IL ÉTAIT UNE FOIS, LE VILLAGE OÙ LE CONTE SE JETTE DANS LA RÉALITÉ.
NDAYANE
L’évocation de Ndayane renvoie à « La cuiller sale » de Birago Diop. Son conte populaire a permis d’immortaliser ce village de Lébous dont l’existence ne doit rien à la légende. L’étranger qui s’y rend et s’attend à voir le fantôme de Binta l’orpheline, récurant sa cuiller dans la mer de Ndayane, risque d’y passer une éternité. Hormis les vagues qui viennent se fracasser sur les rochers, le grand bleu n’offre aucun spectacle, si ce n’est le passage des pirogues, voguant vers de lointains ports. Ndayane vit au rythme de la pêche, qui a pris le dessus sur tous les autres secteurs économiques, et sa population, profondément ancrée dans ses racines, conserve encore ses traditions et valeurs ancestrales comme le « ndawrabine », le « goumbé », les régates, la lutte... même si le temps les a quelque peu modernisés.
Il était une fois... Ndayane
Dans l’imaginaire de beaucoup de Sénégalais, Ndayane est une ville légendaire. Mais ce village lébou est bien réel. Il est immortalisé par Birago Diop dans « La cuiller sale », l’un des 13 contes tiré du recueil « les Nouveaux contes d’Amadou Koumba » qui fait suite aux Contes d’Amadou Koumba ». Ce conte merveilleux et riche en enseignements raconte l’histoire de Binta, une orpheline qui vivait avec sa marâtre, laquelle la maltraitait à longueur de journée.
Le décor est campé. Binta était très malheureuse, alors que sa demi-sœur, Penda, se faisait belle et jouait tout le temps. Un jour, Binta avait oublié de laver une toute petite cuiller en bois (« kôk » en wolof) et quand la femme de son père s’en aperçut, elle entra dans une sainte colère. Après l’avoir maltraité, elle lui dit : « Tu iras laver cette cuiller à la mer de Ndayane.»
La mer de Ndayane se trouvait à mille lieues de chez elle et sa marâtre lui avait donné trois jours et trois nuits pour revenir avec une cuiller tout étincelante. Espérant que Binta ne survivrait jamais à ce châtiment qu’elle lui avait infligé, l’orpheline va revenir saine et sauve et comblée de richesses immenses... La suite, tout le monde la connait.
Ndayane existe depuis, mais ce village lébou a été immortalisé par Birago Diop. Cependant, l’auteur n’a pas été le seul à avoir construit sa renommée. Ndayane a aussi inspiré Omar Pène, le lead vocal du « Super Diamono », qui lui a consacré une chanson populaire. Cette dernière figurant dans son répertoire depuis plus de 30 ans a été réactualisée au fil des temps. « Khalé ba démone guédjou Ndayane, khol ba n’gué é é é »... (L’enfant qui était parti à la mer de Ndayane, son cœur est- là)... Ce refrain a fait pleurer du beau monde, tant la chanson était triste.
Ndayane n’est pas une ville mythique, parce qu’ayant existé réellement jadis, et n’ayant pas disparu. Ndayane n’est pas un village né de l’imaginaire du conteur. Loin d’être une légende, Ndayane est... une légende vivante. C’est un village lébou situé dans le département de Mbour et coincé entre Toubab Dialao et Popenguine. Avec Popenguine et Popenguine Sérère, Ndayane a été érigé en commune juillet 2008 sous l’appellation de commune de Popenguine- Ndayane.
SENGHOR, BIRAGO ET PENE...
Selon Aliou Ciss, délégué de quartier de Keuri Kaw, le village fut d’abord habité par les Socés, ensuite les Sérères suivis des Lébous. A l’en croire, des vestiges du passé comme des débris de canaris et de vases sont des révélateurs de cette histoire.
Cependant, il faut noter qu’une partie des habitants de Ndayane ont des origines sérères. « Le village a connu une extension ces dernières années. On y recensait 29 concessions après les indépendances. Aujourd’hui, Ndayane est devenu une grande ville. C’est en 1971 que le président Senghor a donné l’autorisation de niveler une partie du village pour faciliter l’habitat aux populations. Le premier lotissement est intervenu en 1976, suivi du second en 1980 », a fait savoir Ablaye Sène, frère du dernier chef de village aujourd’hui décédé.
