IL Y A UNE TAUPE À LA PRÉSIDENCE
MALICK NDIAYE (MINISTRE-CONSEILLER SPÉCIAL)
Dans cet entretien accordé à EnQuête, le sémillant sociologue distille ses vérités et choisit ses cibles dans un contexte politique qui commence à devenir lourd.
Vous dites que la déclaration de politique générale de Mimi Touré est meilleure que celle de son prédécesseur Abdoul Mbaye. Quelle est la nuance ?
La nuance que partagent mes camarades est la suivante : nous sommes engagés dans le programme Yoonu Yokkute qui est aujourd’hui décliné par Mme Aminata Touré. Avant, c’était un plan, là il s’agit d’un programme. Le plan ressemblait à un catalogue, une juxtaposition de points destinés à accrocher le public. Au moment de l’application, on s’est trouvé devant le cas Abdoul Mbaye. Il (Abdoul Mbaye) n’a pas réussi parce qu’il n’y avait pas d’esprit articulé dans le plan. Ce que Mimi Touré apporte, c’est le passage du catalogue au programme. L'un part de l’économie vers la société, alors que l'autre part des besoins des sociétés pour aller vers l’économie. C’est capital.
Toujours est-il que ces deux DPG restent à l’état de théorie.
Ah non ! On n’est pas dans le cadre de la théorie, nous sommes dans le cadre de la mise en œuvre. Par exemple, dans le plan de M. Abdoul Mbaye, banquier d’affaires, le prêt n’est pas destiné au développement mais à tirer un bénéfice. Avec Mimi Touré, vous avez des structures de financement comme le Fongip pour les PME, vous avez des coopératives agricoles, le Fonsis. Donc, le passage d’Abdoul Mbaye à Mimi Touré correspond à un glissement des milieux d’affairistes vers les milieux productifs où les problèmes de financement sont posés avec urgence.
Vous assimilez la transhumance à un ‘’cancer’’ qui est en train de gangrener Macky Sall.
Nous ne faisons pas de la transhumance une philosophie. Le malheur des transhumants, c’est qu’à la première heure, ils vont lâcher Macky Sall. Quelqu'un qui a pratiqué l’action citoyenne républicaine aux côtés de Macky Sall présentera de la résilience, c’est-à-dire de la résistance au choc.
Les audiences du président de la République à des pontes politiques obéiraient au souci d’un second mandat que la coalition Macky 2012 ne pourrait pas lui garantir...
A mon avis, Macky Sall est dans son rôle de recevoir qui il veut, qui il souhaite. Il est le Président de tous les Sénégalais. Il a reçu mandat du peuple sénégalais d’assurer la cohésion, mais la cohésion dans la vérité, dans l’éthique, dans le respect. Tous ceux qui ont eu des fonctions gouvernementales dans le passé et qui ont la volonté d’aider le chef de l’Etat, Macky Sall doit les recevoir. C’est vrai que certains membres de Macky 2012 sont frustrés.
Comme qui ?
Je ne peux pas donner des noms. Certains ont reçu des assurances formelles pour occuper des postes qui répondent à leur profil administratif – il y en a même qui sont là-sur la base des discussions qu’ils ont eues avec le président de la République lui-même. Ils ont, à mon avis, commis l’imprudence d’aller prévenir leurs familles, leurs épouses, leurs militants. Vous savez comment on fonctionne au Sénégal. Ces responsables attendaient leur nomination aux postes qui leur ont été promis. Et le soir, quand le Conseil des ministres donne ses résultats, en lieu et place de celui qui attendait de célébrer sa nomination avec sa famille, d’autres sont passés. Il y a eu un choc occasionné par une méthode qui n’était pas forcément la meilleure.
Ne doit-on pas rompre avec cette conception clientéliste de la politique ?
Ce n’est pas du clientélisme. Le Conseil des ministres a pour fonction de procéder à certaines nominations sur proposition. Dans une université, on dépose des dossiers de candidature ; dans l’Etat, il y a des fonctions politiques, civiles et militaires auxquelles le président de la République a droit de nommer. Il n’y a pas de danger. Les frustrations de Macky 2012 sont réelles. Certaines franges se sentent brimées et cela peut les conduire à des excès. Il faut de l’honnêteté pour reconnaître que la gestion de l’après-victoire a occasionné de mauvaises batailles.
