JAMMEH REMET ÇA
Pour juguler la crise économique, le Président gambien a, comme en 1996, inondé son pays de nouveaux billets de banque. Mais cette fois, les coupures portent son effigie
Alors que le Dalasis est en chute libre sur le marché du taux de change à Banjul, l’homme fort du pays a demandé à la Banque centrale gambienne d'imprimer de nouveaux billets de banque, frappés de son effigie, avant de retirer progressivement les anciens billets en circulation.
Face à la crise économique qui secoue son pays, Yahya Jammeh vient d’inonder la Gambie de nouvelles coupures de Dalasis. Et c'est mercredi dernier que les nouveaux billets de banque ont officiellement été mis en circulation.
L’on note surtout l’apparition d’un nouveau billet de 20 Dalasis, frappé de la tête du dictateur, pour remplacer le très populaire 25 Dalasis, condamné à disparaître selon un communiqué officiel diffusé le même jour par le State House, le palais présidentiel gambien. Le même communiqué révèle que la cérémonie marquant le lancement de la nouvelle monnaie a également été l'occasion d'introduire un nouveau billet de 200 Dalasis.
Les nouveaux billets sont de plus petite taille que les coupures ayant cours jusqu'ici. Les anciens billets continueront légalement à circuler jusqu'à leur retrait total dont la date n’a pas encore été révélée. Dans le communiqué diffusé par le palais de Banjul, le Président Jammeh a exhorté les Gambiens à s'approprier les nouveaux billets de banque et à les manipuler avec soin. Le communiqué de Jammeh précise que c'est pour se familiariser avec les nouvelles coupures, afin d'aider à assurer leur protection contre la contrefaçon.
Mais le moment choisi par le Président gambien pour mettre en circulation sa nouvelle monnaie n'est pas un hasard.
La relation ludique entre Jammeh et les billets de banque
En 1996, alors que l'économie de la Gambie était au bord de l'effondrement du fait des sanctions imposées par les bailleurs de fonds et la communauté internationale après le coup d'Etat contre Dawda Kairaba Jawara, le capitaine Yahya Jammeh qui cherchait à sauver ce qui pouvait l'être, avait su trouver une parade identique. Il avait alors fait émettre de nouveaux billets de banque qui avaient inondé le marché financier gambien. Le prétexte évoqué par Jammeh était qu'il fallait enlever l'effigie du président Jawara des coupures du Dalasis. L'économie obscure et parallèle fermement maîtrisée par la junte d'alors avec des faiseurs de miracles américains et iraniens avaient permis à la junte de traverser la tempête des sanctions avec relativement moins de dégâts.
Maintenant que l'économie gambienne est paralysée par les faibles arrivées de touristes, les mauvaises pluies, la mal gouvernance, la corruption, le clientélisme et l'instabilité politique, Jammeh a finalement opté pour la vieille méthode, même si elle doit contredire ses déclarations de 1996 selon lesquelles, “le visage d'un président gambien ne saurait à lui seule accaparer la devise nationale commune à tous les Gambiens”. Et pour atténuer cette contradiction, Jammeh a une nouvelle fois retrouvé son manège.
Une économie à la peine, une inflation inquiétante, des réserves qui se rétrécissent
Officiellement, ce sont les célébrations du cinquantenaire de la République de Gambie qui expliquent l'émission de ces nouveaux billets qui vont inonder le marché du liquide à Banjul. Mais la situation est plus grave et complexe que Jammeh ne voudrait le faire croire. En effet, la Gambie traverse la pire crise économique de son histoire. Le Dalasis, objet de spéculation incroyable sur les marchés et autres boutiques en Gambie, chute vertigineusement face à des devises étrangères telles que le CFA, le Dollar ou la Livre sterling. Il y a deux ans par exemple, 5000 F CFA étaient échangés contre 265 Dalasis au marché noir mais aujourd'hui, 5000 F CFA s'échangent contre 370 Dalasis. Il y a un an, le dollar qui s'échangeait entre 35 et 37 Dalasis vaut aujourd'hui 43 alors que l'Euro qui valait entre 40 et 42 Dalasis en est aujourd'hui à 48.
De l'aveu même du gouverneur de la Banque centrale gambienne, Amadou Colley qui tenait une conférence de presse, mercredi, sur la conjoncture économique de son pays, les réserves de change détenues par la Banque centrale sont tombées à 11,9 pour cent en 2014, ce qui est inférieur au taux de 28,1 pour cent, un an auparavant. Amadou Colley a ajouté que cette situation a provoqué la contraction des avoirs extérieurs nets de la Banque centrale gambienne de 47,4 pour cent en 2013. Or, cette contraction, dit-il, était seulement limitée à 17,7 pour cent en 2013. Le gouverneur Colley a aussi indiqué que l'indice national des prix à la consommation a augmenté à 6,9 pour cent en décembre 2014, contre 5,6 pour cent en décembre 2013. Le taux de l'inflation a augmenté pour atteindre 8,43 pour cent en décembre 2014 contre 6,72 pour cent décembre 2013, selon le gouverneur Amadou Colley.
Pour rappel, l'année dernière, le gouvernement gambien à la quête désespérée de devises étrangères pour renflouer ses réserves, a tenté d'imposer une hausse doublée d'un paiement en franc CFA de la traversée du bac de Bamba Tenda-Yilli Tenda aux chauffeurs et autres passagers. Ce qui provoqua l'ire des chauffeurs sénégalais qui optèrent pour un boycott de la Transgambienne. L'économie gambienne avait péniblement encaissé le choc obligeant les autorités de Banjul à revoir leur copie et à revenir au statu quo. Au même moment, des rafles systématiques étaient menées dans les centres des grandes villes gambiennes pour tenter de récupérer les devises étrangères très cotées sur le marché noir.