JE NE SUIS PAS CHARLIE
Charb et ses acolytes n’étaient pas exempts de reproche dans leur façon de jouir de leur liberté d’expression ; ils transgressaient certaines limites et offusquaient impunément la communauté musulmane
La France, voire l’Europe, vit aujourd’hui un drame collectif et une tragédie d'une ampleur démesurée. Son peuple n’en finit pas d’être traumatisé par l’assassinat sordide du gratin de la rédaction du journal satirique français Charlie Hebdo dont le directeur de la rédaction et dessinateur, Charb, le directeur artistique et dessinateur, Cabu, les dessinateurs Tignous et Wolinsky et le journaliste antilibéral Bernard Maris et par l’exécution froide de quatre juifs dans une épicerie casher.
Ceux qui ont perpétré ces tueries prétendent avoir agi au nom du prophète Mahomet (PSL), tourné systématiquement en dérision par Charlie Hebdo. Après presque deux jours de traque, les frères Kouachi et Amedi Coulibaly ont été abattus les armes à la main par les éléments du Raid (Recherche, assistance, intervention, dissuasion) et du Gign (Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale).
Les messages de soutien pour compatir à la douleur des Français venant du monde entier n’ont cessé d’affluer vers l’Elysée. Et le point d’orgue a été le rassemblement des centaines de milliers de Français et de plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement ce 11 janvier à la place de République à Paris dans le but de faire un front uni contre le terrorisme et de défendre la liberté d’expression.
Avant de balayer devant la porte de l’Elysée…
Ainsi tout le monde était Charlie même si parmi ces personnalités étatiques, il y en a qui continuent de mettre des journalistes ou des opposants en prison dont le seul tort est de ne pas partager leurs schémas de pensée.
Mais avant d’aller balayer devant la porte de l’Élysée, certains de ces personnalités très controversées en l’occurrence le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, le président de la République gabonaise, Ali Bongo, le président béninois, Yayi Boni, le roi et la reine de Jordanie Abdallah II et Rania, le chef du gouvernement hongrois, Viktor Orban, le ministre des Affaires étrangères égyptien, Sameh Choukryou, encore Naftali Bennett, ministre de l'Economie israélien, doivent regarder les siennes.
Ces derniers feraient mieux de s’auto-appliquer chez eux les principes et valeurs qu’ils sont allés défendre à Marianne. Yayi Boni n’a-t-il pas interdit de parution le journal "Le Béninois libéré", moins virulent que Charlie Hebdo ? Même ses directeurs, Aboubacar Takou et Eric Tchiakpè, se sont par ailleurs vu interdire, jusqu’à nouvel ordre, l’exercice de la profession de journaliste ainsi que la création d’un organe de presse au Bénin. Leur crime de lèse-majesté, c’est d’avoir distillé des écrits incendiaires, des propos discourtois qui visent à détruire la République et mettre à mal les relations entre le Bénin et les pays membres du Conseil de l’Entente (organisation de coopération sous-régionale regroupant le Bénin, Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Niger et le Togo).
En décembre 2011, le journal avait, en effet, tourné en dérision la réunion à Cotonou des chefs d’Etat de l’organisation régionale dans un article intitulé "Conseil de l’Entente : Du vent !" en disant que "Cotonou a servi de cadre à un club d’amis mal élus qui se sont retrouvés pour se féliciter chacun pour sa brillante élection".
Ali Bongo-Ondimba, qui condamne larme à l’œil la mise en charpie de Charlie, est le premier fossoyeur de la liberté d'expression et de la presse au Gabon. Alors que la liberté de la presse gabonaise est menacée, la liberté des opinions interdite, les opposants sont bâillonnés par une confiscation des médias d'Etat. Les journalistes Jonas Moulenda, directeur de publication des journaux hebdomadaires Echos du nord et Faits divers et Désiré Ename, le directeur de la rédaction, sont pourchassés et contraints à l’exil forcé en France, pendant que Francis Edou Eyene, ancien présentateur des journaux à la radio panafricaine Africa n°1, croupit en prison.
