''IL FAUT ÊTRE RÉALISTE QUAND ON VEUT ÊTRE SUIVI DANS SES PROPOSITIONS''
PR ISMAÏLA MADIOR FALL, SUR L'AVANT-PROJET DE CONSTITUTION
Dans la suite de l’entretien, Pr Ismaïla Madior Fall énumère les irrecevabilités de l’avant-projet de Constitution de la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) : «La possibilité pour le Président qui fait deux mandats d’attendre le déroulement d’un mandat et de revenir faire un troisième, manque de pertinence. La présidence du Conseil supérieur de la magistrature par le président de la Cour constitutionnelle est inappropriée. L’attribution d’un mandat de 5 ans au président de l’Assemblée est une question délicate dans le contexte politique actuel.» Bref, souligne-t-il, à l’endroit de Amadou Makhtar Mbow et son équipe, «il faut être réaliste quand on veut être suivi dans ses propositions».
Quelles autres innovations trouvez-vous non pertinentes ?
Toujours sur le registre présidentiel, la possibilité pour le Président qui fait deux mandats d’attendre le déroulement d’un mandat et de revenir faire un troisième, voire un quatrième mandat (article 58), manque de pertinence. C’est un recul par rapport à l’inexistant.
En ce qui concerne le gouvernement, la fixation de ses membres à 25, alors que l’actuel gouvernement dépasse ce nombre, montre que ce n’est pas réaliste. Or il faut être réaliste quand on veut être suivi dans ses propositions. Sur le principe de la limitation, on peut être d’accord même si ce n’est pas courant dans les démocraties.
Mais pourquoi pas 30 ou 35 ou 40 ? Et si l’expérience incite à revoir le nombre à la baisse, que faire ? Dans le même ordre d’idées, la reproduction de certains principes constitutionnels nés dans le contexte de pays instables en Afrique -codification de la cohabitation comme c’est le cas au Niger- (article 76) n’est pas justifiée dans le contexte du Sénégal qui n’a jamais connu ce problème et a une culture politique plus apaisée.
En ce qui concerne l’Assemblée nationale, l’imposition brutale du scrutin majoritaire à deux tours pour l’élection des députés (article 81) à la place de l’actuel qui garantit la stabilité politique est incompréhensible.
S’agissant du pouvoir judiciaire, la présidence du Conseil supérieur de la magistrature par le président de la Cour constitutionnelle (article 106) est inappropriée dans le contexte actuel du Sénégal, ce qu’il faut, c’est plutôt un élargissement de la composition du Conseil, mais en le faisant toujours présider par le président de la République.
Ensuite, la diversification des autorités chargées de la désignation des membres de la Cour constitutionnelle (article 108) n’est pas un gage de la qualité des membres de la Cour, avec un risque de reproduction des clivages politiques dans l’institution ; l’élection par ses pairs du président de la Cour constitutionnelle (article 108) n’est pas forcément une bonne solution car faisant dépendre celui-ci de ses collègues ; la saisine de la Cour constitutionnelle par toute personne physique ou morale va provoquer l’engorgement de la Cour (article 109).
La constitutionnalisation des autorités administratives indépendantes et organes consultatifs autres que le Conseil économique, social et environnemental et le Haut Conseil des collectivités est superflue, surcharge la Constitution et rend difficile leur adaptation au contexte changeant. Il y a donc beaucoup d’autres problèmes techniques que pose l’avant-projet de Constitution, sur lesquels on peut encore discuter.
Que vous inspire le cas du mandat du président de l’Assemblée nationale qui est porté à cinq ans?
L’attribution d’un mandat de 5 ans au président de l’Assemblée est une question délicate dans le contexte politique actuel. C’est une question qu’il convient d’aborder avec prudence. Trois solutions peuvent être envisagées.
Première possibilité : inscrire définitivement le statu quo qui a l’avantage de généraliser le mandat d’un an pour tous les membres du bureau, y compris le président de l’Assemblée nationale.
Deuxième possibilité : accepter la mesure en envisageant son application à la prochaine législature.
Troisième possibilité : attribuer au Président un mandat de 5 ans en aménageant au profit des députés la possibilité de le destituer lorsqu’ils ne veulent plus de lui.
Par quelle voie, éventuellement, ces propositions devraient-elles passer, parlementaire ou référendaire ?
Il faut rappeler un principe général et un principe particulier. Le principe général, c’est que c’est le président de la République qui définit librement la politique constitutionnelle du Sénégal conforme à sa vision politique et qui lui permet de respecter les engagements pris auprès du Peuple sénégalais.
Et le principe particulier c’est que, dans le cadre de cette présente réforme, le décret créant la Cnri ne permet qu’une modification de la Constitution et non l’adoption d’une nouvelle Constitution.
A partir de là, les choses sont claires : il appartient au président de la République d’intégrer, dans le cadre d’un projet de révision de la Constitution en vigueur, l’ensemble des innovations qu’il trouve pertinentes à intégrer dans le dispositif constitutionnel du Sénégal. Cette révision peut, à sa guise, se faire soit par voie parlementaire ou référendaire.