C'est quoi votre mission aux cotés du président de la République ?
Il faut savoir que depuis trois mois, je suis sur le terrain. J’ai fait tous les départements du Sénégal. Dans chaque département, j’ai sillonné des endroits stratégiques pour analyser les dynamiques non perçues au plan sociologique, historique, etc. Ce dont je m’honore, c’est de dire qu’à Bakel, nous devons mettre en valeur le fleuve qui créerait des emplois pour aller plus loin que les 500 mille emplois promis par le président Macky Sall. C’est pourquoi j’invite les prétendus ministres conseillers ou pas conseillers, qui ne travaillent pas, de raisonner en bâtisseurs de la nouvelle alternance. Tous ceux qui sont dans les rédactions et qui manipulent... (Il ne continue pas phrase). Parce qu’il y a une taupe à la Présidence.
Qui est cette taupe ?
Je ne le dirai pas. Une taupe, c’est celui qui est suffisamment déloyale dans une structure comme la Présidence pour diffuser dans la presse des bruits sur des choses qu’il fallait taire.
Faites-vous allusion au malaise qui a cours au Palais ?
Il y a des informations, eu égard à ma qualité de membre du cabinet du président, que je ne livrerai pas. Mon rôle, c’est de faire ce pour quoi je suis là-bas.
Que pensez-vous du départ de Jacques Diouf ?
C’est dans la presse que je l’ai appris. Je rappelle que Jacques Diouf a été candidat à la présidentielle (de 2012) avant de se désister. Quel que soit son grade, je ne le vois pas, à 75 ans, faire du chantage ou des choses de ce genre. J’en appelle à l’éthique de la gouvernance pour chacun plutôt que de faire de la médiation autour des prétendus départs.
Youssou Ndour a annoncé son départ de Benno Bokk Yaakaar. Avant lui, c'était Idrissa Seck. Comment entrevoyez-vous l’avenir de cette coalition ?
Je n’ai jamais pensé que Benno pourrait aller au-delà de la simple esbroufe. Les malheurs de Benno ne m’empêchent pas de dormir. Je constate que M. Youssou Ndour a repris des arguments de façon polémique alors que ce sont des arguments sérieux. Le fait que Benno ne puisse pas marcher résulte du fait que derrière la coalition, il y a les Assises nationales. Benno avait fonction dans le gouvernement pour militer à créer des conditions d’un putsch politique électoral, guerre de cabinet...
Macky Sall serait-il en danger ?
Le danger est permanent. Le rôle de veille et d’alerte de Macky 2012, c’est cela. Si Benno étouffe aujourd’hui, notre coalition y est pour quelque chose. Je le dis sans bravade.
Pourquoi ne voit-on plus certains leaders de Macky 2012, comme Ibrahima Sall, Moustapha Fall Ché, Jean-Paul Dias, à vos rencontres ?
Le problème est que la coalition Macky 2012 est organisée à la façon d’une fédération dont les différents organes qui, une fois que la conférence des leaders décide, peut prendre des décisions.
Mais cela engage-t-il tous les leaders ?
Oui, ça engage tout le monde. Lorsque la conférence des leaders se réunit, elle a autorité pour décider d’action et de conduite d’action. Ne vous inquiétez pas de l’absence des leaders. Ils viennent à tour de rôle. Vous avez suivi Jean-Paul Dias à propos de la candidature d’Aliou Sall à la mairie de Guédiawaye. La prétention de Macky 2012 est d’être l’organe de conscience de tous ces petits Poucet qui ont aidé le président de la République à arriver à la magistrature suprême. Et nous ne le lâchons pas. Il est clair que les manœuvres d’Ibrahima Sène du Pit ou les propos irrévérencieux du communiste en soutane, Mansour Sy Djamil, n’affectent pas le président Macky Sall.
Justement, le leader de Bés Du Ñakk n’a-t-il pas raison quand il compare l'Agence sécurité de proximité à une ‘’milice’’ ?
Non. Il est un peu perdu parce que le programme impulsé par Mimi Touré est en train de donner à ce pays les outils de son développement. Je comprends que ceux qui misaient sur des coups d’Etat de Palais et des révolutions en demi-teinte soient un peu perdus. Djamil est en train de positionner son bonnet ; or, un bonnet ne peut pas changer un pays...