En Hongrie, le Président Viktor Orban a fait voter en 2010, une loi restrictive sur les médias qui donne au gouvernement un contrôle étendu sur l'information. En Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan s'est récemment illustré par une kyrielle d’arrestations contre les médias opposants.
La Jordanie a bâti sa réputation dans l’arrestation des journalistes jugés dissidents. La censure est devenue la règle en Russie. En Egypte, Mohamed Fadel Fahmy, Peter Greste et Baher Mohamed, trois journalistes de la chaîne qatarie Al-Jazira, accusés de soutien aux frères musulmans ont été condamnés en juin 2014 à des peines carcérales allant de sept à dix ans. Et le mieux placé de ces pays susnommés au classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters Sans Frontières occupe la 148e place sur 180.
Ce serait un truisme de dire que l’Etat hébreu fait de l’extermination quotidienne du peuple palestinien son jeu favori. D’ailleurs dans la délégation israélienne, il y a annoncée dans le cortège le sanguinaire ministre de l'Economie, Naftali Bennett, par ailleurs chef du parti de la droite sioniste religieuse "Foyer juif", qui avait défrayé la chronique en 2013 en déclarant : "j’ai déclaré beaucoup d’Arabe dans ma vie. Et il n’y a aucun problème avec ça".
Oui, c’est cela la logique de l’Occident, quand on zigouille quatre juifs, c’est l’émoi total, c’est un deuil national mais quand on écrabouille des milliers de palestiniens, c’est normal puisque leur vie ne vaut pas plus qu’une roupie de sansonnet. Quand on raille les juifs, les politiques français avec leurs suppôts juifs, terroristes de la plume, se déchainent. L’humoriste Dieudonné, lui qui a été interdit de spectacle jugé antisémite par le ministre de l’Intérieur de l’époque Manuel Valls et appuyé ses amis du Conseil constitutionnel, en sait quelque chose. Quand leurs synagogues ou leurs nécropoles sont profanés, toute la République s’indigne ou se rend sur lesdits lieux.
Mais si c’est une mosquée qui est attaquée ou des musulmanes qui sont dévoilées dans la rue, un simple communiqué condamnatoire est largement suffisant. Et ce traitement à géométrie variable des citoyens d’un même pays avec leurs différences culturelles et religieuses qui fait le lit des frustrations et des amertumes mortifères.
Il ne manquait à ce rendez-vous universel historique que les leaders coréen, Kim Jong-un, érythréen, Issayas Afewerki, gambien, Yaya Jammeh, syrien, Bachar El Assad, et les monarques arabes pour compléter cette belle brochette personnalités réunies pour sauver la liberté d’expression menacée par les terroristes djihadistes.
Je ne serai pas Charlie…
C’est ici le lieu d’affirmer sans circonlocution hypocrite que je ne suis pas Charlie si être Charlie, c’est verser dans la provocation ou la saillie des croyances religieuses. Charb et ses acolytes n’étaient pas exempts de reproche dans leur façon de jouir de leur liberté d’expression ; ils transgressaient certes certaines limites et offusquaient impunément la communauté musulmane.
La liberté d’expression ne va pas jusqu’à insulter le prophète d’Allah auquel croient des centaines de millions d’individus éparpillés dans tous les continents.
Contrairement aux médias français, certains journaux américains comme le Wall Street Journal ou encore le New York Times ont censuré les dessins de Charlie Hebdo parce que leurs règles éthiques leur interdisent de publier des images destinées à heurter les sensibilités religieuses. Même le Jyllands Posten, quotidien danois à l’origine des caricatures de Mahomet, n’a pas repris les dessins de Charlie Hebdo. Alors que l’hebdomadaire français n’avait pas hésité à reproduire, en 2005, celles qui avaient provoqué les menaces d’Al Qaeda à l’encontre du journal danois et qui avaient aussi valu un "wanted dead or alive" à Charb.
Beaucoup de personnalités politiques et intellectuelles françaises qui pleurent Charlie aujourd’hui l’avaient chapitré en 2005 pour les mêmes raisons. Eh oui, les morts n’ont jamais tort.
