JE SUIS KENYAN
Où sont nos présidents-Charlie qui sont allés à Marianne pour sécher les larmes de François Hollande ? Où sont les médias africains qui ont fait leurs choux gras de Charlie pendant une semaine...
Le jeudi 2 avril 2015, quatre djihadistes appartenant au groupe islamiste somalien Al-Shabbaab franchissent le portail de l’Université de Garissa, ville située dans l'est du Kenya, à moins de 200 km de la frontière somalienne. Sans pitié, ils exécutent les deux gardes avant de se débarrasser d’un groupe d’étudiants priant matinalement à la chapelle universitaire. Pour terminer leur sale besogne, les shebab se réfugient dans l’un des quatre dortoirs du campus. Et pendant onze longues heures le commando islamiste massacre sans pitié les étudiants qui ont eu le malheur de se retrouver dans leur champ de tir ou d’être chrétien.
C’est le sauve-qui-peut qui souvent conduit à la mort. C’est l’horreur totale ! Le bilan macabre est effroyable : 148 morts dont la plupart de confession chrétienne. Suffisant pour que tous les chefs d’État d’Afrique se mobilisent les heures qui suivent pour dénoncer cette décimation estudiantine discriminante. Certes Bokko Haram fait pire au Nigeria mais les tueries des deux groupes terroristes ne sont pas de la même portée. C’est qu’à Garissa, les islamistes se sont attaqués à un domaine jusque-là épargné du terrorisme : il s’agit de l’Université, temple sacré du savoir et de la science où les étudiants n’ont que la plume ou l’ordinateur comme arme.
Les médias africains de même que ceux d’outre-Atlantique ont parlé faiblement de cette tragédie kényane, comparativement au traitement de faveur accordé à l’attaque de Charlie Hebdo qui a fait 17 morts. Le site breaking3zero.com révèle qu’aux USA, la tragédie de Charlie Hebdo avait été citée plus de 1400 fois en 24 heures dans les médias, juste après l'attaque des frères Kouachi. L'attaque de Garissa, elle, n'a été citée que 214 fois dans une même proportion de temps.
Où sont nos présidents-Charlie qui sont allés à Marianne pour sécher les larmes de François Hollande ? Où sont les médias africains qui ont fait leurs choux gras de Charlie pendant une semaine ? Où sont donc passés ceux qui défilaient en criant « je suis Charlie » et flétrissaient la barbarie islamiste ? Ce massacre d’étudiants reste un massacre quel que soit leur pays, leur épiderme et leur confession. Par conséquent, ils ont droit aussi à un hommage digne comme ceux de Charlie et du Bardo.
Les condamnations de certains présidents africains ne l’ont été que de principe. François Hollande a réussi après la boucherie de Charlie à occuper les programmes des médias français et internationaux pendant plusieurs jours avec à la clé le rassemblement de plusieurs de ses pairs venant de tous les coins de la planète.
Récemment avec l'attentat odieux perpétré le 18 mars 2015 au musée du Bardo à Tunis où deux français ont perdu la vie, le chef de l’exécutif français a réussi encore à mobiliser des chefs d’Etat pour marcher contre le terrorisme en montrant par ce geste, fût-il intéressé politiquement, qu’il compatit à la douleur des familles des compatriotes touristes tombés sous les balles des terroristes.
Quand un Français ou un Américain est assassiné, il faut mobiliser l’opinion internationale pendant des jours parce que, eux, leurs vies sacrées valent plus que celles des autres habitants de la planète. Mais celle des Africains vaut simplement une roupie de sansonnet. Alors on peut nous zigouiller jusqu’au dernier, ça n’émouvra personne à commencer par ceux qui nous dirigent.
Uhuru Kenyatta n’a pas daigné faire le déplacement à Garissa craignant peut-être que sur les lieux du massacre ne sont pas encore littéralement nettoyés des démons de la violence qui ont ôté la vie à 148 étudiants. Ce qui constitue un manque notoire de considération à l’endroit de ces nombreux morts et blessés qui sont tombés sous la furie des balles meurtrières des islamistes. Dès lors, comment les autres peuvent-ils compatir plus que les premiers concernés ?
Aucune condamnation officielle de l’Union africaine, ni du gouvernement de notre pays. On aurait salué unanimement une condamnation ou à défaut une compassion du président sénégalais à l’entame de son discours à la nation du 3 avril. Dans l’exorde de ses messages à la nation, y figure toujours «hôtes étrangers qui vivez parmi nous…». Alors, il aurait été plus convenant diplomatiquement de formuler publiquement des condoléances à l’endroit de ces quelques Kényans qui vivent parmi nous et dont le pays partage la même entité panafricaine que le nôtre. Mais c’est parce que les vies des 148 étudiants nègres tués ne valent rien devant celles des journalistes de Charlie ou des touristes français du musée du Bardo.
Et c’est dans une indifférence notoire à l’encontre de la famille des victimes kényanes que l’intrépide pape François a lancé une mise en garde à la communauté internationale face à tout ce qui pourrait être considéré comme une indignation à deux vitesses. «Je souhaite que la communauté internationale n'assiste pas muette et inerte à de tels crimes inacceptables, qui constituent une dérive préoccupante des droits humains les plus élémentaires» a-t-il déclaré, choqué, dépité.
Mais l’Afrique restera toujours l’Afrique. Quand le président Sarkozy déclarait ignominieusement dans l’auguste creuset intellectuel Cheikh Anta Diop que notre continent n’est pas encore entré dans l’histoire, il faut le prendre et le comprendre sous l’angle que nous, Africains, ne nous préoccupons jamais de nos maux mais de ceux de nos ancêtres les Gaulois. Entrer dans l’histoire, c’est prendre en charge toutes les problématiques qui se posent et s’imposent à nous et relever les défis qui obstruent le chemin de notre développement. Mais cela commence par penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes, agir par nous-mêmes et agir pour nous-mêmes.