LE CULTE DU TRAVAIL
« Grâce à Birago Diop, le monde entier connait Ndayane, mais on croyait que c’était une légende. La légende existe bel et bien, mais il faut reconnaitre que Ndayane existe par la légende conçue par Birago Diop et aussi par la réalité », estime Alioune Badara Sène, un natif de Ndayane.
D’après cet écrivain et poète, les fils de ce village sont allés à l’aventure dans presque toutes les côtes du monde, mais n’ont pas réussi à propager le nom de Ndayane comme l’a réussi Birago Diop avec son conte. M. Sène se demandant si Birago Diop connaissait réellement Ndayane pour le prendre en exemple. En tout cas, tout porte à le croire, avance- t-il.
« Birago était très proche de Léopold Sédar Senghor. Avant les indépendances, le Sénégal était une colonie française et, à un moment, le gouverneur qu’on envoyait en Afrique de l’Ouest était logé à Popenguine, dans le palais devenu un patrimoine du Sénégal. Senghor, étant député et maire de Thiès, résidait également dans ce même palais. Popenguine étant contigu à Ndayane, il est probable que Senghor qui a préfacé les « Nouveaux Contes d’Amadou Koumba » ait parlé de Ndayane à Birago Diop », explique le poète. Pour ce fils de Ndayane, Omar Pène mérite également des hommages pour avoir chanté leur village et contribué à faire sa popularité.
À Ndayane, le travail est un véritable sacerdoce. Les populations ont très tôt compris le message du Prophète Mohamed (Psl) qui a dit : « Vous êtes tous des bergers, et tout berger est responsable de son troupeau ». La volonté et le courage en bandoulière, les Lébous de Ndayane se lèvent tôt et travaillent dur pour se nourrir et nourrir leurs familles. « Le Ndayanois ne connaissent que le travail ; ils n’attendent jamais les autres. C’est une qualité héritée de leurs grands-parents », fait savoir Alioune Badara Sène.
Pendant longtemps, l’économie de ce village était basée sur l’agriculture. Cette activité était le poumon de l’organisation socio-économique de ce village lébou dont les populations s’adonnaient à la culture du mil, du sorgho et de l’arachide qui était commercialisée. La sécheresse va malheureusement briser l’élan de ces vaillants paysans, qui n’avaient d’autres alternatives que de se tourner vers la pêche.
Avec la modernisation aidant, cette activité va finir par supplanter l’agriculture, favorisant ainsi une dépaysannisation presque générale. « Nos grands-parents étaient de grands paysans, mais des facteurs comme la sécheresse ont fait que l’agriculture a perdu du terrain au profit de la pêche, qui est devenue le moteur de l’organisation socio-économique », soutient Aliou Ciss.
« Quand vous parcourez le village, vous verrez beaucoup de vieux qui ont été matelots dans leur jeunesse et qui sont aujourd’hui à la retraite. Ils ont fait presque toutes les côtes du monde pour s’adonner à leur activité : la pêche. Cela leur a permis d’entretenir leur famille et de construire des maisons », ajoute M. Sène.
Aujourd’hui, le village de Ndayane s’est vidé. L’essor du secteur, par les revenus qu’elle rapporte, a poussé tous les jeunes à migrer vers Guéréo, Joal, Djifère, Kafountine, des zones où la pêche nourrit bien son homme. La flotte des fils de Ndayane est estimée à plus de 400 dans ces centres de pêche. Le hic est que beaucoup d’entre eux se sont sédentarisés et ne rentrent à Ndayane que pendant la fête de Tabaski et autres cérémonies très importantes.
RITES ET RYTHMES
Quand la mémoire va ramasser son identité.
« Quand la mémoire va ramasser du bois mort, elle ramène le bois qui lui plaît », avait dit Birago Diop. A Ndayane, la mémoire ramène le trait culturel fondamental ! Reste à convaincre les autorités. Les traditions se vivent différemment selon les générations, mais elles sont toujours suivies. Que ce soit pour les fêtes traditionnelles, les mariages ou les naissances, dans la vie quotidienne, la culture est présente. Malgré le temps, le « ndawrabine » et le « goumbé », ces danses traditionnelles léboues, les régates et autres séances de lutte qui ont longtemps rythmé la vie de Ndayane, ont réussi à survivre.
