L'ÉTAT CALCULE, LE PRIVÉ HÉSITE !
MISERES DE LA RECHERCHE AGRICOLE ET AGROALIMENTAIRE
Hésitations, échecs et quelques petites avancées, voilà ce qui caractérise ce qui est qualifié de partenariat public-privé dans le secteur de la recherche agricole et agroalimentaire en Afrique. Au Sénégal comme en Côte d'Ivoire et au Cameroun, les instituts nationaux chargés de booster le secteur de l'alimentation en général (Isra, Cnra, Irad), faute de gros moyens, sont encore dans la débrouille pour l'arrivée de fonds publics hypothétiques, et devant les hésitations d'un secteur privé qui se fait attendre.
Quelles priorités de recherche pour corriger l’insécurité alimentaire en Afrique ? Bien malin qui pourrait donner une réponse exacte aujourd’hui à cette question dans les territoires d’agriculture et d’élevage au Sahel et dans la partie tropicale du continent. Pendant que nombre de travaux restent prisonniers des tiroirs de vieux laboratoires et instituts de recherche, l’insuffisance des rendements en matière de céréales, de tubercules, de légumineuses reste un casse-tête pour les économies du sous continent que constituent les pays du littoral ouest africain.
Côte d’Ivoire, Cameroun, Sénégal. Trois pays. Trois trajectoires agricoles similaires qui ont un seul et même problème : des richesses naturelles certes, mais le paradoxe d’une pauvreté de la recherche dans le domaine de l’alimentation en général. Pour faire du pain, ces pays ont les mêmes difficultés à trouver de la farine alors qu’ils produisent tous du mil. Pour manger du riz, mettre le beurre, le fromage dont raffolent enfants et adultes, au petit déjeuner, les produits sont encore importés pour l’essentiel.
Forte de son café et de son cacao, la Côte d’Ivoire souffre de l’absence de diversification agricole. Le Cameroun qui produit aussi café et cacao, est dans la même situation. Les populations, à défaut de riz, vivent encore de tubercules. Au Sénégal, on n’est pas mieux lotis, même si la production de mil, de sorgho, de maïs, de coton, connaît une hausse sensible depuis les efforts de relance et de nouvelles politiques agricoles entreprises depuis la fin des 1980. Grâce au génie des chercheurs et au coup de pouce de l’Etat et du secteur privé.
Un signe d’espoir pour les chercheurs en Afrique, le partenariat public-privé. Dans un continent où les institutions de recherche ont été les principales victimes de la crise économique et des coupes budgétaires, les ressources publiques se raréfient. En dehors des salaires payés aux chercheurs, il est bien difficile aux Etats africains de financer sensiblement leurs travaux.
Souvent laissés seuls et à eux-mêmes dans les laboratoires, beaucoup de grands spécialistes au Sénégal, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, ont quitté leur pays par dépit. D’autres encore, souvent contre leur gré, sont alliés aux sirènes mirobolantes des multinationales et des organisations non gouvernementales, pour arrêter de survivre dans des instituts et des laboratoires encore équipés de matériels datant du siècle dernier.
Dans le lot, le Sénégal est loin d’être un exemple malgré les annonces et la volonté de l’Etat d’assurer sa sécurité alimentaire grâce aux résultats de la recherche. Avec un budget annuel de 7 milliards de francs cfa (quelque 10,7 millions d’euros), dont seulement 50% provenant de l’Etat, et 50% de conventions et d’apport personnel, l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra) n’est pas le centre de recherche le plus riche d’Afrique. La plupart des centres et institutions de recherche dépendent aujourd’hui de l’aide bilatérale, multilatérale et du privé quand ce dernier y trouve ses intérêts.
Investissements très limités, absence de vision… Les partenaires au développement au pied du mur
Le 5 novembre 2012, l’Institut sénégalais de recherches agricoles (Isra) a organisé à Dakar, la session de son comité scientifique et technique avec une grande exposition sur les améliorations en matière de cultures de céréales comme le mil, le riz, le maïs, le niébé, mais aussi les tubercules comme le manioc. Avec peu de moyens, les chercheurs se sont battus pour montrer au public venu participer à cette fête de la productivité africaine, ce dont ils étaient capables.
