénégalaise. Cette plaie blafarde fait que Dakar ressemble de moins en moins à une ville moderne. Ce qu’on voit à Dakar, en termes d’ordures déposées ou jetées partout, ne saurait se justifier par une explosion démographique qui dépasserait les capacités humaines de gestion d’une agglomération urbaine.
Dakar est plus sale que Lomé, Douala, Yaoundé, Abidjan, Niamey, Cotonou, Bamako ou Ouagadougou, toutes des villes qui abritent chacune une population équivalente à celle de Dakar et qui, pour la plupart, ne sont pas mieux nanties que la capitale sénégalaise sur le plan économique.
Il nous a été donné de constater à Kinshasa, une ville africaine, peuplée de plus de 15 millions d’habitants, donc comme si toutes les populations du Sénégal et de la Gambie s’étaient rassemblées dans une même ville, que jamais vous ne trouverez, dans un quelconque recoin de la ville, des tas d’immondices comme ceux qui jonchent les rues de Dakar ! Dire que la République démocratique du Congo est toujours en proie à des conflits armés!
Les ordures sont une chose, mais c’est aussi seulement à Dakar que vous trouverez un homme qui, le plus naturellement du monde, se soulage dans un urinoir à ciel ouvert, improvisé à l’angle d’une rue d’un quartier d’affaires comme le Plateau. Les inscriptions qui tapissent les murs de Dakar, du genre : «Défense d’uriner», renseignent sur nos mauvaises habitudes. Que deviennent les pelouses de la place de l’Indépendance ?
Les bancs publics transformés en couchoirs par des squatteurs sont cassés et crasseux. N’importe qui peut s’autoriser à dresser une tente partout où il voudrait, pour exercer son métier de marabout ou de mendiant. Il ne trouvera personne pour le déguerpir. Dans la circulation, les vendeurs à la sauvette, les mendiants de tous âges et de tous sexes tapent bruyamment aux vitres de votre voiture et gare à vous si vous refusez de regarder la misère qu’ils vous exposent.
Et si vous persistez à rester de marbre, cet individu vous punira par un trait blafard sur la peinture de votre caisse. Et s’il vous arrive de vous plaindre, des personnes qui ne vous connaissent ni d’Adam ni d’Eve vous tombent dessus pour relever la méchanceté des gens riches et leur manque de cœur.
De tels comportements font qu’en pleine circulation à Dakar, des hordes de gens pourtant bien valides, mettent à fond des hauts parleurs montés sur une voiture brinquebalante qui roule en sens interdit ou au beau milieu de la ligne séparant les deux voies d’une route. Ils bloquent la circulation, vous obligent de vous arrêter et vous tendent une sébile pour y déposer une pièce de monnaie. Ces gus vous forcent à leur donner quelque chose. A défaut, ils vous insulteront vertement ou vous feront un bras d’honneur.
Quand vous garez votre voiture devant un commerce pour faire une course, vous risquez de ne plus la reconnaître à votre sortie car entre temps, tout le dessus de la voiture aura été transformé en étal de commerce de victuailles. Voyez-vous cette grande dame au volant d’une rutilante voiture, qui stoppe nette sa caisse au beau milieu de la déviation de la circulation instaurée au niveau du Pont Sénégal 92 en reconstruction, pour acheter tranquillement auprès d’une dame qui se faufile entre les voitures pour proposer des sachets de jus de «bouy» glacés.
La dame au volant en paie une dizaine de sachets et attend tout le temps nécessaire pour recevoir son appoint en pièces de monnaie. Elle n’a cure des coups de klaxons des autres automobilistes et comble, elle se permet de faire un bras d’honneur à un Agent de sécurité de proximité qui lui demande de bouger sa voiture qui bloque la circulation.
La bonne dame au volant suce un sachet de crème de «bouy» sans se faire de soucis sur l’hygiène de la préparation. Comment avec de tels comportements, voulez-vous que ce pays aille de l’avant ?
La faute à qui ? A nous tous. Le géographe à la retraite, le Professeur d’université Mamadou Fadel Kane, ne peut que se désoler qu’on ait fini par faire de Dakar «n’importe quoi». «Je le dis avec beaucoup de regrets et d’amertume, mais j’ai la nostalgie de ces rues propres et ordonnées de Dakar, sur lesquelles j’ai marché en 1958, de son cadre de vie d’antan. J’ai vu cette ville transformée et malheureusement nous avons perdu un pareil cadre de vie». On en arrive à se demander si Dakar serait dans son état actuel si sa destinée était encore entre les mains des Français.
Si les habitants sont pour beaucoup responsables de cette situation, les autorités politiques ne sont pas exemptes de reproches. Les autorités municipales ont échoué, au point que l’Etat a décidé de s’occuper du ramassage des ordures mais là, beaucoup d’argent est régulièrement dépensé pour un piètre résultat.
Aussi, il ne se trouve aucune autorité publique capable de désencombrer les rues de Dakar des marchands ambulants et autres mendiants. Le ministère en charge du cadre urbain a entamé des travaux d’embellissement des grandes artères de Dakar. L’opération commence par le pavage et l’aménagement d’espaces verts le long du tronçon de l’autoroute allant de la Patte d‘Oie à l’Avenue Lamine Guèye.
Attendons de voir ce que ces plantes deviendront dans deux ans.