Et les femmes ont fini de convaincre qu’elles étaient encore les dépositaires des valeurs traditionnelles. Selon Adja Aïssatou Sène, chaque fête est une occasion, pour Ndayane, d’exhiber ses richesses culturelles, de faire découvrir aux autres ses us et coutumes, de montrer sa fierté et son attachement à son passé.
« Chaque lendemain de Tabaski est une occasion pour exhumer et faire revivre le patrimoine culturel lébou, à travers l’organisation de séances de « ndawrabine », de « goumbé », de régates », indique-t- elle.
Pour ces grands moments, explique Ndèye Yacine Diouf, les femmes s’habillent en tenue traditionnelle, composée de grands boubous et de pagnes. Elles portent des babouches et de jolis colliers en perles au cou. La tête bien ornée, le visage bien maquillé et un cure-dent à la bouche, elles se laissent aller à de belles chorégraphies.
« Ndayane a une richesse culturelle par ses origines sérères et son devenu lébou. Le Lébou chante et danse. Le « ndawrabine » et le « goumbé » font partie de notre patrimoine. La danse léboue est gracieuse, et nous en sommes très fiers », relève Alioune Badara Sène.
Comme dans tout village fortement ancré dans ses traditions, il existe plusieurs événements à Ndayane qui ont un caractère rituel ou populaire célébrant le bonheur, le malheur, les funérailles, la bonne récolte, la danse des masques, la bonne pluviométrie, etc.
« Les cérémonies et rites sont accompagnés par des chants, même si certaines pratiques sont aujourd’hui révolues », indique Mme Diouf. Aussi, le tatouage de la gencive ou des lèvres était très important dans les temps. C’était un moment pour tester le courage des filles ; même si, aujourd’hui, c’est révolu.
SOCIABILITE ET SOLIDARITE
Les secrets du mariage et de la cola
La notion de solidarité a toujours été au cœur du système social traditionnel des Lebou de Ndayane. Qu’il s’agisse d’un évènement heureux ou malheureux. « La solidarité est toujours pratiquée chez nous, à Ndayane. Nous sommes tous d’une seule et même famille. On a donc besoin les uns des autres pour partager les bons et mauvais moments de la vie », soutient Yacine Diouf.
A son avis, la solidarité n’a pas de frontière et s’exerce en priorité entre voisins. « Quand un décès survenait, la famille attristée recevait des hôtes venus de partout et les nourrissait pendant quarante jours. Mais, dans ces moments difficiles, ils n’étaient jamais seuls. Chaque habitant apportait un présent : sucre, café, lait, pain, riz, chacun selon ses moyens », indique Ndèye Yacine Diouf.
Aujourd’hui, beaucoup de pratiques qui ont rythmé la vie des Ndayanois ont disparu. C’est le cas du « Ngomar » qui consistait, selon Ndèye Yacine Diouf, à festoyer pendant un mois pour préparer le mariage d’une fille du village.
« Avant, la bonté et la générosité d’une jeune fille mariée se mesuraient par le nombre de pagnes que l’on nouait de maison en maison jusqu’à son domicile. Dans chaque maison, on sortait un pagne que l’on rattachait d’un bout à l’autre, même si la distance devait faire dix kilomètres. Quand la fille était d’un mauvais caractère, elle ne bénéficiait pas de cet honneur. C’était un symbole de reconnaissance », raconte- t-elle.
En revanche, le partage de la noix de cola entre les personnes âgées est toujours de rigueur. « Jusqu’à présent, cette pratique s’exerce à Ndayane. Il arrive qu’une personne aille d’un bout du village à l’autre pour amener un quartier de cola à un oncle, une tante ou un grand-père. Cela permet de raffermir les liens », fait savoir Ndèye Yacine Diouf.
À Ndayane, le mariage est plus que sacré. À l’heure où la transmission des valeurs entre mères et filles est devenue de plus en plus difficile, les femmes de ce village ne plaisantent guère avec les règles de bienséance qui régissent la vie en société.
« Les parents ont le devoir d’enseigner les bonnes manières à leurs enfants, notamment les règles de la politesse, de l’honnêteté, le respect d’autrui, le sens de la famille, le goût du travail, le courage, la tolérance, le respect, la générosité, la foi en Dieu, la loyauté », rappelle Ndèye Yacine Diouf.
Selon elle, la femme est l’âme de la maison, celle qui crée l’atmosphère.