L’Islam, fonds de commerce de Charlie
Et pourtant les agnostiques de Charlie jouissant de leur liberté d’expression n’ont jamais tenu compte de la liberté de croyance des autres. Déficitaires et près de la faillite, ils ont fait de l’insulte au prophète Mahomet un fonds de commerce, puisque leurs numéros titrant railleusement sur Mahomet sont tirés à plus de 400 mille exemplaires pour un journal qui ne parvenait plus à vendre 30 mille dans un pays de 55 millions d’habitants.
En effet, dans son numéro du 8 février 2006, Charlie Hebdo publie effectivement la série des douze caricatures danoises. En 2011, le journal satirique impudent et imprudent réactive son dada en annonçant un numéro spécial intitulé "Charia Hebdo", dont le prophète de l’Islam, rédacteur en chef invité, est cette fois représenté avec morgue en couverture. La coupe était pleine pour que les locaux de Charlie Hebdo soient incendiés par ceux qui se sentent offensés par cette provocation enrobée dans la camisole de la liberté d’expression.
Le 19 septembre 2012, le numéro de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo va faire parler de lui en faisant sa "une" sur les violences liées au film islamophobe (Innocence of muslims) et publiant de nouvelles caricatures du prophète Mahomet.
C’est ainsi que le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, s’était prononcé dans une interview sur la publication de caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo en déclarant que "la liberté signifiait aussi la responsabilité". Il ajoutait que "parfois la question n'est pas de savoir si on a le droit de faire quelque chose, mais de savoir si on doit le faire. La liberté d'opinion ne signifie pas le droit d'insulter ceux qui ont une autre religion ou une autre opinion et de troubler ainsi sciemment la paix publique".
L’humoriste Guy Bedos interrogé à l’époque par la radio Var-Matin sur Charlie Hebdo avait sèchement déclaré : "Charlie Hebdo, ce n’est pas mes copains. Qu'ils crèvent ! Ils ont pris des risques sur la peau des autres."
Dans le même sillage, l'ancien Premier ministre UMP, Alain Juppé, a jugé "irresponsable" la publication de caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo. Et 47% des Français jugeaient que "la publication risquait de provoquer de nouvelles tensions dans le contexte d’alors et n'aurait pas dû avoir lieu".
Et après l’assassinat des journalistes de Charlie, le rédacteur en chef du journal économique britannique, Financial Times, Tony Barber, a écrit que la ligne éditoriale du journal satirique français, était stupide et irresponsable avant d’être poussé par sa rédaction à édulcorer ses propos compte tenu du contexte d’horreur que vit la France.
Cette flopée de critiques qui abhorraient naguère et à juste raison les journalistes de Charlie Hebdo se noie aujourd’hui dans le concert de lamentations qui les sacralise. Voilà comment fonctionnent et infléchissent hypocritement les principes de ceux-là qui prétendent donner des leçons de liberté à la communauté des croyants. Mais en jouant avec la liberté de culte des musulmans, chrétiens ou juifs, ils ont hypothéqué leur vie.
Il faut noter que la violence d’essence religieuse n’est pas seulement l’œuvre des islamistes. Quand "The last temptation of Christ", film américain, réalisé par Martin Scorsese, sorti sur les écrans en 1988 en France, terre de la liberté d’expression, un groupe fondamentaliste catholique incendia une salle du cinéma à Paris, Espace Saint-Michel, pour protester contre la projection du film blasphématoire. Cet attentat avait fait quatorze blessés dont quatre sévères. D'autres incendies seront perpétrés à la salle du Gaumont Opéra ainsi qu'à Besançon. Un autre attentat du même groupe avait causé le décès d'un spectateur. C’est donc dire que la liberté d’expression des uns au risque de générer une violence mortifère ne doit pas empiéter sur la liberté de croyance des autres.
Aussi tout journaliste se doit-il de méditer ces propos de l’historien latin Salluste qui sonne comme un aphorisme : "Vouloir s’imposer à ses concitoyens par la violence physique ou psychologique, c’est violer odieusement leur liberté en mettant en péril la sienne". Malheureusement Charb et ses compagnons ne l’ont jamais compris jusqu’à passer de vie à trépas.