L’ÉNIGME KHALIFA SALL
Gagner à Dakar est une chose, mais conquérir le Sénégal est plus compliqué. Si le maire de Dakar veut le pouvoir, il lui faudra faire montre d’une grande capacité à enjamber les obstacles. Premier acte : assumer "son" destin présidentiel
La lettre du continent a allumé un feu attendu. Espéré. Redouté. Minimisé. Notre confrère, très informé, a annoncé, dans sa dernière parution, l’intention du Parti socialiste (Ps) d’investir prochainement Khalifa Sall comme son candidat à la présidentielle de 2017. « Le secrétaire national à la vie politique du Parti socialiste sénégalais, Khalifa Sall, devrait être désigné au second trimestre (de 2015) comme le candidat de cette formation politique pour la présidentielle de 2017», mentionne le dernier numéro de ce journal français.
On sera très attentif à l’actualité du Ps pour avoir la confirmation d’une telle révélation. Une certitude cependant. Si le Ps se décide à avoir un candidat en 2017, celui-ci ne sera pas Ousmane Tanor Dieng qui s’était engagé, en 2012, à ne plus se présenter à une élection présidentielle.
L’homme a une très haute idée de sa personne et de l’engagement politique pour se prendre les pieds dans le tapis de ses propres contradictions.
Il faut, en attendant plus de clarté, reconnaître que Khalifa Sall, ce presque sexagénaire (il est né le 1er janvier 1956 à Louga), ne passe pas inaperçu sur la scène politique sénégalaise.
Socialiste dès son jeune âge (13 ans), venu aux affaires à la faveur de la montée en puissance de Ousmane Tanor Dieng au sein du Ps, l’homme a épaissi sa carapace politique après les élections locales du 22 mars 2009, suivies de son élection comme maire de Dakar le 18 avril de la même année.
Depuis, son nom est sur toutes les lèvres. On traque ses moindres faits et gestes, on guette sa moindre déclaration et on lui tresse déjà une belle couronne de numéro un du parti de Senghor. Incontestablement, Khalifa Sall est l’homme qui monte à Dakar et dans le Ps.
Disposant d’un budget confortable à la tête de la mairie de Dakar et d’une aura conséquente de premier magistrat de la capitale sénégalaise, Khalifa Sall surfe sur un pouvoir qui se refuse à sa formation politique depuis 2000.
Pour nombre d’observateurs, le nouvel édile de Dakar est une solution de rechange en lieu et place d’Ousmane Tanor Dieng (Otd). Depuis 2000, en effet, la base électorale du Ps s’est beaucoup érodée. La formation socialiste a vu ses scores électoraux passer de 42% en 2000 à 11% en 2007 et 2012.
Sa cote est montée en flèche. Son bilan, jugé satisfaisant par de larges franges de l’opinion dakaroise, lui a valu une victoire éclatante dans la capitale sénégalaise lors des dernières élections communales, municipales et départementales du 29 juin 2014. Un jackpot électoral qui renforce la stature du maire de Dakar.
Cependant, gagner à Dakar est une chose, mais conquérir le Sénégal est plus compliqué. Si Khalifa Sall veut le pouvoir, il lui faudra faire montre d’une grande capacité à enjamber les obstacles. Le premier acte consistera, sans doute, à assumer « son » destin présidentiel.
Interrogé en marge du Sommet de la Francophonie à Montreux (Suisse), en octobre 2010, sur son éventuelle candidature à la magistrature suprême, Khalifa Sall avait laissé planer le doute, sans fermer la porte du soupçon.
« L’élection présidentielle, c’est une question personnelle. Aujourd’hui, il s’agit de voir ceux qui seront intéressés. À mon niveau, ce qui m’importe, c’est le rayonnement du parti et la préparation du scrutin. Parler de candidature aujourd’hui, c’est diviser le Ps et affaiblir Benno ».
En 2012, il a joué la carte Tanor, sans succès. Aujourd’hui encore, alors que son récent succès à Dakar rebondit sur une frange de l’opinion et lui revient en applaudissements, il se montre obstinément silencieux sur ses véritables intentions.
Il semble donner raison à Malick Nöel Seck qui trouve qu’il est « un homme d'appareil qui exécute les décisions, qu'elles soient justes ou non ».
Si le Ps veut réellement présenter Khalifa Sall, il lui faut brusquer le rythme. Un président de la République, cela se sème au bon moment. Ni trop tôt, ni trop tard. Or, une seule année nous sépare des grandes manœuvres politiques préélectorales.
Il s’y ajoute que le Ps qui porte le fardeau de sa participation au pouvoir du président Macky Sall devra être particulièrement persuasif pour convaincre l’opinion du bien fondé de son échappée solitaire. Les relations heurtées entre le maire de Dakar et le pouvoir actuel suffiront-elles au Ps pour décrocher un certificat de probité électorale ? L’avenir nous le dira.
Il reste qu’en 2011, Barthélémy Dias défendait avec force que le candidat du Ps « ne saurait avoir une envergure régionale, mais nationale ». « And Taxawu Ndakarou », la plateforme politique qui a permis à Khalifa Sall de rempiler à la tête de la mairie de Dakar, ne va pas au-delà de Rufisque.
Le temps court qui nous sépare de 2017 suffira-t-il à Khalifa Sall à élargir son envergure ?
Décidément, l’actualité socialiste sera fortement suivie dans les jours à venir.