IMPUNITÉ : DE DIOUF À MACKY
RAPPORTS HEURTÉS ENTRE L'ÉTAT ET LES FAMILLES MARABOUTIQUES
“Si l’Etat est fort, il nous écrase ; s’il est faible, nous périssons”. Cette phrase du philosophe français, Paul Valéry, pourrait bien inspirer nos autorités étatiques qui semblent désarmées face aux lobbies maraboutiques. La libération ultra-rapide de 19 individus présumés auteurs des casses contre Moustapha Cissé Lô par le régime de Macky Sall n'est qu'un maillon de la chaîne de démissions de l'Etat...
Ils sont sans doute nombreux à s’indigner lorsqu’ils ont vu les images de deux maisons et la boulangerie du député Moustapha Cissé Lô incendiés par des talibés en furie. Ils sont peutêtre encore plus en colère au regard de la tournure prise par cette affaire ce weekend et qui interpelle le pouvoir sur sa capacité à faire respecter l’Etat de droit sur toute l’étendue du territoire.
C'est la libération “sous contrôle judiciaire” des 19 présumés pyromanes. Le ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, a-til cédé aux pressions du Khalife général des mourides qui l’a reçu en audience ?
Dans tous les cas, certains en viennent à parler de “deux poids deux mesures” dans le sort que la justice réserve à des citoyens suivant leur affiliation sociale et/ou religieuse. Une situation qui est loin d'être nouvelle sous nos cieux. On l’aura vécue sous le régime d’Abdou Diouf. Ce dernier avait été accusé de procéder à des “sacrifices humains” par Serigne Moustapha Sy, le guide des Moustarchidina wal Moustarchidati. Dans le but de conserver son pouvoir. Les responsables socialistes y voyaient une “offense au chef de l’Etat”, mais le président Diouf ne réagit pas. C’était en 1992.
“Sacrifices humains”
Il a fallu attendre 1993 pour qu'il “coince” le marabout, arrêté à propos de l’affaire Me Babacar Sèye. Au cours d’un meeting organisé par l’opposition d’alors, il avait déclaré être en possession d'informations sur les “circonstances” de l’assassinat de l’ancien juge constitutionnel. A peine avait-il fini son speech qu'il avait été cueilli par les limiers pour audition. Un témoin de l‘époque confie : “Diouf en a profité pour solder ses comptes du passé et du présent avec le marabout (Moustapha Sy)”. Détenu pendant un an, le fils de Cheikh Tidiane Sy “al Maktoum” est ensuite libéré sans avoir été jugé.
Autre cas, celui de P. M. Diop, un promoteur immobilier à qui le président Diouf avait autorisé en 1990 à construire des cités à usage commercial. Une “caution” qui avait poussé de nombreux Sénégalais à souscrire à ce projet. Ce qui avait permis à cet homme d’affaires de récolter “des centaines de millions de francs”. Malheureusement, les souscripteurs n'ont jamais vu les clés de leur maison encore moins la couleur de leur argent.
Diouf et le “promoteur immobilier véreux”
De guerre lasse, ils portent plainte contre ce promoteur immobilier appartenant à la confrérie layène. L’affaire mit le président de la République dans tous ses états, confie une source digne de foi. “C’est Diouf lui-même qui a donné l’ordre à la gendarmerie de le cueillir. Lorsque les gendarmes ont débarqué chez lui aux Almadies, il a pris la fuite pour se réfugier au domicile du Khalife général des Layènes”, raconte notre interlocuteur. “Après plusieurs jours de siège du domicile du Khalife par les forces de l’ordre, Malick Diop sera ex-filtré, avec la complicité de hautes autorités du régime (socialiste). Il va ensuite quitter le pays pour la France pour ne plus revenir”. Le temps certainement que l’affaire soit frappée de prescription.
Wade/Sidy Lamine, une affaire de 400 millions
Mais c’est sous le régime de Wade que l’impunité des chefs religieux sera érigée en règle. Connu pour sa proximité avec Touba, l’ancien président avait fini par affaiblir les institutions de la République sous l’autel des lobbies maraboutiques. A preuve : le saccage des locaux de Walfadjri mis à sac par des talibés de Serigne Modou Kara Mbacké en 2009. Ces derniers réagissaient suite à un article paru dans Walf quotidien concernant leur marabout. Le patron du groupe, Sidy Lamine Niasse, n'avait pas tardé à s'en prendre au chef de l’Etat.
“J’accuse le Président Abdoulaye Wade d’être le commanditaire de tous ces déboires. Je ne parle pas de Serigne Modou Kara encore moins d’une autre personne. C’est le Président Abdoulaye Wade, C’est Abdoulaye Wade, C’est Abdoulaye Wade”, avait-il martelé. Aucune suite judiciaire ne sera donnée à cette affaire. Au contraire, Me Wade, en catimini, remit à son accusateur une somme de “400 millions de francs Cfa” en guise de “dommages et intérêts”. Le régime libéral fera aussi montre de la même indulgence vis-à-vis des talibés de Cheikh Béthio après une agression sauvage en 2006 contre le correspondant de la radio RFM à Mbacké. Les protestations de la corporation n’y feront rien.
Idrissa Seck et Aminata Touré, les apparences sauves
En revanche, la République aura été sauve par moment face à cette toute puissance maraboutique. L’épisode sombre de Khadim Bousso en est une illustration. Cet homme d’affaires avait en effet été retrouvé mort en mai 2003, avec une balle dans la tempe alors que les éléments de la Brigade d’intervention polyvalente tentaient de l’arrêter. Condamné pour “escroquerie” et écroué suite à une affaire l’opposant à la banque Bicis et portant sur un montant de 2 milliards de F CFA, le marabout s’était évadé du pavillon spécial où il était interné et prit la direction de Touba pour refuge. Le Premier ministre d’alors, Idrissa Seck, avait ordonné son arrestation en dépit des pressions...
Cette même détermination avait été affichée par l’ancienne ministre de la Justice, Aminata Touré, à la suite de la mort de deux talibés de Béthio Thioune à Médina Salam, près de Mbour. Le guide des Thiantacounes, accusé de complicité de meurtre, a été arrêté et emprisonné pendant plusieurs mois. Il bénéficie actuellement d'une liberté provisoire en attendant d'être jugé devant une cour d'assises.