Car même dotés par la même occasion du Prix d’excellence pour la Science et la technologie décerné par la Banque islamique de développement (Bid), dans la catégorie « Institution de recherche scientifique éminente d’un pays en développement » pour une enveloppe de 100 000 dollars, les centres de recherches agricoles attendent encore beaucoup plus de l’Etat que du privé.
Or, dans ce partenariat gagnant-gagnant, si tous les acteurs ont leur place, pour les chercheurs, c’est à l’Etat de fixer la feuille de route s’il veut stopper la fuite des cerveaux. Ce qui n’est pas encore le cas. Aujourd’hui, pour éviter que les meilleures terres, pour faire de la tomate, des melons, des mangues, n’arrivent pas dans les mains des grandes multinationales comme dans certaines zones de l’Ethiopie, du Kenya, de la République Démocratique du Congo et même au Mali, les chercheurs ont décidé de tirer la sonnette d’alarme. A les en croire, seul un partenariat clair avec le privé permet d’éviter une telle folie. Au Sénégal, pour une allocation de 1,5 milliard de francs cfa par l’Etat sur la période 2012-2013 pour entre autres, la production des semences améliorées, il faut reconnaître que la note est bien maigre pour donner une impulsion au domaine de la recherche agro alimentaire. Dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage, le pays ne manque pas d’idées et de génie. Mais, les centres de recherches en élevage et en productions agricoles laissées en rade à l’intérieur des terroirs, s’essoufflent. C’est le cas du Centre national de recherche agronomique (Cnra) de Bambey (centre ouest du pays), tout comme du Centre de recherche zootechnique (Crz) de Dahra ( dans la zone sylvopastorale au centre).
Jusqu’ici, les principaux accompagnateurs des chercheurs des laboratoires, à en croire leur propre analyse, reste des institutions comme l’Union européenne, l’Usaid, le Crdi (qui a aujourd’hui fermé ses bureaux au Sénégal), la Banque mondiale, la Banque islamique pour ne citer que ces exemples.
FOCUS
COTE D'IVOIRE - Le manioc au cœur des projets ruraux
En Afrique de l’ouest comme en Afrique centrale, il existe un certain nombre d’efforts destinés à lever le malentendu présupposé entre le privé et l’Etat sur certains domaines de la production de connaissances en matière d’agriculture. La Côte d’Ivoire reste un pays modèle en terme de partenariat public-privé grâce au succès de cultures commerciales comme le café et le cacao. Mais dans le domaine des cultures vivrières comme le riz, le maïs, le manioc, le pays peine aussi à voir les implications du privé.
Grâce aux actions de recherche et projets proposés par les chercheurs du Centre national de recherche agronomique (Cnra), le pays expérimente depuis 2008, dans le cadre de partenariat avec le privés et les organisateurs de producteurs et de consommateurs, un projet de Diffusion de nouvelles technologies Agricoles en Afrique plus connu sous le nom de Donata et destiné à l’amélioration de la culture du manioc. Sur un financement par la Banque Africaine de Développement (Bad) pour le développement agricole en Afrique, ce projet est présent aussi au Sénégal. Et aujourd’hui, les résultats commencent à se faire sentir. La vulgarisation en milieu rural de ces variétés améliorées de manioc à haut rendement et tolérantes aux maladies et aux ravageurs, a permis d’améliorer la sécurité alimentaire en terre ivoirienne. Plante rustique et prisée par les populations rurales et urbaines, les racines tubéreuses, offrent après transformation une diversité de produits tels que l’attiéké, la farine, etc. Sur la parcelle test, ont été plantées des boutures des nouvelles variétés du Cnra et une variété locale témoin dénommée Mamanwa. Responsable national du projet, le Dr N’Zué Boni, chercheur au Cnra, travaille avec les populations sur deux autres variétés de manioc, le Bocou 1 et le Bocou 2, mis au point dans les laboratoires du Centre, ont été testées à Dabou et Man. Ce sont des variétés à haut rendement qui ont permis de donner en moyenne, respectivement 34 et 32 tonnes à l’hectare. Alors que les variétés traditionnelles se limitaient à une production à l’hectare de 5 tonnes. Deuxième culture vivrière du pays après l’igname, une étude de la Fao datant de 2006, estime à 2 millions de tonnes par an, la consommation nationale de cette denrée pour ce pays.
