KARIM WADE, SES AVOCATS, LE JUGE ET LE PROCUREUR
AUDITION DE L'ANCIEN MINISTRE À LA CREI
Sur les 61 questions posées jeudi dernier à Karim Meïssa Wade, lors de son audition dans le fond, 54 sont de la Commission d’instruction (Ci) de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) et 7 du substitut du Procureur spécial. En général, elles tournaient autour de son opinion sur le montage de telle ou telle société et la nature exacte de ses relations avec des témoins à charge, déjà entendus.
N’ayant manifestement aucune preuve palpable contre l’ancien ministre, malgré 19 commissions rogatoires et 80 auditions, les juges de la Crei après avoir «conclu» que Bibo Bourgi, son frère Karim Aboukhalil et Mamadou Pouye étaient les bénéficiaires économiques des principales sociétés supposées appartenir au fils de Wade, ont fini par lui demander si ces derniers n’étaient pas ses prête-noms.
Il l’avait promis, il l’a fait. L’ancien ministre Karim Wade qui passait le 3 avril dernier devant la Commission d’instruction (Ci) de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) n’a répondu à aucune question sur les 61 posées par les juges. Tout juste a-t-il consenti à leur délivrer une déclaration de 32 lignes.
Pour le reste de l’interrogatoire, le Président Cheikh Ahmed Tidiane Bèye et le procureur spécial Alioune Ndao n’avaient droit qu’à cette réponse : «l’inculpé garde le silence». Dès que les magistrats et les avocats de l’inculpé sont entrés dans la salle située au 5ème étage de l’immeuble B qui abrite la Crei à 12 heures 45 minutes, les conseils ont formulé une demande aux fins de report de l’interrogatoire pour la bonne et simple raison qu’ils n’ont pas pris connaissance de l’intégralité du dossier dans les conditions édictées par les dispositions de l’article 105 du Code de procédure pénale.
A 13 heures 4 minutes, le Président Cheikh Ahmet Tidiane Bèye et les membres de la Commission d’instruction ont regagné la salle d’interrogatoire après s’être penchés sur la demande qui venait de leur être faite. L’estimant non justifiée, ils l’ont rejetée.
Après cette étape, la Commission est passée à la première question axée sur les nombres d’actions et les sociétés dans lesquelles Karim Wade aurait des intérêts.
«JE NE PEUX PARTICIPER A UNE PARODIE DE JUSTICE»
C’est là que le fils de Wade commence à déverser sa bile en ces termes : «Monsieur le Président et les membres de la Commission, je vous remercie. Mes avocats vous ont saisis pour que soient respectées les dispositions de l’article 105 du Code de procédure pénale à savoir que «la procédure doit être mise à la disposition du conseil de l’inculpé 24 heures au plus tard avant chaque interrogatoire ou confrontation». Mes avocats n’ont pas l’intégralité du dossier et donc ne peuvent m’assister utilement, surtout que nous apprenons que Monsieur Mamadou Pouye a été entendu hier jusque tard dans la nuit et mes avocats n’ont pas pu avoir accès à sa déposition pendant 24 heures. Par ailleurs, je ne peux pas collaborer à la violation de mes droits et des droits de l’homme consacrés par la loi, les traités et conventions internationaux ratifiés par le Sénégal et une décision de la Cour de justice de la Cedeao. Vous êtes radicalement incompétents, car vous n’êtes pas mes juges. Je relève de la Haute Cour de justice. J’ai la certitude et la ferme conviction que je suis devant une juridiction politique qui ne garantit aucun droit à un procès juste et équitable. Je suis un otage politique des nouvelles autorités sénégalaises. Je suis un détenu politique.
Sur la première inculpation, la Commission d’instruction avait l’obligation, au bout de six mois, soit de rendre un arrêt de non lieu soit de saisir la juridiction de jugement, de sorte que le fait de m’interroger 12 mois après est une inégalité manifeste. En outre, alors que mes avocats consultent le dossier tous les jours depuis un an, c’est la presse qui annonce ma convocation devant la Commission d’instruction et mon renvoi devant un tribunal pour mon jugement qui me condamnera à une peine d’emprisonnement qui m’empêchera de me présenter à la prochaine élection présidentielle. Après toutes ces enquêtes menées depuis deux ans, vous n’avez aucune preuve ou charge contre moi. En réalité, vous n’avez jamais eu l’intention d’instruire sur la seconde inculpation et, pour preuve, mes avocats découvrent à l’instant, sur l’audience, que les deux procédures ont été jointes par une ordonnance qui nous a été notifiée il y a 5 minutes. Je ne peux donc répondre à aucune de vos questions et ne peux participer à une parodie de justice».
