JOINDRE L’ACTE À LA PAROLE
Il serait dommageable que le retard apporté à la mise en place de toutes les mesures d’accompagnement remette aux calendes sénégalaises, cette incontournable perspective d’autosuffisance en riz
Il faudra produire plus de 1 700 000 tonnes par an pour couvrir les besoins en alimentation en riz des Sénégalais, dont 30 % sont emblavés au Sénégal. A partir de quelle échéance, les producteurs de la Vallée du Fleuve et de la Casamance principalement, pourront-ils atteindre cette production ? Quels moyens techniques, humains, financiers sera-t-il nécessaire de déployer pour y arriver ?
C’est certainement autour de ces problématiques essentielles que doivent porter les approches sur la faisabilité de la salutaire perspective de nous auto-suffire en production d’une denrée si stratégique. Le problème, en réalité, porte moins sur l’échéance que les moyens qu’on devrait déployer pour y arriver.
Pour une fois, les querelles politiciennes devraient laisser place à une analyse croisée des spécialistes, et une large concertation pour optimiser les chances de gagner le pari de l’autosuffisance. Personne ne devrait perdre de vue son caractère vital pour notre économie.
Chaque année, plus de cent milliards de francs sont injectés dans l’importation du riz. Une saignée largement préjudiciable à notre balance commerciale au déficit si abyssal, sans doute. Mais certainement, un énorme dysfonctionnement structurel de notre économie, qui en plombe les principaux agrégats. En même temps qu’il nous confine dans une dépendance extérieure, qui nous met à la merci des fluctuations des bourses agricoles. Et au bout du compte dans une insécurité alimentaire chronique.
Hideux revers de la médaille, la perte de toutes les opportunités d’emplois, d’épargne, de financement des investissements par ressources internes, du fait de cette hémorragie financière qu’occasionnent les importations de de riz, de sucre et de lait entre autres. On pourrait à suffisance y ajouter toutes les autres filières extraverties qui empêchent et délestent notre économie de ses compétitivités, à partir de ses réalités endogènes.
Lors de sa récente tournée économique dans le Nord, le Président Macky Sall a posé des actes fertiles, qui encouragent la production de riz. La levée de la taxe sur le riz, la subvention de 20 milliards à accorder aux tracteurs et la possibilité de renforcer le crédit agricole et de l’élargir aux petits producteurs. Sans doute, les producteurs voudraient-ils qu’il aille plus loin en généralisant le crédit agricole, surtout, l’augmentation de la taxe de 10 % imposée aux importations de riz.
Et pourquoi, une politique sélective de quota, donnant la primauté au riz local. Il ne fait aucun doute que si ces mesures sont appliquées dans le cadre du scénario de production tracé par le brillant ministre de l’agriculture (accusé d’être le ministre du riz), l’autosuffisance sera atteinte. Peu importe en 2017, mais au moins avant 2025. Il s’agit donc moins de tendre vers une échéance fatidique aux relents politiques que de se donner les moyens et les conditions d’atteindre cet objectif.
C’est pourquoi on comprend mal que les proclamations gouvernementales en matière d’autosuffisance ne soient pas suivies au regard des complaintes des producteurs de riz de la Vallée. L’objectif fixé par le Président a soulevé espoir et scepticisme, après cette immense polémique sur la faisabilité de l’autosuffisance. Aujourd’hui, les réalités décriées par les producteurs et constatées sur le terrain par notre reporter, n’augurent rien de rassurant. Les mesures annoncées par le gouvernement pour soutenir le riz vont probablement prendre du temps à s’appliquer.
Et les problèmes structurels qui affectent la filière sont tenacement présents. Endettement chronique, crédit agricole inadapté, pauvreté des sols et faibles rendements, défaut de matériel agricole, disparition des rizeries de Richard Toll et Ross Béthio, inondations récurrentes alternées à des déficits pluviométriques, absences d’alternatives professionnelles pour les cultivateurs tentés par la diversification, difficultés de transports et de commercialisation, la liste facteurs de blocage est longue.
Après les espoirs soulevés par les promesses présidentielles, l’angoisse existentielle s’installe chez les riziculteurs. Sans doute faudrait-il du temps pour que les mesures gouvernementales prennent pied et corps. Mais il serait dommageable à cette filière que le retard apporté à la mise en place du dispositif et de toutes les mesures d’accompagnement remette aux calendes sénégalaises, cette incontournable perspective d’autosuffisance en riz. Les conséquences seraient aussi politiquement pour le gouvernement qu’économiquement pour notre pays.