Kharakhéna, un village créé pour canaliser les prostituées
KEDOUGOU
Il faut éviter de revivre le drame de Diyabougou où le massacre entre Maliens et Burkinabè était dû à un manque de confiance entre deux orpailleurs de ces deux communautés qui se jalousaient à cause d’une fille de 16 ans. Et pour ce faire, les populations du village de Kharakhéna ont créé un quartier pour orienter les professionnelles du sexe.
Sur les sites d’orpaillage, tous les moyens sont bons pour se faire de l’argent : traite des enfants, banditisme, sacrifice humain et, surtout, prostitution. Ce dernier secteur est aujourd’hui bien investi par les femmes venues de tous les coins de la sous-région pour gagner leur vie à la sueur de… leurs charmes.
À Kédougou, la prostitution est ainsi devenue un métier très prisé. Les femmes -qui s’y adonnent- font la pluie et le beau temps dans les sites d’orpaillage communément appelés diouras. Et des orpailleurs, souvent sous l’emprise de la drogue et pris au piège du désir libidinal, sont à leur merci. Surtout qu’après les dures journées au fond des puits «d’or», ces messieurs n’ont que trois envies : manger et/ou boire, s’envoler en l’air avec une fille de joie et dormir. Seul moyen permettant d’entamer, en forme, la journée prochaine.
Parmi les partenaires disponibles dans les diouras, rares sont des jeunes filles. Parce que plus de 80% de ces prostituées sénégalaises très prisées qui fréquentent les sites d’orpaillage, sont des divorcées ou des diongoma (femmes mûres). Conscient du danger que représentent ces femmes, le fils du chef du village de Kharakhéna qui fait actuellement office de chef de village, en collaboration avec les sages, a créé ce nouveau quartier pour caser ces travailleuses du sexe. Une manière, dit Mady Keïta, jeune chef de village, de pouvoir circonscrire les problèmes qui découlent de ces nombreuses rencontres nocturnes entre prostituées et partenaires, mais aussi de sécuriser la localité.
Le quartier «Adinna» (Donne-le moi en manding) est le coin le plus animé de la Kharakhéna. En effet, des Maliennes, Ghananéennes, Nigérianes, Guinéennes et Sénégalaises, bien organisées dans le cadre de l’accueil des partenaires, ne laissent la chance à personne. Les visiteurs sont nuitamment bien reçus et orientés selon leur choix. Dans ce milieu, il y a des femmes pour tous les goûts et pour toutes les bourses. Mais la visite des filles de joie n’est autorisée qu’entre 19 heures et 23 heures, affirme Coumba Ndiaye 45 ans, originaire de la région de Thiès. Elle est l’une des plus anciennes prostituées. À force de fréquenter ces milieux depuis plus de 10 ans, Coumba parle pratiquement tous les dialectes de la sous-région.
Les diongoma sénégalaises très prisées
Quant au prix de la passe, il varie entre 10.000 et 50.000 francs. Il y a même des orpailleurs qui n’hésitent pas débloquer 500.000 francs pour se payer une nuit avec une Sénégalaise. Cependant, les femmes de Kharakhéna font face à une forte concurrence. «Nous perdons parfois beaucoup d’argent à cause d’une concurrence déloyale que nous imposent les jeunes filles qui ne détiennent pas de cartes professionnelles. Elles sont beaucoup plus accessibles que nous, parce qu’elles osent aborder directement les clients n’importe où et n’importe comment. Voilà le seul hic qui nous pose problème, sinon il y a de l’argent à gogo ici», se confie Coumba.
D’après Awa Nd., 38 ans, «même les gendarmes qui effectuent des descentes périodiques pour contrôler des prostituées sans-papiers peuvent réglementer le secteur. C’est facile, mais ce qu’on voit ici est inexplicable», fulmine-t-elle.
Agnès Djizak, une ivoiro-sénégalaise, (de mère sénégalaise et de père ivoirien) et étudiante en droit, a plus tôt choisi les diouras pour profiter de la vie. Interpellée sur les raisons de son choix, elle déclare qu’elle a été inconsciemment conduite au Sénégal par une copine qui passait ses vacances à Bamako. «Après mes diplômes, je suis restée deux ans sans boulot ni soutien. Donc venir au Mali avec mon amie était une réussite dans la mesure où je peux désormais me prendre en charge grâce à mes relations. Kharakhéna mon second site visité après Sambrambougou constitue l’une des étapes importantes de ma vie de jeunesse», raconte Agnès qui ne regrette rien dans son choix.
La nuit, comme le jour, c’est la belle vie à Adinna. À Kharakhéna, les prostituées sont les plus riches, car une seule nuit suffit pour récolter le prix d’une moto 3 cylindres d’une valeur de 900 mille à un million francs raconte notre interlocutrice. On ne pense et ne parle que d’argent dans cette localité. Même pour avoir des entretiens avec des professionnelles du sexe, les enquêteurs sont contraints parfois de mettre la main à la poche. C’est pourquoi au quartier Adinna, le sexe n’a plus de valeur estime Georges Manga membre du comité de gardiennage mis sur pied par des prostituées pour assurer leur sécurité en cas de révolte d’un client qui ne respecte pas les clauses de la passe. Surtout qu’à chaque heure, on note des altercations et bagarres entre clients et partenaires ou entre ses dernières souvent saoulées d’alcool et de la drogue.