BIBO, BENICHOU, AHS SENEGAL, JULIUS BANK DE MONACO…
Faisant comme si de rien n’était, les juges poursuivent pour interroger Karim Wade sur la banque Warbourg, ses relations avec Bibo Bourgi, Sénégal Airlines, la banque Suisse où il a travaillé comme directeur associé, le recrutement d’Eli Manel Diop comme Directeur général d’Ahs Sénégal. La Ci a aussi demandé à l’inculpé s’il connaissait Paul Bénichou. Elle l’a également interrogé sur Abs Corporate Limited, les travaux qu’aurait effectués sa défunte épouse Karine Wade sur leur appartement à Paris, ce qui le lie réellement à Mamadou Pouye, Evelyne Riout Delattre, P atrick Williams, Cheikh Diallo, Delta Net dirigée par Mamadou Amar, Mamadou Diop de Cd Media Group, le fonctionnement des entreprises Cd Media Group et An Media, ses deux appartements à Paris, celui du 16ème arrondissement de Paris…
Cheikh Tidiane Bèye et Cie ont aussi voulu être édifiés sur Bmce Capital devenue Black Pearl Finance, Metinvest Equity Sa, Hardstand Sa, General Air Service, Dahlia Sa, les 2 482 137 dollars découverts dans son compte à Julius Bank de Monaco, etc.
LES BIJOUX DE LA DEFUNTE MADAME WADE
Les juges de la Ci se sont aussi intéressés aux bijoux de la défunte épouse de Karim Wade. Dans le coffre-fort au nom de l’inculpé, à la Société Générale Paris Madeleine, ils ont fait la liste des objets découverts et demandé à leur «invité du jour» s’il s’agissait de sa propriété.
Si la réponse est positive, ils demandent la provenance et les factures attestant de leur acquisition. Il s’agit: -d’une boîte violette et son emballage de marque Boucheron contenant un bracelet serti de pierres précieuses ;
-d’un étui bleu contenant une paire de boucles d’oreilles serties de pierres ;
-d’un étui cylindrique en cuir marron contenant une montre femme de marque Jaeger ainsi qu’une parure bracelet et boucles d’oreilles en métal blanc ;
-d’un étui cylindrique en cuir marron contenant une montre homme de marque Patek Philipe et une montre homme de marque Van Der Bauwede ;
-d’une boîte de marque Patek Philipe contenant une montre homme Patek Philipe ;
-d’un étui cylindrique en cuir noir contenant une montre homme de marque Radiomir Panerai, une montre homme de marque Luminor Automatic Panerai Automatic, une montre homme de marque Franck Muller ;
-d’une boîte Cartier rouge contenant une montre femme Rolex en métal jaune, une montre femme Vacheron Constantin en métal blanc, une bague en métal argenté sertie de pierres, une bague de marque Dinh Van et son étui, en métal argenté sertie de pierres, représentant deux anneaux entrelacés.
LES JUGES DEMANDENT A KARIM SI BOURGI ABOUKHALIL ET POUYE NE SONT PAS SES PRETE-NOMS
Les magistrats de la Ci ont par ailleurs interrogé Karim Meïssa Wade sur Ibrahim Aboukhalil dit Bibo Bourgi, Karim Aboukhalil et Mamadou Pouye. Ils ont souligné que ces derniers sont les principaux actionnaires déclarés ou bénéficiaires économiques des sociétés Ahs Sénégal, le groupe des sociétés Ahs établies en Afrique et au Moyen Orient, Abs Sa, à travers Abs Corporate Limited, Daport à travers Afriport, Black Pearl Finance à travers Met Invest Equity Sa et lui ont demandé si en réalité ces derniers ne sont pas ses prête-noms. Malgré le silence de Karim, la Ci poursuit pour demander s’il savait que Ibrahim et Karim Aboukhalil sont les principaux actionnaires ou bénéficiaires économiques des sociétés Hardstand Sa et Dahlia Sa. Toujours confronté au mutisme de l’inculpé, les juges ont enchaîné pour demander si Bourgi, Aboukhalil et Pouye ne lui ont pas servi de prête-noms pour monter les sociétés citées. Cheikh Tidiane Bèye et Cie se sont aussi penchés sur les résultats de la commission rogatoire internationale de Luxembourg qui a révélé que Karim Wade avait souscrit à une assurance vie de 842 923, 81 dollars Us. Ce qu’il faut préciser c’est que cette assurance vie d’environ 350 millions de francs Cfa a été souscrite auprès de la compagnie d’assurance Sogelife le 13 décembre 2002, donc bien avant que Karim Wade n’occupe des fonctions de ministre.