JE DIRAI À TA MAMAN…
"Tu n’es quand même pas seul comptable de cette gabegie extraordinaire. Tous ces parlementaires qui, sans sourciller, ont donné un blanc seing à tous tes projets de loi sur le Takkal ont un devoir de reddition"

Excuse-moi de te vouvoyer mais mon propos n’est pas de t’affliger davantage, tu en as suffisamment sur la patate, en ce moment et je ne veux pas tirer sur l’ambulance. C’est juste que, moi aussi, je résiste mal au besoin impérieux de rechercher l’éclairage dont le Plan, que tu nous a vendu si cher, a manqué cruellement. Et comment !
C’était un programme d’ «urgence» mais qui, nous disais-tu, visait à sortir définitivement le pays de la crise énergétique. Le truc c’est que ton programme s’est révélé être un trou sans fond qui aura englouti près de 1000 milliards de nos pauvres deniers sans que le problème ne soit réglé. Ok, soyons raisonnable, ça nous a « juste » coûté la bagatelle de 653 milliards de FCfa.
Le paradoxe c’est que c’est quand même dans un fonds (Fonds de soutien à l’énergie (FSE)) créé par le décret 2011-161 du 28 janvier 2011, que tout cet argent, une véritable armada financière, a été recueilli et garanti par l’Etat et pour cause.
Ton programme a obligé cet Etat à se tirer plusieurs balles dans le pied, en pompant dans les caisses de ses émanations notamment à travers des ponctions sur les budgets ministériels. Si ce n’était que ça.
Aucun secteur de la vie économique n’a échappé à cette boulimie financière qui restera à vrai dire dans les annales. Prélèvement sur les importations à travers le décret 2011-167 du 3 février 2011 instituant une taxe de «Contribution au développement du secteur de l’énergie» (CDSE) qui augmente de 100% le taux du prélèvement sur la valeur en douane des marchandises importées par voie maritime (de 0,2% à 0,4%) au profit du Conseil sénégalais des chargeurs (COSEC).
Cette taxe qui affecte 85% des ressources du Cosec au profit du Fse a fini de mettre cette structure dans une situation extrêmement difficile de trésorerie ; taxe parafiscale sur les hydrocarbures de 15 FCfa par litre d’essence, à travers les décrets 2011-170 du 03 février 2011, instituant une taxe dénommée «Prélèvement de soutien au secteur de l’Energie» (PSE), et 2011-171 portant modification des modalités de détermination des prix des hydrocarbures raffinés; taxe sur le chiffre d’affaires des opérateurs télécoms à travers le décret N°2011-311 du 07 mars 2011, affectant 95% des ressources du Fonds de développement du service universel des télécommunications (FDSUT) au FSE. Un véritable détournement d’objectif quand on sait le FDSUT avait été mis en place pour faire en sorte que les services de télécommunications couvrent l’ensemble du territoire.
La calculette commence à s’affoler et on pourrait se dire que la coupe est pleine, que nenni !
Car, même les projets de développement n’ont pas été épargnés dans la « tontine » abyssale organisée pour ton Plan.
Tiens, à travers la Loi de finances rectificative 2011, même des « réaménagements » avaient été apportés dans diverses lignes de crédits. C’est le cas de la ponction de 62 milliards sur les 92,5 prévus pour le prolongement de l’autoroute à péage de Diamniadio à AIBD-Mbour-Thiès. Une somme tirée de l’emprunt obligataire de 500 millions de dollars américains levés alors sur le marché financier international.
Sans compter d’autres crédits d’un montant de 114 milliards de francs Cfa qui ont été absorbés par ton Plan Takkal, qui en demandait encore. Dans une lettre d'intention adressée au FMI le 2 décembre 2011, Abdoulaye Diop alors argentier de l’Etat dont on imagine les acrobaties auxquelles il a dû se livrer pour satisfaire ton Plan, a été contraint de « mendier » une rallonge de prêt de 14 milliards de FCfa (21,4 millions d'euros) afin d'en boucler le financement. L'État avait ainsi sous-estimé le coût d'acquisition de deux centrales électriques de 70 mégawatts montées sur barge.
Je ne veux pas t’ennuyer avec mes chiffres mais juste rappeler qu’en démarchant ainsi le Fmi, tu réussissais du même coup à mobiliser pour le closing financier de ton programme, une demi-douzaine de bailleurs de fonds, dont l’Agence française de développement (40 milliards de FCfa pour la réhabilitation effectuée par le français EDF, la Banque mondiale, la Banque islamique de développement, la Banque ouest-africaine de développement… La Banque africaine de développement, elle, cogitait encore tandis que Banque Atlantique Sénégal avait, de son côté, accordé un prêt de 34 milliards de FCfa pour payer les fournisseurs. Faut le faire !
En gros, avec un pactole de 653 milliards de FCfa, ton programme était destiné à financer l’acquisition de groupes conteneurisés pour un montant de 27 milliards, un projet de construction d’une centrale de la SENELEC à hauteur de 23 milliards F Cfa et la location de groupes électrogènes à 12 milliards, entre autres. Sauf que Takkal prévoyait également, en dehors de la location de groupes, la location de deux barges pour venir en appui à la Senelec. Un dossier estimé à 80 milliards de F Cfa soi 40 milliards de F Cfa par barge et dans lequel, on ne sait d’ailleurs toujours pas pourquoi, tu as impliqué l’Apix.
Je me doute bien que la coupe est pleine pour toi, alors j’arrête un peu avec les chiffres, pour dire que… le pire est à venir.
La mal gouvernance qui a entouré la mise en œuvre poussive de ce Plan défie encore toutes les lois et tous les codes d’éthique, à travers des passations de marchés faites en dehors du champ du code des marchés publics en vigueur. L’acquisition du combustible, tout comme les opérations et la maintenance d’installations destinées à produire de l’énergie électrique, ont été à l’origine de curieux actes. Ceci avait engendré la modification de l’article 3 du code des marchés publics par un décret, sans en référer à l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP).
Ainsi, en l’espace de 6 mois, tu as capitalisé des marchés de gré à gré d’achat de produits pétroliers pour un montant de 115 milliards FCfa et réussi la « prouesse » d'un marché de gré à gré, avec le choix du géant sud coréen KEPCO, pour la réalisation d'une centrale à charbon à Sendou, d’un coût estimé à 300 milliards de F Cfa. Je dois à la vérité de dire que sur ce plan-là, tu peux être fier d’avoir fait des émules…
Je te le disais à l’entame de mon propos, je ne veux pas t’affliger davantage et si ça peut te rassurer, tu n’es quand même pas seul comptable de cette gabegie extraordinaire.
Tous ces parlementaires qui, sans sourciller, ont donné un blanc seing à tous tes projets de loi sur le Takkal, ainsi que le cabinet de consultance internationale Mc Kinsey qui a préparé ton plan, ont un devoir de reddition. Quand aux bailleurs qui ne se sont pas fait prier pour allonger tout ce blé qui nous pend encore au nez, qui aurait certainement pu servir à d’autres secteurs ; ces bailleurs, disais-je, qui sont loin de la philantropie « takkalienne », ce sont nous autres contribuables qu’ils vont prendre au collet pour récupérer leurs mises.
Vois-tu, c’est juste le motif (et pas des moindres) de mon propos.
Alors je dirais à ta maman que tu résiste… mal, à l’analyse de ton Plan qui a mis nos finances publiques au taquet, pardon au Takkal.