CAMEROUN -APRES LE CAFE ET LE CACAO : La mode est à la banane plantain
Le Cameroun est dans cette même tendance. Après le café, le cacao et l’huile de palme, le Projet d’Amélioration de la Compétitivité Agricole (Paca) a choisi de donner toute sa place à l’Institut de recherche agricole pour le développement du Cameroun (Irad) dans la filière banane. Fruit d'une des nombreuses variétés de bananiers, la banane plantain, contrairement à celle que nous mangeons habituellement, ne se consomme que cuite : c'est une banane légume. De la famille des musacées avec comme nom scientifique « Musa paradisiaca », la banane plantain diffère aussi par sa taille plus grande, sa chair moins fine et sa plus haute teneur en amidon. Dans les fruiteries, deux sortes de bananes plantains sont les plus connues : l'une toujours verte, ne jaunit jamais et finit par noircir avec le temps; l'autre jaunit mais jamais assez pour être consommée comme la banane fruit. Pour ôter la peau qui adhère bien à la chair, il est parfois nécessaire d'utiliser un petit couteau. Autres appellations de cette variété très connue en Afrique tropicale : banane pesée, banane à cuire. Communément appelés "banane à cuire", elles font partie des récoltes alimentaires importantes des pays en voie de développement et de récoltes alimentaires vers les pays industrialisés. Dans le cadre des Programmes nationaux pour la sécurité alimentaire et de reconversion économique de la filière banane également, la banane plantain occupe une position stratégique parmi les cultures vivrières auxquelles le gouvernement camerounais accorde désormais beaucoup d’intérêt, compte tenu de sa haute valeur économique et nutritionnelle. Le Centre Africain de Recherches sur Bananiers et Plantains (Carbap) cherche à apporter une autre vision avec pour objectif global, d’améliorer les productions de bananes et de bananes plantain à travers la coproduction et la diffusion des innovations technologiques durables entre autres. Présent dans huit régions de la zone tropicale humide du pays, le secteur mobilise quelque 600 000 petits producteurs, hormis plus de 50 000 autres opérateurs impliqués dans la chaîne de valeur, notamment les pépiniéristes, les commerçants, les transporteurs, les transformateurs, etc.
Le Carbap dispose aujourd’hui, d’une collection d’environ 150 cultivars de bananiers plantains incluant les variétés couramment utilisées dans les différentes zones agro-écologiques. En outre, il dispose également d’une capacité de production de plants améliorés de bananier plantain modulable en fonction de la demande. Et, en sa qualité de Centre Régional d’Excellence du Conseil Ouest et Centre Africain pour la Recherche et le Développement Agricole (Coraf/Wecard), le centre apporte son expertise et appuie les initiatives gouvernementales en faveur du développement des filières banane et plantain pour le renforcement de la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté. Pour rappel, c’est en juin 2009 que le Conseil des Administrateurs de la Banque mondiale a approuvé le projet dit de « Compétitivité du secteur agricole au Cameroun » pour un montant de 60 millions de dollars. Pour donner une idée de l’engouement suscité par la production de plantain, quelque 30 millions de tonnes de plantain ont été produits dans le monde durant l'année 2000. Et l’Ouganda a été le plus important producteur avec 9 millions de tonnes. Aujourd’hui, il faut juste ajouter que près de 75% de la production mondiale de plantain provient d’Afrique.